• August Wilhelm von Schlegel to Auguste Louis de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Heidelberg · Place of Destination: Coppet · Date: 02.07.1818 bis 03.07.1818
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Auguste Louis de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Heidelberg
  • Place of Destination: Coppet
  • Date: 02.07.1818 bis 03.07.1818
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 306‒311.
  • Incipit: „Heidelberg 2 Juillet 1818
    Je viens de recevoir votre lettre du 24 Juin – la derniere de votre sœur étoit du 15, [...]“
    Language
  • French
Heidelberg 2 Juillet 1818
Je viens de recevoir votre lettre du 24 Juin – la derniere de votre sœur étoit du 15, il nʼy a que neuf jours dʼintervalle et cependant cela mʼa paru assez long, et jʼattendois avec impatience des nouvelles de la famille. Comme le Baaron du chateau, mon cher Auguste, veillez à ce que jʼaye une lettre par semaine, et si vous nʼécrivez pas vous même, faites écrire vos vassaux. Il est vrai que je suis en retard vis-à-vis de vous, nʼayant pas encore répondu à votre derniere lettre de Paris. Mais pensez aussi que je ne suis quʼun seul paresseux pour repondre à plusieurs, quʼune partie de mes lettres sʼadresse à vous tous, et quʼelles sont en général plus longues que les vôtres.
Je puis vous donner des nouvelles de Madame de St. Aulaire et de fort bonnes. Il paroît que ces eaux miraculeuses font beaucoup de bien à sa santé. Mon frère est de retour de Wisbade à Francfort – il me mande quʼil sʼest dʼabord offert comme guide; et quʼil a tous les jours accompagné Madame de St. Aulaire dans ses courses en voiture et ses promenades. Ainsi vous voyez quʼelle nʼétoit point indisposée, et quʼelle suivoit le régime prescrit, puisquʼil faut être toujours au grand air et faire beaucoup dʼexercice. Au reste Frédéric me remercie infiniment de lʼavoir introduit à la connoissance dʼune personne aussi aimable et spirituelle, et je vous renvoye sa reconnoissance. Reste à savoir si Madame de St. Aulaire a été également contente des soins de mon gros réprésentant. Si jʼavois su lʼépoque précise de son arrivée, jʼaurois passé quelques jours à Wisbade, mais jʼavois épuisé le cercle diplomatique de Francfort, et jʼétois impatient de me remettre un peu au travail. Dʼaprès la lettre de Fréderic, Mr. de St. Aulaire doit arriver prochainement, du Danemarc je pense, et ils comptent passer ici en dix jours. Jʼécris à Madame de St. Aulaire pour la prier dʼarranger son voyage de maniere à passer un ou deux jours à Heidelberg. Ce pays délicieux en vaut vraiment la peine.
Je vous envoye quelques feuilles de gazettes qui vous feront voir au moins que lʼouvrage est reçu en Allemagne avec beaucoup dʼenthousiasme. Ce ne sont que de simples annonces – aussi il nʼen faut pas davantage. Celle dans les Annales de Heidelberg, est de Mr. Paulus, célèbre professeur en théologie; ce que jʼai coupé nʼest que la table des matières. Lʼextrait dans la Gazette de Spire peut vous donner une idée de la traduction allemande. Tout se fait plus lentement en Allemagne, ainsi je ne puis rien vous dire encore du debit – mais je ne doute pas quʼil ne soit considérable; ils ont imprimé 2500 exemplaires. Nʼavez-vous rien de Londres? Je nʼai point eu de réponse de Baldwin à ma derniere lettre – je ne trouve pas cela fort amical.
Jʼai eu la visite dʼun libraire Allemand établi à Londres, qui mʼassure quʼon lit en Angleterre mes ouvrages même dans lʼoriginal; surtout ma traduction de Shakspeare.
