• August Wilhelm von Schlegel to Anne Louise Germaine de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Oranienburg · Place of Destination: London · Date: 14.08.1813
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Oranienburg
  • Place of Destination: London
  • Date: 14.08.1813
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Pange, Pauline de: Auguste-Guillaume Schlegel et Madame de Staël d’apres des documents inédits. Paris 1938, S. 446‒448.
  • Incipit: „Oranienbourg, ce 14 août 1813.
    Chère amie, je n’ai point de lettre de vous postérieure à celle du 16 juillet. Cependant, nous [...]“
    Language
  • French
Oranienbourg, ce 14 août 1813.
Chère amie, je n’ai point de lettre de vous postérieure à celle du 16 juillet. Cependant, nous avons déjà depuis quelques jours les feuilles angloises jusqu’au 28. A quoi me sert à présent de savoir que vous étiez bien portante et assez heureuse avant l’arrivée de cette affreuse nouvelle? Je me suis épuisé en lettres sur le triste sujet, – vous en aurez déjà reçu les premières – il se peut même que j’aye été prévenu, car j’étais à 30 lieues de distance et Rapatel, qui était présent, m’a dit qu’il avait écrit tout de suite à Madame Moreau. Comment l’aurez-vous supporté, cet affreux coup? Le Prince et tout le monde me demande de vos nouvelles.
Nous sommes ici depuis trois jours, c’est-à-dire le quartier général et toute la suite diplomatique. Le Prince n’est arrivé qu’avant-hier soir, il a été à Stettin pour reconnaître la forteresse. On a lancé quelques grenades qui sont tombées à trente pas de lui. C’est une infamie de la part des Français; s’ils croyaient qu’il dépassait la ligne de démarcation, ils devaient envoyer un parlementaire, mais il paraît qu’ils n’ont pas su qui c’était.
Voici le moment décisif, tout est à la guerre. Le congrès de Prague n’a été qu’une dérision, toutes les négociations se sont bornées à échanger des cartes de visites, même après l’arrivée de Caulaincourt, car M. de Narbonne n’avait point de pleins pouvoirs pour traiter. Gentz est à Prague. Je ne doute pas qu’il n’ait été appelé pour faire le manifeste autrichien. Jusqu’ici il a été le trompette de la neutralité armée, de la médiation, parlant avec mépris du secours à espérer de l’insurrection, de l’exaltation des peuples, etc. A présent, il chantera sur un autre ton. Je suis furieux contre lui, il n’a pas répondu aux envois et aux lettres les plus importantes et, ce qui est pire, il n’en a pas fait l’usage qu’il devait en faire. Mon espérance principale est cependant fondée sur des hommes tels que notre Prince et Moreau, qui actuellement doit être au Quartier Général de l’Emp[ereur] Alexandre, et sur l’esprit national. Les gouvernemens ne feront autre chose que d’être entraînés par la force des circonstances. Nous attendons aujourd’hui un courrier sur la dénonciation de l’armistice. Demain nous allons à Potsdam, à quatre mille en avant de Berlin.
Le Prince Royal commande 120 à 150 m[ille] hommes – peut-être davantage, en y comprenant le corps de Tauenzien, mais aussi sa ligne s’étend depuis Lübeck à Hambourg, ensuite sur tout le bas Elbe et le long des frontières de la Marche jusqu’à l’Oder. Sous lui sont les généraux Wallmoden – qui agira du côté de Holstein et de Hambourg – Woronzoff, Czernischeff, Winzingerode, Bülow et Tauenzien. Que fera Bonap[arte]? Se portera-t-il d’abord en force contre nous pour pénétrer à Berlin, dont ses avant-postes sont peu éloignés? Ou contre l’armée sous Wittgenstein? Ou contre les Autrichiens? Ou restera-t-il au centre pour diriger en même temps toutes les opérations? En huit jours on en saura davantage. En tout cas, on est préparé à le bien recevoir. Jamais il n’y a eu une pareille coalition, jamais il ny a eu de forces aussi respectables, rassemblées de trois côtés. Si cette fois-ci il n’en résulte rien qu’une mauvaise paix ou une mauvaise guerre, ma foi, alors il faut quitter la partie et laisser le monde aller comme il pourra.
L’esprit public en Prusse est, en général, excellent; l’armée s’est couverte de gloire, mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a beaucoup d’intrigues et des partis dans ce pays. Des influences contrariantes se manifestent tout près du centre du gouvernement. On a déjà paralysé ou rétracté en partie la mesure du Landsturm, laquelle certainement était bonne, puisque Bonap[arte] la blâmait avec tant d’insistance, comme une chose insensée. Il faut surtout se méfier de la Colonie française. Il peut y avoir des exceptions, mais en général c’est une mauvaise engeance qui s’est aussi peu identifiée avec l’Etat que les juifs. Déjà en 1806 Bonap[arte] avait fait de plusieurs individus des instrumens fort complaisants, en flattant leur amour-propre de Français. On décrie ceux qui ont des sentiments vraiment germaniques comme des révolutionnaires, qui veulent ruiner le pouvoir monarchique. Un officier du corps de Lützow m’a communiqué là-dessus un mémoire fort curieux. Il faut attribuer à ces mêmes influences la singulière censure qui s’exerce à Berlin. Figurez-vous qu’on y a supprimé l’original de ma brochure sur le Danemark, et refusé l’impression de la traduction française. Mon manuscrit est encore entre les mains du chancelier d’Etat Hardenberg. On m’a voulu faire envisager toute la chose comme un simple mésentendu occasionné par l’annonce de mon écrit dans le Correspondant Prussien, faite par Schleiermacher. Mais si vous avez lu ce petit écrit, vous serez sûrement étonnée de sa condamnation.
