• August Wilhelm von Schlegel to Anne Louise Germaine de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Kiel · Place of Destination: London · Date: 17.12.1813
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Kiel
  • Place of Destination: London
  • Date: 17.12.1813
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Pange, Pauline de: Auguste-Guillaume Schlegel et Madame de Staël d’apres des documents inédits. Paris 1938, S. 473‒476.
  • Incipit: „Kiel ce 17 10re 1813.
    Chère amie, en arrivant ici, à mon grand chagrin, j’ai trouvé une lettre de votre part, qui [...]“
    Language
  • French
Kiel ce 17 10re 1813.
Chère amie, en arrivant ici, à mon grand chagrin, j’ai trouvé une lettre de votre part, qui ne contenait que des reproches au lieu de félicitations mutuelles. Vous aurez reçu les miennes, vous aurez vu que dans mes vœux pour la grande cause je ne perds jamais de vue les intérêts de notre amitié, et vous vous serez repentie d’avoir écrit cette lettre sur laquelle j’étais tenté de m’écrier en vrai pessimiste:
Maudite invention que celle de la poste, si elle ne sert qu’à „waft à quarrel from Indus to the Pole“. Enfin je vous ai fait un long manifeste justificatif, qui partira en même temps avec cette lettre, le courrier ayant été différé. Parlons de quelque chose de réel, de la consommation de l’œuvre, car c’est de quoi notre destinée à nous tous deux dépend.
Je ne vous le cache pas, je suis rempli de soucis. On n’a pas tiré tout le parti des glorieux événements de Leipzig qu’on aurait pu en tirer. Si l’on avait suivi avec la même rapidité avec laquelle Blücher avait marché du fond de la Lusace jusqu’à Halle, avec laquelle Wrede a marché de Braunau à Hannau, on aurait pu anéantir Bonaparte. Il y a quelques lenteurs dans les mouvements de la grande armée. Hanau n’était pas comme la Bérésina, où Tchitchagoff se trouva en défaut; au contraire Wrede a fait tout ce qui fut humainement possible – mais l’ennemi avait devancé de trop loin ceux qui le suivaient, de sorte que les Bavarois l’eurent tout entier sur le corps. Czernicheff, appartenant à notre armée, fut le seul qui fît une diversion en leur faveur. L’armée du Nord était la plus en arrière, puis-qu’elle avait attaqué Leipzig du côté oriental – d’ailleurs tant de monde ne pouvant pas passer par le même chemin, nous avons dû marcher par des routes presque impraticables, et sur une ligne latérale qui nous écartait de plus en plus. Enfin Abiit, evasit, erupit!
C’était au commencement de novembre, Qu’a-t-on fait pendant les six semaines qui se sont écoulées depuis? L’armée du Nord a été fort active – elle a purgé les côtes, provoqué et soutenu l’insurrection d’Hollande, passé en partie l’Elbe et conquis le Holstein, pour mettre enfin les Danois à la raison. Mais qu’a-t-on fait dans le midi? On est resté stationnaire sur la rive droite du Rhin. Je pense qu’on aurait pu passer, qu’on avait assez de monde pour masquer les forteresses en marchant tout droit à (sic) Paris. Jugez combien peu de troupes il devait y avoir dans l’intérieur, puisque j’ai les preuves authentiques entre les mains qu’à la fin de septembre il n’y avait à Paris et dans toute la première division guère plus de 2.000 hommes disponibles. Si l’on trouvait ce plan trop risqué on pouvait au moins marcher avec 60.000 h[ommes] vers la Suisse – forcer la main à ses chefs si pusillanimes dans leur adhésion à la France, tandis que toutes les autres nations se réunissent, passer le Rhin en Suisse, passer le Jura qui est sans défense, prendre l’Italie à revers et placer le Vice-Roi entre deux feux. On pouvait envoyer au moins un habile partisan avec des Cosaques par le Midi, porter nos salutations à Lord Wellington. Cela aurait été beau à cause du brillant de la chose, et pour jeter partout le désordre et la terreur. Cette course pouvait en même temps servir pour faire pénétrer des adresses solennelles au peuple français. Vous verrez par la déclaration du 10er déc[embre] que les Alliés ont négocié, qu’ils ont de nouveau offert la base de Lunéville. Cela a été rejeté, et ils appellent à la nation française. C’est quelque chose! mais avec quels ménagemens le font-ils? Ces mots: „Sa Majesté l’Empereur des Français“ me font mal aux yeux. L’élan des nations est superbe, on pourrait en tirer tout le parti imaginable, mais je crains les puissances – c’est-à-dire les faiblesses, les arrière-pensées, les vacillations, les demi-mesures.