Je vivotte ici bourgeoisement, mais assez agréablement – jʼai des manuscrits de la bibliotheque à examiner et à copier, je parcours une foule de nouveaux livres dont je nʼavois pas eu connoissance – et le soir, en me promenant avec quelques professeurs, je fais des étymologies pour me delasser. Jean Paul nʼest plus mon voisin – nous étions à merveille ensemble au commencement, ensuite il est devenu jaloux de ce quʼon me faisoit autant dʼaccueil quʼà lui, il mʼa pris en gripe, mʼa évité dʼune manière ridicule, enfin il est parti plutôt quʼil ne vouloit, et sans me faire ses adieux. Si Jean Paul avoit vécu un peu plus dans le monde il sauroit que la célébrité est une bonne lettre de recommandation qui vous ouvre toutes les portes, mais quʼensuite il faut tâcher de plaire et dʼamuser son monde, autrement les non-célèbres qui sont en grande majorité, et qui veulent aussi exister à leur manière ne donnent pas quatre sous de votre célébrité. Dès les premiers jours les gens de lʼauberge se sont beaucoup fait valoir dʼavoir chez eux deux écrivains si célèbres – il nous ont invité exprès Jean Paul et moi, à diner à leur table dʼhôte, pour nous faire voir à tous leurs convives – ils nous avoient reservé le haut dʼune grande table en fer à cheval, et cʼétoit vraiment comme dit Homère: θεὸν δʼὣς εἰσοράουσιν. Mais cela sʼuse bien vite – pour en jouir, il ne faudroit rester que trois ou quatre jours dans chaque ville, et ne jamais revenir une seconde fois. Je ne suis ici que depuis trois semaines et déjà je ne suis plus guère quʼun mortel ordinaire.
Voici une autre anecdote – une intrigue de cour – à Heidelberg! cela vaut la peine. Les étudians ont voulu me porter ce quʼils appellent un vivat, cʼest à dire venir me complimenter en procession le soir aux flambeaux et avec de la musique. Tout étoit arrangé pour cela, lorsque Mr. de Polier lʼa su, et a donné à entendre à quelques professeurs qui donnent des leçons au Prince Gustave, que cela seroit penible pour son prince, puisque jʼai été au service de Bernadotte – les professeurs ont engagé les chefs des étudians à renoncer à leur entreprise, et la chose nʼa pas eu lieu. Où lʼesprit de courtisan ne se fourvoye-t-il pas? Au reste on mʼassure que Mr. de Polier donne une pauvre éducation à son prince, et le tient enfermé comme dans une bonbonnière. Bernadotte jouit toujours de la plus grande popularité.
À propos, nʼavez vous rien appris du Prince Paul, avant votre départ de Paris? Il paroît quʼune grande catastrophe a eu lieu dans sa maison. Il a maltraité sa femme, elle sʼest mise sous la protection du ministre de Wurtemberg, le roi a envoyé les anciennes dames dʼhonneur de la princesse à Paris, pour aller la prendre, elle et ses enfants. Ce prince jouit dʼune fort mauvaise réputation en Allemagne – jʼaurois voulu que vous eussiez entendu Mr. de Stein sur son compte – il lʼa mis en fricassée en trois phrases.
La mere de la princesse Paul, la duchesse de Hildbourghausen, est morte dʼune maniere vraiment funeste. Un charlatan lui a conseillé un remède pour se blancher le teint, le remède introduit sous lʼepiderme, a dʼabord produit son effet, ensuite il lui a rougé toute la figure, elle est morte horriblement défigurée et dans des tourments affreux. On a caché autant quʼon a pu la vraie cause de sa maladie. Elle étoit la sœur de la feue reine de Prusse.
On nous écrit de Rome que Mlle Nina va se marier, et quʼelle est fort heureuse. Tant mieux! Savez vous que votre président Mr. de Serre a voulu autrefois lʼépouser? Ainsi vous voyez que des gens fort raisonnables ont eu le même foible que moi.