Mon ami Fouqué – l’auteur d’Undine, puisque vous ne connaissez pas ses autres poésies, – est aussi dans les rangs; il a été aux grandes batailles, a eu un cheval tué sous lui, mais il ne m’én dit rien; il dit seulement que Dieu l’a merveilleusement protégé, et que le combat terminé, il compte encore faire beaucoup de poésies. C’est un troubadour qui chante et fait la guerre. Il a mis en romance une charmante anecdote d’une jeune fille qui sauva un des noirs des volontaires de Lützow aux dépens de sa réputation. Le chasseur était prisonnier par la (sic) surprise pendant l’armistice. Il sort d’un cachot par un souterrain, il se trouve dans un jardin où cette fille cueille des herbes. Il s’adresse à elle; mais comment échapper à la sentinelle qui est devant la porte? Elle lui donne un bouquet: – Vous me rendrez ce bouquet, dit-elle, et vous direz: N’est-ce pas, ce soir à la brune, je puis vous attendre ici? – C’est ainsi qu’il s'évada sans exciter du soupçon. Une veuve, Mad[ame] Schierstadt, a fait mettre dans les gazettes qu’elle a perdu ses trois fils au champ d’honneur. Gröben doit avoir perdu un frère. Un professeur Jahn, connu par quelques écrits patriotiques, est chef de bataillon dans le corps de Lützow, plusieurs écoliers l’ont suivi, d’autres ont fourni les frais d’équipement. Il y aurait mille traits de ce genre à raconter.
En général, je pense que la guerre mettra de côté tout ce qui n’est pas pur, et qu’elle fera passer la nation au creuset.
Je conçois votre douleur quand vous pensez qu’Albert n’y est plus, qu’il a péri précisément au moment où il aurait pu se distinguer et se montrer digne de vous. Quel vertige, quelle affreuse fatalité l’a enlevé!
Adieu, chère amie, je vous écrirai incessamment. Que Dieu nous accorde une bonne victoire.
Oranienbourg, ce 14 août 1813.
Chère amie, je n’ai point de lettre de vous postérieure à celle du 16 juillet. Cependant, nous avons déjà depuis quelques jours les feuilles angloises jusqu’au 28. A quoi me sert à présent de savoir que vous étiez bien portante et assez heureuse avant l’arrivée de cette affreuse nouvelle? Je me suis épuisé en lettres sur le triste sujet, – vous en aurez déjà reçu les premières – il se peut même que j’aye été prévenu, car j’étais à 30 lieues de distance et Rapatel, qui était présent, m’a dit qu’il avait écrit tout de suite à Madame Moreau. Comment l’aurez-vous supporté, cet affreux coup? Le Prince et tout le monde me demande de vos nouvelles.
Nous sommes ici depuis trois jours, c’est-à-dire le quartier général et toute la suite diplomatique. Le Prince n’est arrivé qu’avant-hier soir, il a été à Stettin pour reconnaître la forteresse. On a lancé quelques grenades qui sont tombées à trente pas de lui. C’est une infamie de la part des Français; s’ils croyaient qu’il dépassait la ligne de démarcation, ils devaient envoyer un parlementaire, mais il paraît qu’ils n’ont pas su qui c’était.
Voici le moment décisif, tout est à la guerre. Le congrès de Prague n’a été qu’une dérision, toutes les négociations se sont bornées à échanger des cartes de visites, même après l’arrivée de Caulaincourt, car M. de Narbonne n’avait point de pleins pouvoirs pour traiter. Gentz est à Prague. Je ne doute pas qu’il n’ait été appelé pour faire le manifeste autrichien. Jusqu’ici il a été le trompette de la neutralité armée, de la médiation, parlant avec mépris du secours à espérer de l’insurrection, de l’exaltation des peuples, etc. A présent, il chantera sur un autre ton. Je suis furieux contre lui, il n’a pas répondu aux envois et aux lettres les plus importantes et, ce qui est pire, il n’en a pas fait l’usage qu’il devait en faire. Mon espérance principale est cependant fondée sur des hommes tels que notre Prince et Moreau, qui actuellement doit être au Quartier Général de l’Emp[ereur] Alexandre, et sur l’esprit national. Les gouvernemens ne feront autre chose que d’être entraînés par la force des circonstances. Nous attendons aujourd’hui un courrier sur la dénonciation de l’armistice. Demain nous allons à Potsdam, à quatre mille en avant de Berlin.
