• August Wilhelm von Schlegel to Frasquita Larrea

  • Place of Dispatch: Stockholm · Place of Destination: Cádiz · Date: [April 1813]
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Frasquita Larrea
  • Place of Dispatch: Stockholm
  • Place of Destination: Cádiz
  • Date: [April 1813]
  • Notations: Konzept. – Datum erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Walzel, Oskar: Neue Quellen zur Geschichte der älteren romantischen Schule. In: Zeitschrift für die österreichischen Gymnasien 42 (1891), S. 103‒105.
  • Incipit: „[1] Il est impossible de vous exprimer lʼimpression que jʼai éprouvée en recevant la lettre aussi spirituelle que pleine de grâce [...]“
    Manuscript
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: DE-1a-34288
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.24.d,Nr.194
  • Number of Pages: 4S., hs.
  • Format: 18 x 11,1 cm
    Language
  • French
[1] Il est impossible de vous exprimer lʼimpression que jʼai éprouvée en recevant la lettre aussi spirituelle que pleine de grâce que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire. Depuis que jʼai taché de me faire un nom en littérature, il ne mʼest rien arrivé qui mʼait flatté dʼavantage. Chacunne de ces lignes que je relis sans cesse porte lʼempreinte dʼune belle âme, faite pour se nourrir de toutes les idées sublimes et de tous les sentimens élevés. Vos remarques sur le caractère et le génie critique de votre nation sont aussi justes que pleines dʼun enthousiasme patriotique. Les Espagnols ont peu participé aux séductions brillantes du 18.ième siècle. Les bouleversements politiques amenés par le relâchement de tous les principes et lʼaudace irréligieuse [2] dʼun raisonnement superficiel, ces bouleversements sont aussi tombés sur lʼEspagne: son réveil subit a été terrible, mais je lʼespère, salutaire dans ses suites. Louis XIV avait déjà dit: Désormais il nʼy aura plus de Pyrénées; Boccage lʼa répété dans un sens plus atroce et plus despotique. Mais cʼest Dieu même qui a embelli le globe par la diversité des nations: il nʼest pas donné à un tyrann de défaire cette œuvre divine. Les Pyrénées existent et existeront toujours: elles éléveront plus que jamais leurs cimes glacées vers le ciel comme une barrière insurmontable pour votre indépendance et votre originalité nationale. Après la liberté reconquise les arts de la paix fleuriront de nouveau dans votre patrie: lʼagriculture, le commerce, les sciences et les beaux arts, surtout la poésie, car les poètes viennent dʼordinaire à la suite des héros. Le danger qui vous menaçaît depuis quelque temps de voir établi chez vous la domination du goût français, a disparu pour toujours. La symétrie compressée et la gêne conventionelle de la poésie française ne pouvait nullement convenir au génie audacieux, aux passions profondes et silencieuses, et à lʼimagination ardente de votre nation.
[3] En général lʼimitation servile ne vaurait jamais à rien de grand. Lorsque la poésie dʼun pays a mis son élan et quʼelle est devenue stérile il faut la régénérer en puisant au puits de sa propre antiquité. Je suis donc tout a fait dʼaccord avec votre poète captif sur la valeur de vos anciennes romances et je lʼapprouve fort de vouloir faire retentir de nouveau ses simples accents de la nature. Ils sont réveurs et mélancoliques, mais cette teinte primitive a été un peu éclipsée sous la pompe de votre poésie artificielle.
La communauté de la cause de la liberté fondera une nouvelle fraternité entre les Espagnols et les Allemands, qui de tout temps ont eu plus dʼanalogie entre eux quʼavec les Français ou les Italiens. Les Espagnols connaîtront la littérature Anglaise et Espagnole, ils y puiseront une certaine universalité [4] de vues et surtout le conseil et lʼexemple de sʼabandonner à leur propre génie.