Nos artistes allemands commencent à avoir une grande vogue en Italie. Overbeck fait une suite de tableaux tirés du Tasse pour un seigneur RomainCornelius devoit faire des scènes du Dante, mais il est rappelé pour exécuter de grands travaux en Allemagne, et le beaufils de mon frere est chargé maintenant de peindre à Fresque une salle de palais Massimi, en tirant ses sujets du Dante. Lʼart, dépourvu aujourdʼhui de lʼinspiration religieuse, doit sʼorienter de nouveau par la poésie. Cela nous sauvera au moins de la rhetorique des tableaux littéralement historiques. – Je nʼai vu encore que peu de tableaux de la collection de Mrs. Boisseré – il nʼont point de local pour la deployer, ainsi je les vois à fur et mesure. Cette collection est unique – elle prouve invinciblement que nous avons de beaucoup devancé les Italiens dans la perfection de la peinture à lʼhuile – et cependant ces tableaux ne sont que des restes épars des anciennes écoles, des restes qui ont échappé comme par miracle à lʼiconoclasme général de nos troubles réligieux.
Vous vous moquez de la constitution de Baviere, on la critique aussi en Allemagne. Je ne puis pas me vanter de lʼavoir lue en entier – toutes les constitutions écrites sont ennuieuses à lire mais elles sont un inconvénient inévitable de notre siècle, parce que lʼesprit des anciennes formes étoit évaporé depuis longtemps, et quʼensuite elles ont été brisées entierement par les événemens. Lʼessentiel est que certains droits soyent universellement reconnus – dʼailleurs il me paroît assez indifférent ce que les gouvernemens donnent, pourvu quʼils donnent quelque latitude pour prendre. Görres disoit de la constitution redigée par le Senat de 1814, quʼon pourroit commodément lʼécrire sur les cinq ongles dʼune main, que le petit doigt étoit pour le roi et le pouce pour les senateurs. – Vous connoissez la réponse du roi de Prusse à la pétition présentée par Görres. Un seul district nʼy avoit pas pris part, et le roi a adressé un éloge particulier aux habitans. „Ce district, me dit Görres, est précisément celui où croit le plus mauvais vin du Rhin. Le roi devroit bien en faire son vin de table – il recompenseroit les habitans et se puniroit lui-même.“ – En général on fait en Allemagne dʼassez bonnes plaisanteries sur la politique. Je voudrois que vous eussiez été à un diner à Francfort, où se trouvoient plusieurs ministres de la diéte, et où lʼon a critiqué une autre lettre dans le même genre. On pretend que le roi de Prusse fait ces sortes de lettres de son propre chef et à lʼinsu de ses ministres. Comme dʼaprès le proverbe espagnol, sous son manteau on peut tuer le roi, il pense quʼun roi peut bien aussi donner des chiquenaudes aux idées libérales dans sa poche.
La Prusse a reçu en Allemagne le sobriquet de lʼIntelligence, parce que les Prussiens se sont un peu trop vantés dʼêtre les plus éclairés, et que cependant cela nʼa pas conduit à des actions. Sous le rapport social le midi de lʼAllemagne est plus avancé que le nord. – on y a davantage le tact de lʼapplicable. Dans le nord sont les pays de vieille mode, la Hesse et surtout ma chere patrie, le Hanovre. Ces gens devroient porter des peruques à trois marteaux.
ce 3 Juillet. Jʼai manqué aujourdʼhui lʼheure de la poste, et vous mʼexcuserez bien, si je vous dis que les lettres doivent être remises au bureau à 7 heures du matin précises. Celle-ci doit me compter pour trois, si ce nʼest pour son intérêt, au moins pour sa longueur.
Je vous remercie bien de lʼexcellente opération que vous avez faite avec nos fonds. Les effets ont été bien en hausse depuis votre achat, et ils sʼy maintiendront, car je ne doute nullement de la retraite des Alliés. Jʼai eu un long entretien sur ce sujet avec Mr. de Goltz, et jʼai tâché de lui prouver que la crainte que cet événement ne produise une secousse, est tout à fait chimérique. Je lui ai dit que si la fermentation existoit, et quʼelle trouvât quelque part un foyer, la présence des étrangers ne lʼempêcheroit pas dʼéclater, parce que pour la plupart des habitans de la France elle nʼest quʼun fait historique qui nʼagit pas sur leur imagination.
Je vous prie de lire dans la gazette de Spire la fin du dernier article dirigé contre Gentz, lequel est tiré de la Gazette de Breme. Le redacteur de cette gazette est un officier prussien, à ce quʼil paroît lʼorgane dʼun parti nombreux à Berlin. Vous voyez quʼon se sert déjà de lʼouvrage de votre mere comme dʼun bouclier.
