• August Wilhelm von Schlegel to Alexander von Humboldt

  • Place of Dispatch: Bonn · Place of Destination: Berlin · Date: 17.04.1841
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Alexander von Humboldt
  • Place of Dispatch: Bonn
  • Place of Destination: Berlin
  • Date: 17.04.1841
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: 343347008
  • Bibliography: Briefe von und an August Wilhelm Schlegel. Gesammelt und erläutert durch Josef Körner. Bd. 1. Zürich u.a. 1930, S. 548‒551.
  • Incipit: „[1] Bonn 17 Avril 1841
    Mon illustre patron!
    Je vous ai expédié dernièrement une longue dépêche pour en faire tel usage que vous [...]“
    Manuscript
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: DE-1a-33865
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.11,Nr.40
  • Number of Pages: 10 S. auf Doppelbl., hs.
  • Format: 20,9 x 12,9 cm
    Language
  • French
[1] Bonn 17 Avril 1841
Mon illustre patron!
Je vous ai expédié dernièrement
une longue dépêche pour en faire tel usage que vous jugeriez à propos. Permettez-moi, en vertu de notre ancienne amitié, de vous écrire aujourdʼhui en confidence, en laissant pour un moment de côté toutes les excellences, qui vous appartiennent: excellence de savoir, de célébrité et de rang.
M. Ernst Förster ne mʼest pas inconnu. Il y a plus de seize ans quʼil est venu ici avec deux autres élèves de Cornelius pour aider à peindre à fresque notre grande salle. Hermann avait de lʼinvention, Götzenberger du coloris, Förster était lʼorateur de la troupe. Il parlait tableaux avec une grande volubilité de langue, mais son pinceau bégayait. [2] Deux figures quʼil fut chargé dʼexécuter dʼaprès le carton de Hermann, manquèrent totalement, de sorte quʼil fallut enlever la chaux déjà sêche. Il les a repeintes à neuf, sans mieux réussir: le coloris en est détestable.
Il nʼest pas nécessaire, en effet, dʼêtre peintre, pour professer la théorie et lʼhistoire des beaux arts. Cependant il vaut mieux nʼêtre pas peintre du tout, que dʼêtre mauvais peintre. On croira difficilement que celui qui est aveugle pour les défauts de
ses propres ouvrages, puisse être un connaisseur universel.
Par la mort
de mon ami dʼAlton nous avons fait une perte irréparable. Comme naturaliste, il était un Cuvier [et un] excellent dessinateur. Il était aussi bon appréciateur des œuvres du génie que versé dans la partie technique. Il avait le coup dʼœil dʼun aigle.
[3] De son vivant, jʼai donné ici plusieurs fois des cours sur la théorie, et lʼhistoire des beaux arts, comme je lʼai fait, fort en abrégé, à Berlin. Jʼaurais pu facilement multiplier le nombre de ces cours; mais jʼai mieux aimé céder la place à mon ami.
Après le décès de
dʼAlton, mes collègues ont désiré que je lui succédasse. Leur petition a été accueillie par le ministère: le 4 Juin de lʼannée dernière la chaire de lʼhistoire des beaux arts mʼa été conférée. Je lʼai acceptée, quoique aucun avantage nʼy fût attaché: ni augmentation de salaire, ni honoraires, puisque je ne donne que des cours publics et gratuits, pour les rendre accessibles aux étudiants pauvres.
M. Welcker donne des cours excellents dʼarchéologie, dans lesquels il explique les monuments de lʼantiquité dans leur rapport avec la mythologie et la littérature classique. Cʼest là la partie essen[4]tielle, parce quʼelle intéresse une classe nombreuse dʼétudiants, les philologues.
Pour la pratique du dessin nous avons un maître très capable,
M. Hohe, qui enseigne la perspective linéaire, et le maniement des couleurs, il exerce aussi ses écoliers aux études dʼaprès nature pour le paysage.
A vrai dire, les beaux arts sont presque un article de luxe dans
une université de province. Très peu dʼétudiants sont appelés à sʼoccuper de cette étude qui, dʼailleurs, reste stérile sans la vue et la contemplation habituelle des chefs dʼœuvre. Or, pas un sur cent nʼa les moyens nécessaires pour faire dans ce but le voyage dʼItalie, de France et des Pays-Bas.