Si la paix se fait, même bonne en apparence, sans que Napoléon soit détrôné, ce sera à recommencer en deux ans d’ici. Alors on ne retrouvera plus la même exaltation des peuples, et il sera impossible de former une pareille coalition. Un autre désavantage d’une fin prématurée de cette grande lutte, c’est que le système de défense nationale, qui aujourd’hui s’organise partout, n’aura pas encore pu être mis à l’épreuve dans beaucoup de pays. D’abord le Continent serait peut-être bon à habiter pour nous autres, mais ensuite les ménagemens envers l’homme resté puissant reprendraient peu à peu le dessus, et on ne pourrait plus exister, ni surtout écrire librement.
Les Suisses proclament niaisement leur neutralité, tandis qu’ils sont les vassaux de la France, et que l’ambassadeur de France préside ouvertement à leur diète. On paraît la leur accorder; j’en suis stupéfait, surtout parce que Metternich me dit à Leipzig quelques mots sur la Suisse qui me firent augurer tout autre chose. On a un respect bien superstitieux pour ce pays – il est estimable dans son administration, mais pitoyable dans les relations extérieures. Il faudrait se bien pénétrer du principe de la comédie: point d’argent, point de Suisses. On irait fort loin avec 50 m[ille] écus, en distribuant des dons aux chefs et en leur assignant des pensions pour autant que la Suisse resterait détachée du système français. Les rois de France l’ont toujours fait, et Bonaparte est le premier qui leur impose assez pour les avoir à ses ordres sans donner des pensions. Pour reprendre une existence européenne, la Suisse doit se lier à la Fédération Germanique et en accepter la garantie; elle doit ravoir ses provinces démembrées, surtout le Valais. Comment les alliés pourraient consentir à ce que Bonaparte gardât la route du Simplon pour jeter une armée en cœur de l’Italie quand il lui plaira? Il serait aussi fort souhaitable pour nous autres, et je pense pour tout le monde, que Genève fût rendu à la Suisse, à son industrie et aux lumières.
On devrait se rendre un compte précis du but auquel on tend, et puis vouloir aussi les moyens. Voici une note très lumineuse écrite par B[enjamin] C[onstant]. Je l’ai envoyée à Franckfort – il s’est offert pour cette mission. Montrez-la à Lord Castlereagh aussitôt que vous en avez l’occasion. L’Angleterre devrait aussi avoir un agent en Suisse.
Au nom du ciel, parlez donc à ces messieurs avec la plus grande force sur la nécessité de susciter à Bonaparte une opposition dans l’intérieur; on doit employer toutes les voyes, ne regarder à aucune dépense pour multiplier et faire pénétrer en France des écrits qui tendent à cela. Je vous en envoye un par ce courrier, les Remarques sur la Gazette de Leipzig. Elles ont beaucoup de succès en Allemagne – je me flatte d’obtenir votre suffrage. J’ai tout un volume prêt pour l’impression – c’est un choix des dépêches et lettres interceptées avec une préface et des notes. C’est principalement pour ce travail que je suis resté à Goettingue mais j’ai trouvé le Prince si occupé que je n’ai pas pu encore obtenir l’autorisation pour procéder à la publication, et malheureusement M. de Wetterstedt, qui pourrait y contribuer, est toujours absent au congrès de Franckfort. J’ai préparé deux copies pour en envoyer une en Angleterre, cela doit me valoir de l’argent.