Si je puis exécuter mon projet favori de venir avant lʼautomne à Coppet, nous causerons bien sur la biographie de votre grand-pere, et jʼespère trouver votre travail un peu avancé.
Je suis toujours ici à attendre la réponse des ministres prussiens. On annonce la venue du Pr.[ince] de Hardenberg dans le grand-duché du bas Rhin pour la mi-Juillet. Il se peut quʼil mʼengage à revenir à Coblence. Jʼai pressé autant que jʼai pu, pour quʼils ne fissent pas traîner la chose, et jʼai donné à entendre le plus poliment du monde que je nʼétois pas disposé à attendre indéfiniment. – Au reste je ne mʼimpatiente nullement de mon séjour ici – jʼai été prendre hier de nouveaux manuscrits à la bibliothèque, avec lesquels je suis comme ensorcelé.
On prétend que le pr.[ince] Paul accuse sa femme dʼinfidélité, mais quʼil a lui même préparé les voyes pour cela, afin de se debarasser dʼelle. Quelle horreur! On nomme Mr. de Saussure que vous vous rappellerez bien dʼavoir vu à Paris.
Jʼespère que lʼété est aussi beau à Coppet quʼil lʼest ici. Les vignes sont fort avancées, et lʼon sʼattend à une excellente année.
Engagez votre sœur à faire beaucoup de promenades et de courses en voiture. Elle a mené une vie trop sédentaire, et cʼest je crois la seule chose qui puisse nuire à son excellente santé. – Cet accident dont me parle votre sœur vous aura rendu plus circonspect à lʼégard des chevaux. Me voilà justifié de ce que je me tapis[s]ois dans le fond du cabriolet – cʼétoit une peur prophétique.
Dites mille choses de ma part à la duchesse, à Mlle Randall, au noble duc, à mesdemoiselles Pauline et Louise et à Alfonse. Vous avez renoncé, je vois, à votre projet de voir les élections en Angletere. Car il faudroit déjà y être en ce moment, se faire coudoyer populairement, et revenir avec les yeux pochés, pour avoir vu la liberté de près. Je voudrois terminer ma lettre comme Polonius:
and let him ply his musick!
Ce seroit vraiment dommage de negliger un talent aussi distingué, et de laisser tout envahir par la barbarie politique. Adieu.
Heidelberg 2 Juillet 1818
Je viens de recevoir votre lettre du 24 Juin – la derniere de votre sœur étoit du 15, il nʼy a que neuf jours dʼintervalle et cependant cela mʼa paru assez long, et jʼattendois avec impatience des nouvelles de la famille. Comme le Baaron du chateau, mon cher Auguste, veillez à ce que jʼaye une lettre par semaine, et si vous nʼécrivez pas vous même, faites écrire vos vassaux. Il est vrai que je suis en retard vis-à-vis de vous, nʼayant pas encore répondu à votre derniere lettre de Paris. Mais pensez aussi que je ne suis quʼun seul paresseux pour repondre à plusieurs, quʼune partie de mes lettres sʼadresse à vous tous, et quʼelles sont en général plus longues que les vôtres.
Je puis vous donner des nouvelles de Madame de St. Aulaire et de fort bonnes. Il paroît que ces eaux miraculeuses font beaucoup de bien à sa santé. Mon frère est de retour de Wisbade à Francfort – il me mande quʼil sʼest dʼabord offert comme guide; et quʼil a tous les jours accompagné Madame de St. Aulaire dans ses courses en voiture et ses promenades. Ainsi vous voyez quʼelle nʼétoit point indisposée, et quʼelle suivoit le régime prescrit, puisquʼil faut être toujours au grand air et faire beaucoup dʼexercice. Au reste Frédéric me remercie infiniment de lʼavoir introduit à la connoissance dʼune personne aussi aimable et spirituelle, et je vous renvoye sa reconnoissance. Reste à savoir si Madame de St. Aulaire a été également contente des soins de mon gros réprésentant. Si jʼavois su lʼépoque précise de son arrivée, jʼaurois passé quelques jours à Wisbade, mais jʼavois épuisé le cercle diplomatique de Francfort, et jʼétois impatient de me remettre un peu au travail. Dʼaprès la lettre de Fréderic, Mr. de St. Aulaire doit arriver prochainement, du Danemarc je pense, et ils comptent passer ici en dix jours. Jʼécris à Madame de St. Aulaire pour la prier dʼarranger son voyage de maniere à passer un ou deux jours à Heidelberg. Ce pays délicieux en vaut vraiment la peine.
