• August Wilhelm von Schlegel to Henry T. Colebrooke

  • Place of Dispatch: Bonn · Place of Destination: London · Date: 12.08.1822
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Henry T. Colebrooke
  • Place of Dispatch: Bonn
  • Place of Destination: London
  • Date: 12.08.1822
    Printed Text
  • Bibliography: Rocher, Rosane und Ludo Rocher: Founders of Western Indology. August Wilhelm von Schlegel and Henry Thomas Colebrooke in correspondence 1820–1837. Wiesbaden 2013, S. 63–69.
  • Incipit: „[1] Bonn 12 Août 1822
    Monsieur
    Je me suis vivement réjoui d’apprendre que Vous êtes heureusement revenu de l’autre hémisphère, d’autant plus que [...]“
    Manuscript
  • Provider: London, The British Library
  • Classification Number: Mss Eur C841 : 1821-1828
  • Number of Pages: 4 S.
    Language
  • French
[1] Bonn 12 Août 1822
Monsieur
Je me suis vivement réjoui d’apprendre que Vous êtes heureusement revenu de l’autre hémisphère, d’autant plus que Mr de Staël qui voyage actuellement en Angleterre, m’avoit mandé, il y a quelques semaines, que Vous étiez encore absent. Je m’étois bien proposé de ne pas aller à Londres, sans être sûr de Vous y trouver, et comme l’époque de Votre retour paroissoit si incertaine, j’y avois renoncé pour cet été. Maintenant mes arrangemens sont faits pour rester ici. Plus je retarde ce voyage, d’ailleurs si court et facile, mieux je saurai tirer parti d’une petite portion de Vos richesses Brahmaniques. Mais je m’en promets la jouissance bien sûrement pour l’été prochain.
C’est sans doute à Votre suffrage, Monsieur, que je dois la faveur que la Société Asiatique vient de m’accorder. Veuillez être auprès de la Société l’interprête de mes sentimens les plus empressés que l’incluse n’exprime que foiblement. Il n’y a rien que j’eusse ambitionné d’avantage [sic].
Mr de Staël a deposé chez le libraire J[ohn] Murray les exemplaires du 3e cahier de ma Bibliothèque Indienne, destinés pour Calcutta. J’espère que Vous aurez reçu le vôtre, quoique Vous n’en fassiez pas mention. Je me suis occupé fort en détail du Dictionnaire de Mr Wilson. Mr de Chézy m’a donné un charmant morceau de poésie Indienne, traité à sa manière, dont je désirerois bien publier l’original. Mais le manuscrit de Paris, à ce que m’assure un savant ami, est trop incomplet pour servir de base à une édition.
Mon imprimerie est maintenant arrangée et en pleine activité. Presque tous les caractères employés dans le Specimen ont été changés, et je me flatte, [2] pour le mieux. Cependant je tâcherai toujours d’améliorer encore. Le résultat de ma méthode est très satisfaisant. Avec un compositeur à mes cotés qui ne fait qu’un service de main d’oeuvre, je compose une page grand in octavo en moins de deux heures. La fonte parisienne est excellente: les signes voyelles qui crênent, quoique bien fragiles, ne cassent pas sous le poids de la presse. En mettant moi-même la main à l’oeuvre, je m’épargne l’ennui des éternelles révisions; je ne trouve presque pas de fautes à corriger dans les épreuves.
Je donnerai d’abord le Bhagavad-Gîtâ, dont le texte, parfaitement conservé, ne fournit pas de sujet à la critique conjecturale. Cependant, comme l’édition de Calcutta fourmille de fautes, j’ai collationné les manuscrits de Paris. Voici le titre de mon édition que je Vous enverrai aussi-tôt qu’elle sera achevée. Je pensois rendre Bhagavad-Gîtâ par Θεσπῳδία, mais mes amis Hellénistes ne veulent pas laisser passer ce mots [sic] comme classique. J’essaye une version latine: je trouve cela bien difficile, ne voulant pas faire du Latin comme notre excellent Bopp, et encore moins comme ce cerveau brûlé d’Othmar Frank. Je trouve la traduction de M. Wilkins en grande partie excellente: il a été inspiré par son séjour à Bénarès. C’est bien autre chose que sa traduction de l’Hitôpadésa, quoique celle-ci soit faite postérieurement. Je pense que l’Hitôpadêsa est susceptible d’être rendu fidèlement dans une Latinité parfaitement pure. Dans le Bhagavad-Gîtâ il faudra bien avoir recours au Latin des pères de l’église et peut-être même des scolastiques, pour exprimer les idées philosophiques.