Les jeunes princes qui nous font lʼhonneur de devenir nos concitoyens académiques, sont à part: pour eux cʼest presque un devoir de cultiver leur goût; la connaissance des beaux arts occupe une place importante dans leur éducation. Aussi ont-ils pris des leçons [5] particulières chez dʼAlton, aussi longtemps quʼil était en bonne santé. Sʼils sʼétaient adressés à moi, je leur aurais conseillé de me préférer mon ami. Je les ai vus fort assidus dans deux de mes cours publics, où le tiers de lʼuniversité remplissait mon auditoire.
Le grand-duc héréditaire de Mecklembourg-Schwérin séjourne actuellement chez nous. Si la théorie et lʼhistoire des beaux arts entre dans le plan de ses études, certes, je me tiendrai à grand honneur de donner des leçons à un prince aussi aimable, neveu de notre Roi.
Vous voyez donc que
notre université est au grand complet dans cette partie, et que nous nʼavons nul besoin dʼun nouveau professeur. Mais il paraît, que M. E. Förster a besoin de notre université, puisquʼil sollicite la chaire que jʼoccupe.
Les universités prussiennes sont ouvertes
[6] à tous les jeunes savants, pourvu quʼils fassent leurs preuves conformément à nos statuts. Pour obtenir le droit de donner des cours publics, sans avoir le titre de professeur, il faut après la promotion ce quʼon appelle lʼhabilitation. Pour les candidats qui, avant lʼexamen, déclarent leur intention de professer une science chez nous, les deux actes se reduisent à un seul. Mais ceux qui ont pris leurs grades dans une université non prussienne, doivent être nostrifiés, cʼest à dire examinés une seconde fois en langue latine. Cʼest une loi fort sage: car il est, malheureusement, trop connu que plusieurs universités allemandes vendent des diplomes de docteur à des ignorants.
Les savants éminents qui ont eu des succès brillants en chaire, et comme auteurs de quelque ouvrage important se sont fait une réputation, si non européenne au moins nationale, méritent une vocation honorable
[7] qui les dispense de passer par tous les grades. Dites-moi, de grâce, si M. Förster est dans cette catégorie? Je nʼen sais rien.
Jʼai appris pourtant, quʼil a publié
un ou deux petits essais sur les progrès de la peinture dans le 14e et 15e siècle, accompagnés de quelques gravures au trait. Nous en possédions déjà bon nombre, en partie très bien faites.
Mon frère, mon ami Louis Tieck et moi, nous avons dès notre début dans la carrière littéraire, signalé aux connaisseurs philosophiques le mérite trop longtemps méconnu des peintres de cette époque. Nous avons rencontré une opposition assez vive chez Goethe. Il craignait lʼabus de notre doctrine, qui nʼa pas tardé dʼarriver. On peut admirer dans les devanciers des grands maîtres du 16e siècle, des têtes bien caracterisées, le jeu varié des physionomies, surtout la naïve expression dʼune piété douce et simple. [8] Mais ils ne savaient pas dessiner le nu; ils sont faibles dans le clair-obscur; ils ont ignoré la perspective aérienne, ou ils lʼont négligée à dessein. Beaucoup de nos jeunes peintres se sont fourvoyés sur leurs traces dʼune manière déplorable. En imitant les défauts, en donnant à leurs Saints des jambes de fuseau, des mains décharnées et des doigts crochus, ils ont espéré se faire passer pour des Masaccio, peut-être même pour des Perugins. Les Italiens qui sont bons juges et un peu moqueurs, ont appelé cela la peinture Nazaréenne. Cette épidémie est-elle entièrement passée? Je crains bien les rechutes.
Le premier reveil de lʼart après la morte immobilité du goût byzantin (stilo greco) ressemble aux mouventents dʼun enfant qui fait des efforts pour se débarasser de ses langes. Cʼest assurément, un phénomène fort intéressant; mais cela ne doit occuper quʼun espace extrémement limité dans un cours dʼhistoire générale des beaux arts. Là il faut caractériser
[9] les monuments des Égyptiens et des Étrusques, les chefs-dʼœuvre de la Grèce et de Rome, la décadence, le moyen age, lʼarchitecture byzantine et gothique, la renaissance, le grand siècle, les écoles italiennes, allemandes, flamandes et françaises. Un professeur qui, pendant tout un sémestre, voudrait entretenir les écoliers de Cimabue, de Giotto, de Jean de Fiésole etc, verrait bientot son auditoire désert. Ce serait comme le cours dʼhistoire universelle de ce bouffon ultramontain Görres, auquel après six mois de leçons on pouvait adresser cette exhortation:

Passons au déluge, avocat!

Jʼai déjà trop longtemps lassé votre patience: je me hâte dʼen finir. Je prends la liberté de vous envoyer
un discours que jʼai prononcé il y a 17 ans pour la fête du feu Roi. Vous y trouverez lʼéloge de Frédéric Guillaume III, objet de la vénération de tous les esprits sages en Europe; ensuite une esquisse rapide des vicissitudes [10] du goût dans les beaux arts; enfin un petit éloge de Frédéric le Grand. Jʼambitionne dʼêtre lu par un connaisseur de la belle latinité, qui a montré dans sa géographie des plantes, comment on peut expliquer les sciences naturelles, dans le langage classique, et rivaliser avec Pline pour la briéveté pittoresque des expressions.
Veuillez agréer, mon illustre patron, lʼhommage de mon admiration, et de mes sentiments les plus dévoués.

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[1] Bonn 17 Avril 1841
Mon illustre patron!
Je vous ai expédié dernièrement
une longue dépêche pour en faire tel usage que vous jugeriez à propos. Permettez-moi, en vertu de notre ancienne amitié, de vous écrire aujourdʼhui en confidence, en laissant pour un moment de côté toutes les excellences, qui vous appartiennent: excellence de savoir, de célébrité et de rang.
M. Ernst Förster ne mʼest pas inconnu. Il y a plus de seize ans quʼil est venu ici avec deux autres élèves de Cornelius pour aider à peindre à fresque notre grande salle. Hermann avait de lʼinvention, Götzenberger du coloris, Förster était lʼorateur de la troupe. Il parlait tableaux avec une grande volubilité de langue, mais son pinceau bégayait. [2] Deux figures quʼil fut chargé dʼexécuter dʼaprès le carton de Hermann, manquèrent totalement, de sorte quʼil fallut enlever la chaux déjà sêche. Il les a repeintes à neuf, sans mieux réussir: le coloris en est détestable.
Il nʼest pas nécessaire, en effet, dʼêtre peintre, pour professer la théorie et lʼhistoire des beaux arts. Cependant il vaut mieux nʼêtre pas peintre du tout, que dʼêtre mauvais peintre. On croira difficilement que celui qui est aveugle pour les défauts de
ses propres ouvrages, puisse être un connaisseur universel.
Par la mort
de mon ami dʼAlton nous avons fait une perte irréparable. Comme naturaliste, il était un Cuvier [et un] excellent dessinateur. Il était aussi bon appréciateur des œuvres du génie que versé dans la partie technique. Il avait le coup dʼœil dʼun aigle.
[3] De son vivant, jʼai donné ici plusieurs fois des cours sur la théorie, et lʼhistoire des beaux arts, comme je lʼai fait, fort en abrégé, à Berlin. Jʼaurais pu facilement multiplier le nombre de ces cours; mais jʼai mieux aimé céder la place à mon ami.
Après le décès de
dʼAlton, mes collègues ont désiré que je lui succédasse. Leur petition a été accueillie par le ministère: le 4 Juin de lʼannée dernière la chaire de lʼhistoire des beaux arts mʼa été conférée. Je lʼai acceptée, quoique aucun avantage nʼy fût attaché: ni augmentation de salaire, ni honoraires, puisque je ne donne que des cours publics et gratuits, pour les rendre accessibles aux étudiants pauvres.
M. Welcker donne des cours excellents dʼarchéologie, dans lesquels il explique les monuments de lʼantiquité dans leur rapport avec la mythologie et la littérature classique. Cʼest là la partie essen[4]tielle, parce quʼelle intéresse une classe nombreuse dʼétudiants, les philologues.
Pour la pratique du dessin nous avons un maître très capable,
M. Hohe, qui enseigne la perspective linéaire, et le maniement des couleurs, il exerce aussi ses écoliers aux études dʼaprès nature pour le paysage.
A vrai dire, les beaux arts sont presque un article de luxe dans
une université de province. Très peu dʼétudiants sont appelés à sʼoccuper de cette étude qui, dʼailleurs, reste stérile sans la vue et la contemplation habituelle des chefs dʼœuvre. Or, pas un sur cent nʼa les moyens nécessaires pour faire dans ce but le voyage dʼItalie, de France et des Pays-Bas.
Les jeunes princes qui nous font lʼhonneur de devenir nos concitoyens académiques, sont à part: pour eux cʼest presque un devoir de cultiver leur goût; la connaissance des beaux arts occupe une place importante dans leur éducation. Aussi ont-ils pris des leçons [5] particulières chez dʼAlton, aussi longtemps quʼil était en bonne santé. Sʼils sʼétaient adressés à moi, je leur aurais conseillé de me préférer mon ami. Je les ai vus fort assidus dans deux de mes cours publics, où le tiers de lʼuniversité remplissait mon auditoire.
Le grand-duc héréditaire de Mecklembourg-Schwérin séjourne actuellement chez nous. Si la théorie et lʼhistoire des beaux arts entre dans le plan de ses études, certes, je me tiendrai à grand honneur de donner des leçons à un prince aussi aimable, neveu de notre Roi.