Je vous envoye quelques feuilles de gazettes qui vous feront voir au moins que lʼouvrage est reçu en Allemagne avec beaucoup dʼenthousiasme. Ce ne sont que de simples annonces – aussi il nʼen faut pas davantage. Celle dans les Annales de Heidelberg, est de Mr. Paulus, célèbre professeur en théologie; ce que jʼai coupé nʼest que la table des matières. Lʼextrait dans la Gazette de Spire peut vous donner une idée de la traduction allemande. Tout se fait plus lentement en Allemagne, ainsi je ne puis rien vous dire encore du debit – mais je ne doute pas quʼil ne soit considérable; ils ont imprimé 2500 exemplaires. Nʼavez-vous rien de Londres? Je nʼai point eu de réponse de Baldwin à ma derniere lettre – je ne trouve pas cela fort amical.
Jʼai eu la visite dʼun libraire Allemand établi à Londres, qui mʼassure quʼon lit en Angleterre mes ouvrages même dans lʼoriginal; surtout ma traduction de Shakspeare.
Je vivotte ici bourgeoisement, mais assez agréablement – jʼai des manuscrits de la bibliotheque à examiner et à copier, je parcours une foule de nouveaux livres dont je nʼavois pas eu connoissance – et le soir, en me promenant avec quelques professeurs, je fais des étymologies pour me delasser. Jean Paul nʼest plus mon voisin – nous étions à merveille ensemble au commencement, ensuite il est devenu jaloux de ce quʼon me faisoit autant dʼaccueil quʼà lui, il mʼa pris en gripe, mʼa évité dʼune manière ridicule, enfin il est parti plutôt quʼil ne vouloit, et sans me faire ses adieux. Si Jean Paul avoit vécu un peu plus dans le monde il sauroit que la célébrité est une bonne lettre de recommandation qui vous ouvre toutes les portes, mais quʼensuite il faut tâcher de plaire et dʼamuser son monde, autrement les non-célèbres qui sont en grande majorité, et qui veulent aussi exister à leur manière ne donnent pas quatre sous de votre célébrité. Dès les premiers jours les gens de lʼauberge se sont beaucoup fait valoir dʼavoir chez eux deux écrivains si célèbres – il nous ont invité exprès Jean Paul et moi, à diner à leur table dʼhôte, pour nous faire voir à tous leurs convives – ils nous avoient reservé le haut dʼune grande table en fer à cheval, et cʼétoit vraiment comme dit Homère: θεὸν δʼὣς εἰσοράουσιν. Mais cela sʼuse bien vite – pour en jouir, il ne faudroit rester que trois ou quatre jours dans chaque ville, et ne jamais revenir une seconde fois. Je ne suis ici que depuis trois semaines et déjà je ne suis plus guère quʼun mortel ordinaire.
Voici une autre anecdote – une intrigue de cour – à Heidelberg! cela vaut la peine. Les étudians ont voulu me porter ce quʼils appellent un vivat, cʼest à dire venir me complimenter en procession le soir aux flambeaux et avec de la musique. Tout étoit arrangé pour cela, lorsque Mr. de Polier lʼa su, et a donné à entendre à quelques professeurs qui donnent des leçons au Prince Gustave, que cela seroit penible pour son prince, puisque jʼai été au service de Bernadotte – les professeurs ont engagé les chefs des étudians à renoncer à leur entreprise, et la chose nʼa pas eu lieu. Où lʼesprit de courtisan ne se fourvoye-t-il pas? Au reste on mʼassure que Mr. de Polier donne une pauvre éducation à son prince, et le tient enfermé comme dans une bonbonnière. Bernadotte jouit toujours de la plus grande popularité.