Ce que jʼai écrit sur la poésie et le theâtre de lʼEspagne réclame lʼindulgence; Madame, je manquais de livres et mes connaissances étaient fort imparfaites. Toutefois jʼai en le bonheur de contribuer à répandre en Allemagne la lecture des poétes espagnols. Si le ciel mʼaccorde jamais à voir cette contrée si belle et à présent si dévastée et ensanglantée, si je puis me promener sous les orangers de Valence, monter à lʼAlhambra de Maures, visiter la Cathédrale gothique de Tolède, ces lieux renommés par le pélérinage, jʼessayerai de mieux parler de votre nation et de sa poésie, surtout si jʼy suis encouragé comme je lʼai été par votre lettre.
[1] Il est impossible de vous exprimer lʼimpression que jʼai éprouvée en recevant la lettre aussi spirituelle que pleine de grâce que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire. Depuis que jʼai taché de me faire un nom en littérature, il ne mʼest rien arrivé qui mʼait flatté dʼavantage. Chacunne de ces lignes que je relis sans cesse porte lʼempreinte dʼune belle âme, faite pour se nourrir de toutes les idées sublimes et de tous les sentimens élevés. Vos remarques sur le caractère et le génie critique de votre nation sont aussi justes que pleines dʼun enthousiasme patriotique. Les Espagnols ont peu participé aux séductions brillantes du 18.ième siècle. Les bouleversements politiques amenés par le relâchement de tous les principes et lʼaudace irréligieuse [2] dʼun raisonnement superficiel, ces bouleversements sont aussi tombés sur lʼEspagne: son réveil subit a été terrible, mais je lʼespère, salutaire dans ses suites. Louis XIV avait déjà dit: Désormais il nʼy aura plus de Pyrénées; Boccage lʼa répété dans un sens plus atroce et plus despotique. Mais cʼest Dieu même qui a embelli le globe par la diversité des nations: il nʼest pas donné à un tyrann de défaire cette œuvre divine. Les Pyrénées existent et existeront toujours: elles éléveront plus que jamais leurs cimes glacées vers le ciel comme une barrière insurmontable pour votre indépendance et votre originalité nationale. Après la liberté reconquise les arts de la paix fleuriront de nouveau dans votre patrie: lʼagriculture, le commerce, les sciences et les beaux arts, surtout la poésie, car les poètes viennent dʼordinaire à la suite des héros. Le danger qui vous menaçaît depuis quelque temps de voir établi chez vous la domination du goût français, a disparu pour toujours. La symétrie compressée et la gêne conventionelle de la poésie française ne pouvait nullement convenir au génie audacieux, aux passions profondes et silencieuses, et à lʼimagination ardente de votre nation.
[3] En général lʼimitation servile ne vaurait jamais à rien de grand. Lorsque la poésie dʼun pays a mis son élan et quʼelle est devenue stérile il faut la régénérer en puisant au puits de sa propre antiquité. Je suis donc tout a fait dʼaccord avec votre poète captif sur la valeur de vos anciennes romances et je lʼapprouve fort de vouloir faire retentir de nouveau ses simples accents de la nature. Ils sont réveurs et mélancoliques, mais cette teinte primitive a été un peu éclipsée sous la pompe de votre poésie artificielle.
La communauté de la cause de la liberté fondera une nouvelle fraternité entre les Espagnols et les Allemands, qui de tout temps ont eu plus dʼanalogie entre eux quʼavec les Français ou les Italiens. Les Espagnols connaîtront la littérature Anglaise et Espagnole, ils y puiseront une certaine universalité [4] de vues et surtout le conseil et lʼexemple de sʼabandonner à leur propre génie.
Ce que jʼai écrit sur la poésie et le theâtre de lʼEspagne réclame lʼindulgence; Madame, je manquais de livres et mes connaissances étaient fort imparfaites. Toutefois jʼai en le bonheur de contribuer à répandre en Allemagne la lecture des poétes espagnols. Si le ciel mʼaccorde jamais à voir cette contrée si belle et à présent si dévastée et ensanglantée, si je puis me promener sous les orangers de Valence, monter à lʼAlhambra de Maures, visiter la Cathédrale gothique de Tolède, ces lieux renommés par le pélérinage, jʼessayerai de mieux parler de votre nation et de sa poésie, surtout si jʼy suis encouragé comme je lʼai été par votre lettre.
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