• August Wilhelm von Schlegel to Anne Louise Germaine de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Bern · Place of Destination: Genf · Date: 10. Januar [1812]
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Bern
  • Place of Destination: Genf
  • Date: 10. Januar [1812]
  • Notations: Datum (Jahr) sowie Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Pange, Pauline de: Auguste-Guillaume Schlegel et Madame de Staël d’apres des documents inédits. Paris 1938, S. 343‒346.
  • Incipit: „[Vendredi] Berne, ce 10 janvier.
    Chère amie, je ne conçois rien à vos plaintes – j’ai écrit tous les jours convenus et [...]“
    Language
  • French
[Vendredi] Berne, ce 10 janvier.
Chère amie, je ne conçois rien à vos plaintes – j’ai écrit tous les jours convenus et plusieurs fois encore les autres courriers – je mets toujours moi-même les lettres dans la boîte et j’ai soin de le faire à tems. Une longueur égale des lettres n’étoit pas dans nos arrangements, au contraire vous m’avez dit qu’il valoit mieux si l’on étoit empêché accidentellement, écrire quelques lignes que différer. Je vous ai écrit dimanche, mais, je crois, directement à Genève, et mardi également.
Il est plus à moi qu’à vous de s’inquiéter lorsque les lettres manquent; vous savez que ma constitution physique et morale est inébranlable; d’ailleurs aucun accident fâcheux n’est à craindre ici – mais je me tourmente de votre santé et je désire ardemment que vous fassiez tout ce que la science de vos médecins peut inventer et que vous veuilliez bien prendre la peine de vous soigner. Il est vrai que le froid doit vous être fort contraire, il me l’est aussi, mais sans me faire d’autres maux que de me tenir enrhumé.
Je vous ai déjà mandé de quelle façon le secrétaire de M. Schr[aut] considère cet article des gazettes qui a attiré votre attention. J’ai une lettre de Frédéric du 4 janvier. Il n’écrit rien sur les événements publics, mais il paroît être en pleine sécurité sur la continuation de l’état actuel. Il se réfère à une lettre précédente qui a été perdue; son domestique aura mis le port des lettres dans sa poche, il s’en est allé après avoir fait beaucoup d’escroqueries. Quoiqu’en général je ne croye pas aux lettres perdues, cette fois-ci cela est assez vraisemblable, puisqu’il a une grande envie d’avoir quelque chose de moi pour son journal et que je lui avois déclaré que son silence m’empêchoit de lui en envoyer davantage.
Son Musée Allemand a commencé à paroître, voici l’annonce; j’espère en recevoir bientôt le premier cahier et je vous l’enverrai aussitôt. Frédéric y a mis un long extrait du nouvel écrit de Jacobi, mais fait assez de ménagement pour l’envoyer à Jacobi lui-même.
Il réitère avec instance sa demande, si vous ne voudriez pas lui donner quelque morceau que je traduirois ou qu’il traduiroit lui-même. Si vous aviez écrit ce que vous vous proposiez sur le suicide de Kleist, cela seroit excellent. Frédéric dit que cet homme confondoit dans la vie comme dans ses productions poétiques la démence avec le génie.
Il falloit faire brocher le livre de Gœthe que j’ai reçu en feuilles, autrement cela vous auroit été fort incommode, mais vous l’aurez infailliblement lundi. Je doute cependant qu’il vous amuse autant que moi – cela finit par la description d’un couronnement entrelacée d’un amour assez vulgaire; en général je reconnois très bien l’homme dans l’enfant. Ceux qui croyent que ce qu’il a fait de plus caractéristique est Werther, ne le trouveront pas. On verra peut-être dans la suite qu’il a fait ce roman plutôt comme organe passif de la sentimentalité contemporaine que comme chef et guide.
Frédéric donne une leçon, je pense d’histoire, aux enfans du Prince Lichtenstein; il se loue beaucoup de la princesse.