À propos, nʼavez vous rien appris du Prince Paul, avant votre départ de Paris? Il paroît quʼune grande catastrophe a eu lieu dans sa maison. Il a maltraité sa femme, elle sʼest mise sous la protection du ministre de Wurtemberg, le roi a envoyé les anciennes dames dʼhonneur de la princesse à Paris, pour aller la prendre, elle et ses enfants. Ce prince jouit dʼune fort mauvaise réputation en Allemagne – jʼaurois voulu que vous eussiez entendu Mr. de Stein sur son compte – il lʼa mis en fricassée en trois phrases.
La mere de la princesse Paul, la duchesse de Hildbourghausen, est morte dʼune maniere vraiment funeste. Un charlatan lui a conseillé un remède pour se blancher le teint, le remède introduit sous lʼepiderme, a dʼabord produit son effet, ensuite il lui a rougé toute la figure, elle est morte horriblement défigurée et dans des tourments affreux. On a caché autant quʼon a pu la vraie cause de sa maladie. Elle étoit la sœur de la feue reine de Prusse.
On nous écrit de Rome que Mlle Nina va se marier, et quʼelle est fort heureuse. Tant mieux! Savez vous que votre président Mr. de Serre a voulu autrefois lʼépouser? Ainsi vous voyez que des gens fort raisonnables ont eu le même foible que moi.
Nos artistes allemands commencent à avoir une grande vogue en Italie. Overbeck fait une suite de tableaux tirés du Tasse pour un seigneur RomainCornelius devoit faire des scènes du Dante, mais il est rappelé pour exécuter de grands travaux en Allemagne, et le beaufils de mon frere est chargé maintenant de peindre à Fresque une salle de palais Massimi, en tirant ses sujets du Dante. Lʼart, dépourvu aujourdʼhui de lʼinspiration religieuse, doit sʼorienter de nouveau par la poésie. Cela nous sauvera au moins de la rhetorique des tableaux littéralement historiques. – Je nʼai vu encore que peu de tableaux de la collection de Mrs. Boisseré – il nʼont point de local pour la deployer, ainsi je les vois à fur et mesure. Cette collection est unique – elle prouve invinciblement que nous avons de beaucoup devancé les Italiens dans la perfection de la peinture à lʼhuile – et cependant ces tableaux ne sont que des restes épars des anciennes écoles, des restes qui ont échappé comme par miracle à lʼiconoclasme général de nos troubles réligieux.
Vous vous moquez de la constitution de Baviere, on la critique aussi en Allemagne. Je ne puis pas me vanter de lʼavoir lue en entier – toutes les constitutions écrites sont ennuieuses à lire mais elles sont un inconvénient inévitable de notre siècle, parce que lʼesprit des anciennes formes étoit évaporé depuis longtemps, et quʼensuite elles ont été brisées entierement par les événemens. Lʼessentiel est que certains droits soyent universellement reconnus – dʼailleurs il me paroît assez indifférent ce que les gouvernemens donnent, pourvu quʼils donnent quelque latitude pour prendre. Görres disoit de la constitution redigée par le Senat de 1814, quʼon pourroit commodément lʼécrire sur les cinq ongles dʼune main, que le petit doigt étoit pour le roi et le pouce pour les senateurs. – Vous connoissez la réponse du roi de Prusse à la pétition présentée par Görres. Un seul district nʼy avoit pas pris part, et le roi a adressé un éloge particulier aux habitans. „Ce district, me dit Görres, est précisément celui où croit le plus mauvais vin du Rhin. Le roi devroit bien en faire son vin de table – il recompenseroit les habitans et se puniroit lui-même.“ – En général on fait en Allemagne dʼassez bonnes plaisanteries sur la politique. Je voudrois que vous eussiez été à un diner à Francfort, où se trouvoient plusieurs ministres de la diéte, et où lʼon a critiqué une autre lettre dans le même genre. On pretend que le roi de Prusse fait ces sortes de lettres de son propre chef et à lʼinsu de ses ministres. Comme dʼaprès le proverbe espagnol, sous son manteau on peut tuer le roi, il pense quʼun roi peut bien aussi donner des chiquenaudes aux idées libérales dans sa poche.