Le Prince Royal commande 120 à 150 m[ille] hommes – peut-être davantage, en y comprenant le corps de Tauenzien, mais aussi sa ligne s’étend depuis Lübeck à Hambourg, ensuite sur tout le bas Elbe et le long des frontières de la Marche jusqu’à l’Oder. Sous lui sont les généraux Wallmoden – qui agira du côté de Holstein et de Hambourg – Woronzoff, Czernischeff, Winzingerode, Bülow et Tauenzien. Que fera Bonap[arte]? Se portera-t-il d’abord en force contre nous pour pénétrer à Berlin, dont ses avant-postes sont peu éloignés? Ou contre l’armée sous Wittgenstein? Ou contre les Autrichiens? Ou restera-t-il au centre pour diriger en même temps toutes les opérations? En huit jours on en saura davantage. En tout cas, on est préparé à le bien recevoir. Jamais il n’y a eu une pareille coalition, jamais il ny a eu de forces aussi respectables, rassemblées de trois côtés. Si cette fois-ci il n’en résulte rien qu’une mauvaise paix ou une mauvaise guerre, ma foi, alors il faut quitter la partie et laisser le monde aller comme il pourra.
L’esprit public en Prusse est, en général, excellent; l’armée s’est couverte de gloire, mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a beaucoup d’intrigues et des partis dans ce pays. Des influences contrariantes se manifestent tout près du centre du gouvernement. On a déjà paralysé ou rétracté en partie la mesure du Landsturm, laquelle certainement était bonne, puisque Bonap[arte] la blâmait avec tant d’insistance, comme une chose insensée. Il faut surtout se méfier de la Colonie française. Il peut y avoir des exceptions, mais en général c’est une mauvaise engeance qui s’est aussi peu identifiée avec l’Etat que les juifs. Déjà en 1806 Bonap[arte] avait fait de plusieurs individus des instrumens fort complaisants, en flattant leur amour-propre de Français. On décrie ceux qui ont des sentiments vraiment germaniques comme des révolutionnaires, qui veulent ruiner le pouvoir monarchique. Un officier du corps de Lützow m’a communiqué là-dessus un mémoire fort curieux. Il faut attribuer à ces mêmes influences la singulière censure qui s’exerce à Berlin. Figurez-vous qu’on y a supprimé l’original de ma brochure sur le Danemark, et refusé l’impression de la traduction française. Mon manuscrit est encore entre les mains du chancelier d’Etat Hardenberg. On m’a voulu faire envisager toute la chose comme un simple mésentendu occasionné par l’annonce de mon écrit dans le Correspondant Prussien, faite par Schleiermacher. Mais si vous avez lu ce petit écrit, vous serez sûrement étonnée de sa condamnation.
Mon ami Fouqué – l’auteur d’Undine, puisque vous ne connaissez pas ses autres poésies, – est aussi dans les rangs; il a été aux grandes batailles, a eu un cheval tué sous lui, mais il ne m’én dit rien; il dit seulement que Dieu l’a merveilleusement protégé, et que le combat terminé, il compte encore faire beaucoup de poésies. C’est un troubadour qui chante et fait la guerre. Il a mis en romance une charmante anecdote d’une jeune fille qui sauva un des noirs des volontaires de Lützow aux dépens de sa réputation. Le chasseur était prisonnier par la (sic) surprise pendant l’armistice. Il sort d’un cachot par un souterrain, il se trouve dans un jardin où cette fille cueille des herbes. Il s’adresse à elle; mais comment échapper à la sentinelle qui est devant la porte? Elle lui donne un bouquet: – Vous me rendrez ce bouquet, dit-elle, et vous direz: N’est-ce pas, ce soir à la brune, je puis vous attendre ici? – C’est ainsi qu’il s'évada sans exciter du soupçon. Une veuve, Mad[ame] Schierstadt, a fait mettre dans les gazettes qu’elle a perdu ses trois fils au champ d’honneur. Gröben doit avoir perdu un frère. Un professeur Jahn, connu par quelques écrits patriotiques, est chef de bataillon dans le corps de Lützow, plusieurs écoliers l’ont suivi, d’autres ont fourni les frais d’équipement. Il y aurait mille traits de ce genre à raconter.
En général, je pense que la guerre mettra de côté tout ce qui n’est pas pur, et qu’elle fera passer la nation au creuset.
Je conçois votre douleur quand vous pensez qu’Albert n’y est plus, qu’il a péri précisément au moment où il aurait pu se distinguer et se montrer digne de vous. Quel vertige, quelle affreuse fatalité l’a enlevé!
Adieu, chère amie, je vous écrirai incessamment. Que Dieu nous accorde une bonne victoire.
· Übersetzung , 14.08.1813
· Pange, Pauline de: August Wilhelm Schlegel und Frau von Staël. Eine schicksalhafte Begegnung. Nach unveröffentlichten Briefen erzählt von Pauline Gräfin de Pange. Dt. Ausg. von Willy Grabert. Hamburg 1940, S. 365–367.
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