J’ai aussi achevé quelques chapitres d’une Grammaire abrégée du Sanscrit en Latin. Cette langue est favorable à la concision. Je compte abréger de beaucoup le chapitre de la conjugaison, en me bornant aux règles générales, et en reservant les exemples des formations [3] difficiles pour un dictionnaire des racines. La formation des mots par la dérivation et la composition occupe avec raison un grand espace dans la grammaire Sanscrite. Ce chapitre a jusqu’ici totalement manqué dans nos grammaires Grecques et Latines; elles seront reformées sous ce rapport, je n’en doute pas, d’après l’exemple de la langue la plus savante parmi toutes celles de la même souche. Je voudrois qu’on pût developper d’avantage la Syntaxe du Sanscrit, mais c’est bien difficile, puisqu’on ne sauroit marcher d’un pas assuré qu’autant qu’on s’appuye d’une foule d’exemples.
La grammaire de Mr Yates ne m’est pas encore parvenue. Qu’en jugez-Vous? Avez vous vu la grammaire Chinoise de Mr Rémusat? La Société Asiatique de Paris se propose de faire graver des caractères Dévanagari. Firmin Didot s’en est chargé, ainsi nous sommes sûrs d’avoir quelque chose d’élégant. Le système n’étoit pas encore arrêté lors de mes dernières nouvelles.
J’enseigne constamment les élémens du Sanscrit, et je me flatte d’avoir enfin trouvé un écolier qui, dans la suite, sera capable de m’aider dans mes travaux.
Je me rejouis fort de la continuation rapide des recherches Asiatiques. La géographie et l’histoire naturelle y occupent nécessairement la première place; mais la connoissance exacte de l’Inde actuelle doit finalement tourner au profit de l’étude des antiquités et de la littérature ancienne.
Je suis bien curieux de connoître les observations dont Vous me parlez. Il est tout simple que la franchise de la critique provoque la contradiction. D’ailleurs des jugemens prononcés dans une certaine généralité paroissent facilement trop sévères, quand même on pourroit les justifier par les détails. Mais [4] soyez sûr, Monsieur, si l’on me prouve que j’ai eu tort, je serai toujours charmé de reparer mes erreurs et mes injustices involontaires.
Tout ce que Vous voudrez me faire parvenir pourra être remis au libraire, J[ohann] F [sic] Bohte, N° 4. York-street, Covent-Garden. Il m’a offert ses bons offices, et je crois être sûr de son exactitude et de son zêle. En ce moment de petits paquets pourroient être deposés chez MM. James Cazenove Banquiers à Londres avec l’adresse de Mr de Staël qui me les expédieroit à son retour à Paris. J’ai reçu le 13e Vol[ume] des Recherches Asiatiques il y a déjà quelque temps, je ne sais pas à qui j’en suis redevable. J’en parlerai dans mon prochain numéro.
Chaque ligne que Vous voudrez bien m’accorder me sera précieuse. Veuillez agréer, Monsieur, l’hommage de mon admiration et de ma considération très distinguée.
Votre très-humble et très-obéissant / serviteur
A W de Schlegel
[1] Bonn 12 Août 1822
Monsieur
Je me suis vivement réjoui d’apprendre que Vous êtes heureusement revenu de l’autre hémisphère, d’autant plus que Mr de Staël qui voyage actuellement en Angleterre, m’avoit mandé, il y a quelques semaines, que Vous étiez encore absent. Je m’étois bien proposé de ne pas aller à Londres, sans être sûr de Vous y trouver, et comme l’époque de Votre retour paroissoit si incertaine, j’y avois renoncé pour cet été. Maintenant mes arrangemens sont faits pour rester ici. Plus je retarde ce voyage, d’ailleurs si court et facile, mieux je saurai tirer parti d’une petite portion de Vos richesses Brahmaniques. Mais je m’en promets la jouissance bien sûrement pour l’été prochain.
C’est sans doute à Votre suffrage, Monsieur, que je dois la faveur que la Société Asiatique vient de m’accorder. Veuillez être auprès de la Société l’interprête de mes sentimens les plus empressés que l’incluse n’exprime que foiblement. Il n’y a rien que j’eusse ambitionné d’avantage [sic].
Mr de Staël a deposé chez le libraire J[ohn] Murray les exemplaires du 3e cahier de ma Bibliothèque Indienne, destinés pour Calcutta. J’espère que Vous aurez reçu le vôtre, quoique Vous n’en fassiez pas mention. Je me suis occupé fort en détail du Dictionnaire de Mr Wilson. Mr de Chézy m’a donné un charmant morceau de poésie Indienne, traité à sa manière, dont je désirerois bien publier l’original. Mais le manuscrit de Paris, à ce que m’assure un savant ami, est trop incomplet pour servir de base à une édition.