La série complète de nos bulletins serait aussi très bonne à répandre en France. Je l’ai fait réimprimer – mais par le désordre des postes le paquet n’est pas encore arrivé, autrement je vous enverrais des exemplaires.
Vous aurez eu mon écrit allemand sur la politique du Danemark publié déjà pendant l’armistice. Cela est suranné à présent; d’ailleurs cela a un but particulier et ne regarde pas la France. Une traduction en anglais n’aurait cependant pas été superflue, puisqu’on tâche de fausser l’opinion par des écrits tels que On the meditated attack upon Norway with strictury, où l’on vous attribue l’écrit sur le système continental, et imagine de le réfuter d’après une traduction absurde. Quel est donc l’animal bipède qui a écrit cela? Il a l’air d’avoir été un commis-voyageur en Norvège.
C[onstant] envisage les affaires générales entièrement comme moi. Nous avons causé à Hanovre constamment sur la grande œuvre. Il a beaucoup vu le P[rince] R[oyal] lors de son passage, il a été fort bien accueilli par lui. Mais à présent il se trouve isolé, et c’est un homme qui a besoin d’être animé pour ne pas retomber dans l’indécision. Signeul est aussi parfaitement d’accord avec moi – il paraît de temps en temps au Quartier G[énéral] pour y prophétiser comme Cassandre.
Nous avons regretté tous unanimement que la nécessité des opérations militaires écarte en ce moment notre héros du centre des événemens et des frontières de France. Je craignais de nous voir fourvoyés entièrement dans cette péninsule cimbrique ou cimmérique. Voilà cependant l’armistice, il faut voir s’il conduira à quelque chose.
Vous vous faites une idée entièrement fausse de ma situation personnelle. Le P[rince] me témoigne de la bienveillance, je crois qu’il rend justice à mes sentimens et à mes facultés, mais j’ai beaucoup trop peu d’accès auprès de lui pour être vraiment utile. Je pourrais faire beaucoup plus que je ne fais si j’étais employé. Souvent il me faut attendre longtems quelques minutes d’entretien – le temps qui m’est accordé ne suffit pas pour développer mes idées et les faire adopter – cependant je n’ai jamais négligé aucune occasion de parler de vous et d’Auguste. La presse des personnes et des affaires est en effet extrêmement grande et il n’est pas dans mon caractère d’être toujours sur les bords de la piscine. Ne parlez de cela à personne aussi longtemps que les événemens vont leur train et qu’il n’y a rien de définitivement fixé, j’attendrai patiemment qu’il s’opère là-dedans un changement favorable. Ah! si nos vœux secrets se réalisaient on pourrait tout combiner: la jouissance de l’amitié et une carrière publique.
Je vois clairement que l’Angleterre ne vous convient pas, qu’elle produit un effet fâcheux sur votre imagination – enfin que vous avez des atteintes de spleen. Cependant ne la quittez pas trop tôt – je voudrais pouvoir vous y rejoindre auparavant, et à la première occasion je demanderai un congé pour y aller – à présent c’est un voyage bien court.
Chère amie, ne vous fâchez pas de ce que je vous parle toujours affaires, c’est au fond parler de notre avenir, car toute la vie dépend de ce qui peut être obtenu dans cette époque.
J’aurais un tas de choses à vous dire. Que dis-je un tas – ce sont des monceaux, des montagnes – mais par où commencer et où finir?
Baudissin est dans l’administration provisoire de ce pays – cela l’occupe extrêmement et je l’en verrai moins. Vous n’avez aucune idée comme le gouvernement danois est détesté ici – tout le monde désire que ce pays soit soustrait à la loi royale et redevienne vraiment allemand – un changement quelconque qui tendrait à cela serait reçu avec joye, mais personne ne veut risquer ses pattes pour tirer les chataignes du feu. Je me suis bien informé de l’état des choses à Hannovre – les choses n’y vont pas comme elles devraient, ou plutôt elles ne marchent pas du tout. On n’est plus à la hauteur de l’Allemagne retrempée. L’arrivée de M. de Munster peut seule remédier à cela, on le dit en chemin. Aussitôt que je pourrai je vous enverrai là-dessus un mémoire détaillé.