La Prusse a reçu en Allemagne le sobriquet de lʼIntelligence, parce que les Prussiens se sont un peu trop vantés dʼêtre les plus éclairés, et que cependant cela nʼa pas conduit à des actions. Sous le rapport social le midi de lʼAllemagne est plus avancé que le nord. – on y a davantage le tact de lʼapplicable. Dans le nord sont les pays de vieille mode, la Hesse et surtout ma chere patrie, le Hanovre. Ces gens devroient porter des peruques à trois marteaux.
ce 3 Juillet. Jʼai manqué aujourdʼhui lʼheure de la poste, et vous mʼexcuserez bien, si je vous dis que les lettres doivent être remises au bureau à 7 heures du matin précises. Celle-ci doit me compter pour trois, si ce nʼest pour son intérêt, au moins pour sa longueur.
Je vous remercie bien de lʼexcellente opération que vous avez faite avec nos fonds. Les effets ont été bien en hausse depuis votre achat, et ils sʼy maintiendront, car je ne doute nullement de la retraite des Alliés. Jʼai eu un long entretien sur ce sujet avec Mr. de Goltz, et jʼai tâché de lui prouver que la crainte que cet événement ne produise une secousse, est tout à fait chimérique. Je lui ai dit que si la fermentation existoit, et quʼelle trouvât quelque part un foyer, la présence des étrangers ne lʼempêcheroit pas dʼéclater, parce que pour la plupart des habitans de la France elle nʼest quʼun fait historique qui nʼagit pas sur leur imagination.
Je vous prie de lire dans la gazette de Spire la fin du dernier article dirigé contre Gentz, lequel est tiré de la Gazette de Breme. Le redacteur de cette gazette est un officier prussien, à ce quʼil paroît lʼorgane dʼun parti nombreux à Berlin. Vous voyez quʼon se sert déjà de lʼouvrage de votre mere comme dʼun bouclier.
Si je puis exécuter mon projet favori de venir avant lʼautomne à Coppet, nous causerons bien sur la biographie de votre grand-pere, et jʼespère trouver votre travail un peu avancé.
Je suis toujours ici à attendre la réponse des ministres prussiens. On annonce la venue du Pr.[ince] de Hardenberg dans le grand-duché du bas Rhin pour la mi-Juillet. Il se peut quʼil mʼengage à revenir à Coblence. Jʼai pressé autant que jʼai pu, pour quʼils ne fissent pas traîner la chose, et jʼai donné à entendre le plus poliment du monde que je nʼétois pas disposé à attendre indéfiniment. – Au reste je ne mʼimpatiente nullement de mon séjour ici – jʼai été prendre hier de nouveaux manuscrits à la bibliothèque, avec lesquels je suis comme ensorcelé.
On prétend que le pr.[ince] Paul accuse sa femme dʼinfidélité, mais quʼil a lui même préparé les voyes pour cela, afin de se debarasser dʼelle. Quelle horreur! On nomme Mr. de Saussure que vous vous rappellerez bien dʼavoir vu à Paris.
Jʼespère que lʼété est aussi beau à Coppet quʼil lʼest ici. Les vignes sont fort avancées, et lʼon sʼattend à une excellente année.
Engagez votre sœur à faire beaucoup de promenades et de courses en voiture. Elle a mené une vie trop sédentaire, et cʼest je crois la seule chose qui puisse nuire à son excellente santé. – Cet accident dont me parle votre sœur vous aura rendu plus circonspect à lʼégard des chevaux. Me voilà justifié de ce que je me tapis[s]ois dans le fond du cabriolet – cʼétoit une peur prophétique.
Dites mille choses de ma part à la duchesse, à Mlle Randall, au noble duc, à mesdemoiselles Pauline et Louise et à Alfonse. Vous avez renoncé, je vois, à votre projet de voir les élections en Angletere. Car il faudroit déjà y être en ce moment, se faire coudoyer populairement, et revenir avec les yeux pochés, pour avoir vu la liberté de près. Je voudrois terminer ma lettre comme Polonius:
and let him ply his musick!
Ce seroit vraiment dommage de negliger un talent aussi distingué, et de laisser tout envahir par la barbarie politique. Adieu.
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