Je vous prie de ne pas aigrir Sim[onde de Sismondi] par votre zèle à réclamer notre propriété. Je suis habitué à ce qu’on prenne mes pensées sans me citer; aussitôt imprimées elles sont pour ainsi dire juris publici et le plagiat leur fait au moins courir le monde. Pour les pensées communiquées dans la conversation, cela est différent; c’est un privilège exclusif de l’amitié d’en tirer parti. Le bon Sim[onde]; comme mes 18 princesses lui auroient tourné la tête! Le succès de ses leçons puritaines prouve combien les Genevois sont neufs en littérature. Cependant je ne lui conseillerois pas de changer de théâtre, il n’a pas d’idées comment il faut parler à Paris pour se faire écouter. Ses articles sont rédigés d’une manière inélégante, et pour les connoissances Ginguené lui est infiniment supérieur.
Comment M. Pictet se met-il à traduire un livre aussi médiocre et aussi ridiculement moderne sous un costume antique qu’Agathocle? Nous avons des centaines de nouveaux romans meilleurs que celui-là.
Vous pouviez être sûre que sans être averti je garderai la plus stricte anonymité pour le nouveau traducteur de mon Cours. J’espère que vous avez une lettre où je vous écris amplement sur ce sujet – je regrette de n’avoir pas encore pu trouver un calendrier commode pour y marquer toutes mes lettres.
Je me réjouis que vous fassiez l’article de Camoëns pour la biographie, mais je voudrois être auprès de vous pour vous indiquer les passages peu connus de son poème qui prêtent à des traits éloquents. Ce qu’il y a de beau, c’est que les derniers malheurs du poète sont liés avec la catastrophe tragique du roi Sébastien. Le chantre de l’héroïsme portugais en porta le deuil et peut-être en mourut de chagrin. Ses prophéties sur les grandes destinées du jeune roi ne furent pas remplies.
Il y a dans le journal Europa un très bel article de mon frère sur Camoëns et la Lusiade, je ne sais pas dans lequel des deux volumes – je charge Cachet de vous les apporter, mais je vous prie de taire remettre ces volumes et celui de S[ain]t-Martin dans ma bibliothèque.
En tout cas, n’envoyez pas votre article sans me l’avoir communiqué.
Veuillez donner ordre de payer à Cachet trois louis pour mon compte, qu’il a déboursés en grande partie et qu’il déboursera encore.
Mille adieux, chére amie.
[Vendredi] Berne, ce 10 janvier.
Chère amie, je ne conçois rien à vos plaintes – j’ai écrit tous les jours convenus et plusieurs fois encore les autres courriers – je mets toujours moi-même les lettres dans la boîte et j’ai soin de le faire à tems. Une longueur égale des lettres n’étoit pas dans nos arrangements, au contraire vous m’avez dit qu’il valoit mieux si l’on étoit empêché accidentellement, écrire quelques lignes que différer. Je vous ai écrit dimanche, mais, je crois, directement à Genève, et mardi également.
Il est plus à moi qu’à vous de s’inquiéter lorsque les lettres manquent; vous savez que ma constitution physique et morale est inébranlable; d’ailleurs aucun accident fâcheux n’est à craindre ici – mais je me tourmente de votre santé et je désire ardemment que vous fassiez tout ce que la science de vos médecins peut inventer et que vous veuilliez bien prendre la peine de vous soigner. Il est vrai que le froid doit vous être fort contraire, il me l’est aussi, mais sans me faire d’autres maux que de me tenir enrhumé.
Je vous ai déjà mandé de quelle façon le secrétaire de M. Schr[aut] considère cet article des gazettes qui a attiré votre attention. J’ai une lettre de Frédéric du 4 janvier. Il n’écrit rien sur les événements publics, mais il paroît être en pleine sécurité sur la continuation de l’état actuel. Il se réfère à une lettre précédente qui a été perdue; son domestique aura mis le port des lettres dans sa poche, il s’en est allé après avoir fait beaucoup d’escroqueries. Quoiqu’en général je ne croye pas aux lettres perdues, cette fois-ci cela est assez vraisemblable, puisqu’il a une grande envie d’avoir quelque chose de moi pour son journal et que je lui avois déclaré que son silence m’empêchoit de lui en envoyer davantage.