Kiel ce 17 10re 1813.
Chère amie, en arrivant ici, à mon grand chagrin, j’ai trouvé une lettre de votre part, qui ne contenait que des reproches au lieu de félicitations mutuelles. Vous aurez reçu les miennes, vous aurez vu que dans mes vœux pour la grande cause je ne perds jamais de vue les intérêts de notre amitié, et vous vous serez repentie d’avoir écrit cette lettre sur laquelle j’étais tenté de m’écrier en vrai pessimiste:
Maudite invention que celle de la poste, si elle ne sert qu’à „waft à quarrel from Indus to the Pole“. Enfin je vous ai fait un long manifeste justificatif, qui partira en même temps avec cette lettre, le courrier ayant été différé. Parlons de quelque chose de réel, de la consommation de l’œuvre, car c’est de quoi notre destinée à nous tous deux dépend.
Je ne vous le cache pas, je suis rempli de soucis. On n’a pas tiré tout le parti des glorieux événements de Leipzig qu’on aurait pu en tirer. Si l’on avait suivi avec la même rapidité avec laquelle Blücher avait marché du fond de la Lusace jusqu’à Halle, avec laquelle Wrede a marché de Braunau à Hannau, on aurait pu anéantir Bonaparte. Il y a quelques lenteurs dans les mouvements de la grande armée. Hanau n’était pas comme la Bérésina, où Tchitchagoff se trouva en défaut; au contraire Wrede a fait tout ce qui fut humainement possible – mais l’ennemi avait devancé de trop loin ceux qui le suivaient, de sorte que les Bavarois l’eurent tout entier sur le corps. Czernicheff, appartenant à notre armée, fut le seul qui fît une diversion en leur faveur. L’armée du Nord était la plus en arrière, puis-qu’elle avait attaqué Leipzig du côté oriental – d’ailleurs tant de monde ne pouvant pas passer par le même chemin, nous avons dû marcher par des routes presque impraticables, et sur une ligne latérale qui nous écartait de plus en plus. Enfin Abiit, evasit, erupit!
C’était au commencement de novembre, Qu’a-t-on fait pendant les six semaines qui se sont écoulées depuis? L’armée du Nord a été fort active – elle a purgé les côtes, provoqué et soutenu l’insurrection d’Hollande, passé en partie l’Elbe et conquis le Holstein, pour mettre enfin les Danois à la raison. Mais qu’a-t-on fait dans le midi? On est resté stationnaire sur la rive droite du Rhin. Je pense qu’on aurait pu passer, qu’on avait assez de monde pour masquer les forteresses en marchant tout droit à (sic) Paris. Jugez combien peu de troupes il devait y avoir dans l’intérieur, puisque j’ai les preuves authentiques entre les mains qu’à la fin de septembre il n’y avait à Paris et dans toute la première division guère plus de 2.000 hommes disponibles. Si l’on trouvait ce plan trop risqué on pouvait au moins marcher avec 60.000 h[ommes] vers la Suisse – forcer la main à ses chefs si pusillanimes dans leur adhésion à la France, tandis que toutes les autres nations se réunissent, passer le Rhin en Suisse, passer le Jura qui est sans défense, prendre l’Italie à revers et placer le Vice-Roi entre deux feux. On pouvait envoyer au moins un habile partisan avec des Cosaques par le Midi, porter nos salutations à Lord Wellington. Cela aurait été beau à cause du brillant de la chose, et pour jeter partout le désordre et la terreur. Cette course pouvait en même temps servir pour faire pénétrer des adresses solennelles au peuple français. Vous verrez par la déclaration du 10er déc[embre] que les Alliés ont négocié, qu’ils ont de nouveau offert la base de Lunéville. Cela a été rejeté, et ils appellent à la nation française. C’est quelque chose! mais avec quels ménagemens le font-ils? Ces mots: „Sa Majesté l’Empereur des Français“ me font mal aux yeux. L’élan des nations est superbe, on pourrait en tirer tout le parti imaginable, mais je crains les puissances – c’est-à-dire les faiblesses, les arrière-pensées, les vacillations, les demi-mesures.