Vous voyez donc que
notre université est au grand complet dans cette partie, et que nous nʼavons nul besoin dʼun nouveau professeur. Mais il paraît, que M. E. Förster a besoin de notre université, puisquʼil sollicite la chaire que jʼoccupe.
Les universités prussiennes sont ouvertes
[6] à tous les jeunes savants, pourvu quʼils fassent leurs preuves conformément à nos statuts. Pour obtenir le droit de donner des cours publics, sans avoir le titre de professeur, il faut après la promotion ce quʼon appelle lʼhabilitation. Pour les candidats qui, avant lʼexamen, déclarent leur intention de professer une science chez nous, les deux actes se reduisent à un seul. Mais ceux qui ont pris leurs grades dans une université non prussienne, doivent être nostrifiés, cʼest à dire examinés une seconde fois en langue latine. Cʼest une loi fort sage: car il est, malheureusement, trop connu que plusieurs universités allemandes vendent des diplomes de docteur à des ignorants.
Les savants éminents qui ont eu des succès brillants en chaire, et comme auteurs de quelque ouvrage important se sont fait une réputation, si non européenne au moins nationale, méritent une vocation honorable
[7] qui les dispense de passer par tous les grades. Dites-moi, de grâce, si M. Förster est dans cette catégorie? Je nʼen sais rien.
Jʼai appris pourtant, quʼil a publié
un ou deux petits essais sur les progrès de la peinture dans le 14e et 15e siècle, accompagnés de quelques gravures au trait. Nous en possédions déjà bon nombre, en partie très bien faites.
Mon frère, mon ami Louis Tieck et moi, nous avons dès notre début dans la carrière littéraire, signalé aux connaisseurs philosophiques le mérite trop longtemps méconnu des peintres de cette époque. Nous avons rencontré une opposition assez vive chez Goethe. Il craignait lʼabus de notre doctrine, qui nʼa pas tardé dʼarriver. On peut admirer dans les devanciers des grands maîtres du 16e siècle, des têtes bien caracterisées, le jeu varié des physionomies, surtout la naïve expression dʼune piété douce et simple. [8] Mais ils ne savaient pas dessiner le nu; ils sont faibles dans le clair-obscur; ils ont ignoré la perspective aérienne, ou ils lʼont négligée à dessein. Beaucoup de nos jeunes peintres se sont fourvoyés sur leurs traces dʼune manière déplorable. En imitant les défauts, en donnant à leurs Saints des jambes de fuseau, des mains décharnées et des doigts crochus, ils ont espéré se faire passer pour des Masaccio, peut-être même pour des Perugins. Les Italiens qui sont bons juges et un peu moqueurs, ont appelé cela la peinture Nazaréenne. Cette épidémie est-elle entièrement passée? Je crains bien les rechutes.
Le premier reveil de lʼart après la morte immobilité du goût byzantin (stilo greco) ressemble aux mouventents dʼun enfant qui fait des efforts pour se débarasser de ses langes. Cʼest assurément, un phénomène fort intéressant; mais cela ne doit occuper quʼun espace extrémement limité dans un cours dʼhistoire générale des beaux arts. Là il faut caractériser
[9] les monuments des Égyptiens et des Étrusques, les chefs-dʼœuvre de la Grèce et de Rome, la décadence, le moyen age, lʼarchitecture byzantine et gothique, la renaissance, le grand siècle, les écoles italiennes, allemandes, flamandes et françaises. Un professeur qui, pendant tout un sémestre, voudrait entretenir les écoliers de Cimabue, de Giotto, de Jean de Fiésole etc, verrait bientot son auditoire désert. Ce serait comme le cours dʼhistoire universelle de ce bouffon ultramontain Görres, auquel après six mois de leçons on pouvait adresser cette exhortation:

Passons au déluge, avocat!

Jʼai déjà trop longtemps lassé votre patience: je me hâte dʼen finir. Je prends la liberté de vous envoyer
un discours que jʼai prononcé il y a 17 ans pour la fête du feu Roi. Vous y trouverez lʼéloge de Frédéric Guillaume III, objet de la vénération de tous les esprits sages en Europe; ensuite une esquisse rapide des vicissitudes [10] du goût dans les beaux arts; enfin un petit éloge de Frédéric le Grand. Jʼambitionne dʼêtre lu par un connaisseur de la belle latinité, qui a montré dans sa géographie des plantes, comment on peut expliquer les sciences naturelles, dans le langage classique, et rivaliser avec Pline pour la briéveté pittoresque des expressions.
Veuillez agréer, mon illustre patron, lʼhommage de mon admiration, et de mes sentiments les plus dévoués.

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