Mon imprimerie est maintenant arrangée et en pleine activité. Presque tous les caractères employés dans le Specimen ont été changés, et je me flatte, [2] pour le mieux. Cependant je tâcherai toujours d’améliorer encore. Le résultat de ma méthode est très satisfaisant. Avec un compositeur à mes cotés qui ne fait qu’un service de main d’oeuvre, je compose une page grand in octavo en moins de deux heures. La fonte parisienne est excellente: les signes voyelles qui crênent, quoique bien fragiles, ne cassent pas sous le poids de la presse. En mettant moi-même la main à l’oeuvre, je m’épargne l’ennui des éternelles révisions; je ne trouve presque pas de fautes à corriger dans les épreuves.
Je donnerai d’abord le Bhagavad-Gîtâ, dont le texte, parfaitement conservé, ne fournit pas de sujet à la critique conjecturale. Cependant, comme l’édition de Calcutta fourmille de fautes, j’ai collationné les manuscrits de Paris. Voici le titre de mon édition que je Vous enverrai aussi-tôt qu’elle sera achevée. Je pensois rendre Bhagavad-Gîtâ par Θεσπῳδία, mais mes amis Hellénistes ne veulent pas laisser passer ce mots [sic] comme classique. J’essaye une version latine: je trouve cela bien difficile, ne voulant pas faire du Latin comme notre excellent Bopp, et encore moins comme ce cerveau brûlé d’Othmar Frank. Je trouve la traduction de M. Wilkins en grande partie excellente: il a été inspiré par son séjour à Bénarès. C’est bien autre chose que sa traduction de l’Hitôpadésa, quoique celle-ci soit faite postérieurement. Je pense que l’Hitôpadêsa est susceptible d’être rendu fidèlement dans une Latinité parfaitement pure. Dans le Bhagavad-Gîtâ il faudra bien avoir recours au Latin des pères de l’église et peut-être même des scolastiques, pour exprimer les idées philosophiques.
J’ai aussi achevé quelques chapitres d’une Grammaire abrégée du Sanscrit en Latin. Cette langue est favorable à la concision. Je compte abréger de beaucoup le chapitre de la conjugaison, en me bornant aux règles générales, et en reservant les exemples des formations [3] difficiles pour un dictionnaire des racines. La formation des mots par la dérivation et la composition occupe avec raison un grand espace dans la grammaire Sanscrite. Ce chapitre a jusqu’ici totalement manqué dans nos grammaires Grecques et Latines; elles seront reformées sous ce rapport, je n’en doute pas, d’après l’exemple de la langue la plus savante parmi toutes celles de la même souche. Je voudrois qu’on pût developper d’avantage la Syntaxe du Sanscrit, mais c’est bien difficile, puisqu’on ne sauroit marcher d’un pas assuré qu’autant qu’on s’appuye d’une foule d’exemples.
La grammaire de Mr Yates ne m’est pas encore parvenue. Qu’en jugez-Vous? Avez vous vu la grammaire Chinoise de Mr Rémusat? La Société Asiatique de Paris se propose de faire graver des caractères Dévanagari. Firmin Didot s’en est chargé, ainsi nous sommes sûrs d’avoir quelque chose d’élégant. Le système n’étoit pas encore arrêté lors de mes dernières nouvelles.
J’enseigne constamment les élémens du Sanscrit, et je me flatte d’avoir enfin trouvé un écolier qui, dans la suite, sera capable de m’aider dans mes travaux.
Je me rejouis fort de la continuation rapide des recherches Asiatiques. La géographie et l’histoire naturelle y occupent nécessairement la première place; mais la connoissance exacte de l’Inde actuelle doit finalement tourner au profit de l’étude des antiquités et de la littérature ancienne.
Je suis bien curieux de connoître les observations dont Vous me parlez. Il est tout simple que la franchise de la critique provoque la contradiction. D’ailleurs des jugemens prononcés dans une certaine généralité paroissent facilement trop sévères, quand même on pourroit les justifier par les détails. Mais [4] soyez sûr, Monsieur, si l’on me prouve que j’ai eu tort, je serai toujours charmé de reparer mes erreurs et mes injustices involontaires.
Tout ce que Vous voudrez me faire parvenir pourra être remis au libraire, J[ohann] F [sic] Bohte, N° 4. York-street, Covent-Garden. Il m’a offert ses bons offices, et je crois être sûr de son exactitude et de son zêle. En ce moment de petits paquets pourroient être deposés chez MM. James Cazenove Banquiers à Londres avec l’adresse de Mr de Staël qui me les expédieroit à son retour à Paris. J’ai reçu le 13e Vol[ume] des Recherches Asiatiques il y a déjà quelque temps, je ne sais pas à qui j’en suis redevable. J’en parlerai dans mon prochain numéro.
Chaque ligne que Vous voudrez bien m’accorder me sera précieuse. Veuillez agréer, Monsieur, l’hommage de mon admiration et de ma considération très distinguée.
Votre très-humble et très-obéissant / serviteur
A W de Schlegel
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