Si la paix se fait, même bonne en apparence, sans que Napoléon soit détrôné, ce sera à recommencer en deux ans d’ici. Alors on ne retrouvera plus la même exaltation des peuples, et il sera impossible de former une pareille coalition. Un autre désavantage d’une fin prématurée de cette grande lutte, c’est que le système de défense nationale, qui aujourd’hui s’organise partout, n’aura pas encore pu être mis à l’épreuve dans beaucoup de pays. D’abord le Continent serait peut-être bon à habiter pour nous autres, mais ensuite les ménagemens envers l’homme resté puissant reprendraient peu à peu le dessus, et on ne pourrait plus exister, ni surtout écrire librement.
Les Suisses proclament niaisement leur neutralité, tandis qu’ils sont les vassaux de la France, et que l’ambassadeur de France préside ouvertement à leur diète. On paraît la leur accorder; j’en suis stupéfait, surtout parce que Metternich me dit à Leipzig quelques mots sur la Suisse qui me firent augurer tout autre chose. On a un respect bien superstitieux pour ce pays – il est estimable dans son administration, mais pitoyable dans les relations extérieures. Il faudrait se bien pénétrer du principe de la comédie: point d’argent, point de Suisses. On irait fort loin avec 50 m[ille] écus, en distribuant des dons aux chefs et en leur assignant des pensions pour autant que la Suisse resterait détachée du système français. Les rois de France l’ont toujours fait, et Bonaparte est le premier qui leur impose assez pour les avoir à ses ordres sans donner des pensions. Pour reprendre une existence européenne, la Suisse doit se lier à la Fédération Germanique et en accepter la garantie; elle doit ravoir ses provinces démembrées, surtout le Valais. Comment les alliés pourraient consentir à ce que Bonaparte gardât la route du Simplon pour jeter une armée en cœur de l’Italie quand il lui plaira? Il serait aussi fort souhaitable pour nous autres, et je pense pour tout le monde, que Genève fût rendu à la Suisse, à son industrie et aux lumières.
On devrait se rendre un compte précis du but auquel on tend, et puis vouloir aussi les moyens. Voici une note très lumineuse écrite par B[enjamin] C[onstant]. Je l’ai envoyée à Franckfort – il s’est offert pour cette mission. Montrez-la à Lord Castlereagh aussitôt que vous en avez l’occasion. L’Angleterre devrait aussi avoir un agent en Suisse.
Au nom du ciel, parlez donc à ces messieurs avec la plus grande force sur la nécessité de susciter à Bonaparte une opposition dans l’intérieur; on doit employer toutes les voyes, ne regarder à aucune dépense pour multiplier et faire pénétrer en France des écrits qui tendent à cela. Je vous en envoye un par ce courrier, les Remarques sur la Gazette de Leipzig. Elles ont beaucoup de succès en Allemagne – je me flatte d’obtenir votre suffrage. J’ai tout un volume prêt pour l’impression – c’est un choix des dépêches et lettres interceptées avec une préface et des notes. C’est principalement pour ce travail que je suis resté à Goettingue mais j’ai trouvé le Prince si occupé que je n’ai pas pu encore obtenir l’autorisation pour procéder à la publication, et malheureusement M. de Wetterstedt, qui pourrait y contribuer, est toujours absent au congrès de Franckfort. J’ai préparé deux copies pour en envoyer une en Angleterre, cela doit me valoir de l’argent.
La série complète de nos bulletins serait aussi très bonne à répandre en France. Je l’ai fait réimprimer – mais par le désordre des postes le paquet n’est pas encore arrivé, autrement je vous enverrais des exemplaires.