Son Musée Allemand a commencé à paroître, voici l’annonce; j’espère en recevoir bientôt le premier cahier et je vous l’enverrai aussitôt. Frédéric y a mis un long extrait du nouvel écrit de Jacobi, mais fait assez de ménagement pour l’envoyer à Jacobi lui-même.
Il réitère avec instance sa demande, si vous ne voudriez pas lui donner quelque morceau que je traduirois ou qu’il traduiroit lui-même. Si vous aviez écrit ce que vous vous proposiez sur le suicide de Kleist, cela seroit excellent. Frédéric dit que cet homme confondoit dans la vie comme dans ses productions poétiques la démence avec le génie.
Il falloit faire brocher le livre de Gœthe que j’ai reçu en feuilles, autrement cela vous auroit été fort incommode, mais vous l’aurez infailliblement lundi. Je doute cependant qu’il vous amuse autant que moi – cela finit par la description d’un couronnement entrelacée d’un amour assez vulgaire; en général je reconnois très bien l’homme dans l’enfant. Ceux qui croyent que ce qu’il a fait de plus caractéristique est Werther, ne le trouveront pas. On verra peut-être dans la suite qu’il a fait ce roman plutôt comme organe passif de la sentimentalité contemporaine que comme chef et guide.
Frédéric donne une leçon, je pense d’histoire, aux enfans du Prince Lichtenstein; il se loue beaucoup de la princesse.
Je vous prie de ne pas aigrir Sim[onde de Sismondi] par votre zèle à réclamer notre propriété. Je suis habitué à ce qu’on prenne mes pensées sans me citer; aussitôt imprimées elles sont pour ainsi dire juris publici et le plagiat leur fait au moins courir le monde. Pour les pensées communiquées dans la conversation, cela est différent; c’est un privilège exclusif de l’amitié d’en tirer parti. Le bon Sim[onde]; comme mes 18 princesses lui auroient tourné la tête! Le succès de ses leçons puritaines prouve combien les Genevois sont neufs en littérature. Cependant je ne lui conseillerois pas de changer de théâtre, il n’a pas d’idées comment il faut parler à Paris pour se faire écouter. Ses articles sont rédigés d’une manière inélégante, et pour les connoissances Ginguené lui est infiniment supérieur.
Comment M. Pictet se met-il à traduire un livre aussi médiocre et aussi ridiculement moderne sous un costume antique qu’Agathocle? Nous avons des centaines de nouveaux romans meilleurs que celui-là.
Vous pouviez être sûre que sans être averti je garderai la plus stricte anonymité pour le nouveau traducteur de mon Cours. J’espère que vous avez une lettre où je vous écris amplement sur ce sujet – je regrette de n’avoir pas encore pu trouver un calendrier commode pour y marquer toutes mes lettres.
Je me réjouis que vous fassiez l’article de Camoëns pour la biographie, mais je voudrois être auprès de vous pour vous indiquer les passages peu connus de son poème qui prêtent à des traits éloquents. Ce qu’il y a de beau, c’est que les derniers malheurs du poète sont liés avec la catastrophe tragique du roi Sébastien. Le chantre de l’héroïsme portugais en porta le deuil et peut-être en mourut de chagrin. Ses prophéties sur les grandes destinées du jeune roi ne furent pas remplies.
Il y a dans le journal Europa un très bel article de mon frère sur Camoëns et la Lusiade, je ne sais pas dans lequel des deux volumes – je charge Cachet de vous les apporter, mais je vous prie de taire remettre ces volumes et celui de S[ain]t-Martin dans ma bibliothèque.
En tout cas, n’envoyez pas votre article sans me l’avoir communiqué.
Veuillez donner ordre de payer à Cachet trois louis pour mon compte, qu’il a déboursés en grande partie et qu’il déboursera encore.
Mille adieux, chére amie.
· Übersetzung , 10.01.1812
· Pange, Pauline de: August Wilhelm Schlegel und Frau von Staël. Eine schicksalhafte Begegnung. Nach unveröffentlichten Briefen erzählt von Pauline Gräfin de Pange. Dt. Ausg. von Willy Grabert. Hamburg 1940, S. 272‒274.
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