Vous aurez eu mon écrit allemand sur la politique du Danemark publié déjà pendant l’armistice. Cela est suranné à présent; d’ailleurs cela a un but particulier et ne regarde pas la France. Une traduction en anglais n’aurait cependant pas été superflue, puisqu’on tâche de fausser l’opinion par des écrits tels que On the meditated attack upon Norway with strictury, où l’on vous attribue l’écrit sur le système continental, et imagine de le réfuter d’après une traduction absurde. Quel est donc l’animal bipède qui a écrit cela? Il a l’air d’avoir été un commis-voyageur en Norvège.
C[onstant] envisage les affaires générales entièrement comme moi. Nous avons causé à Hanovre constamment sur la grande œuvre. Il a beaucoup vu le P[rince] R[oyal] lors de son passage, il a été fort bien accueilli par lui. Mais à présent il se trouve isolé, et c’est un homme qui a besoin d’être animé pour ne pas retomber dans l’indécision. Signeul est aussi parfaitement d’accord avec moi – il paraît de temps en temps au Quartier G[énéral] pour y prophétiser comme Cassandre.
Nous avons regretté tous unanimement que la nécessité des opérations militaires écarte en ce moment notre héros du centre des événemens et des frontières de France. Je craignais de nous voir fourvoyés entièrement dans cette péninsule cimbrique ou cimmérique. Voilà cependant l’armistice, il faut voir s’il conduira à quelque chose.
Vous vous faites une idée entièrement fausse de ma situation personnelle. Le P[rince] me témoigne de la bienveillance, je crois qu’il rend justice à mes sentimens et à mes facultés, mais j’ai beaucoup trop peu d’accès auprès de lui pour être vraiment utile. Je pourrais faire beaucoup plus que je ne fais si j’étais employé. Souvent il me faut attendre longtems quelques minutes d’entretien – le temps qui m’est accordé ne suffit pas pour développer mes idées et les faire adopter – cependant je n’ai jamais négligé aucune occasion de parler de vous et d’Auguste. La presse des personnes et des affaires est en effet extrêmement grande et il n’est pas dans mon caractère d’être toujours sur les bords de la piscine. Ne parlez de cela à personne aussi longtemps que les événemens vont leur train et qu’il n’y a rien de définitivement fixé, j’attendrai patiemment qu’il s’opère là-dedans un changement favorable. Ah! si nos vœux secrets se réalisaient on pourrait tout combiner: la jouissance de l’amitié et une carrière publique.
Je vois clairement que l’Angleterre ne vous convient pas, qu’elle produit un effet fâcheux sur votre imagination – enfin que vous avez des atteintes de spleen. Cependant ne la quittez pas trop tôt – je voudrais pouvoir vous y rejoindre auparavant, et à la première occasion je demanderai un congé pour y aller – à présent c’est un voyage bien court.
Chère amie, ne vous fâchez pas de ce que je vous parle toujours affaires, c’est au fond parler de notre avenir, car toute la vie dépend de ce qui peut être obtenu dans cette époque.
J’aurais un tas de choses à vous dire. Que dis-je un tas – ce sont des monceaux, des montagnes – mais par où commencer et où finir?
Baudissin est dans l’administration provisoire de ce pays – cela l’occupe extrêmement et je l’en verrai moins. Vous n’avez aucune idée comme le gouvernement danois est détesté ici – tout le monde désire que ce pays soit soustrait à la loi royale et redevienne vraiment allemand – un changement quelconque qui tendrait à cela serait reçu avec joye, mais personne ne veut risquer ses pattes pour tirer les chataignes du feu. Je me suis bien informé de l’état des choses à Hannovre – les choses n’y vont pas comme elles devraient, ou plutôt elles ne marchent pas du tout. On n’est plus à la hauteur de l’Allemagne retrempée. L’arrivée de M. de Munster peut seule remédier à cela, on le dit en chemin. Aussitôt que je pourrai je vous enverrai là-dessus un mémoire détaillé.
· Übersetzung , 17.12.1813
· Pange, Pauline de: August Wilhelm Schlegel und Frau von Staël. Eine schicksalhafte Begegnung. Nach unveröffentlichten Briefen erzählt von Pauline Gräfin de Pange. Dt. Ausg. von Willy Grabert. Hamburg 1940, S. 391–395.
×
×