• Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi to August Wilhelm von Schlegel

  • Place of Dispatch: Coppet · Place of Destination: Bern · Date: 10.09.1811
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi
  • Recipient: August Wilhelm von Schlegel
  • Place of Dispatch: Coppet
  • Place of Destination: Bern
  • Date: 10.09.1811
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 229‒231.
  • Incipit: „Votre lettre toute aimable cher ami, et lʼoffre infiniment obligeante des livres de votre bibliothèque me sont arrivés ici au moment [...]“
    Manuscript
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: APP2712-Bd-6
  • Classification Number: Mscr.Dresd.App.2712,B,21,85
  • Number of Pages: 4 S. auf Doppelbl., hs.
  • Format: 19,4 x 12 cm
    Language
  • French
Votre lettre toute aimable cher ami, et lʼoffre infiniment obligeante des livres de votre bibliothèque me sont arrivés ici au moment de nos malheurs; vous en êtes bien instruit par une correspondance journalière, et je me fais de la peine dʼen parler. Ces événemens nous laissent dans un état de tristesse, de crainte et dʼincertitude qui nous ôte la force de prendre une résolution en même tems quʼil rend cette résolution plus désirable. Mais de nouveau je veux mʼinterdire cette pénible conversation. Jʼai profité de votre offre obligeante pour prendre et lire 8 ou 10 pièces de Calderon; mais je remettrai les volumes incessamment à leur place, et je vous promets de soigner ceux que vous voulez bien me prêter avec le respect religieux que lʼon doit aux livres. Je ne sais si vous avez les poésies de Garcilasso que je serois très curieux de connoître, en général je nʼai point lu des poésies lyriques Espagnoles et le genre dans lequel ils sont le plus riches est celui que je connois le moins. Dans un cours aussi abrégé que celui que je veux donner cʼest aux chef dʼœuvres que je mʼattache, bien plus quʼaux ouvrages encore informes qui servent à lʼhistoire de lʼesprit humain plus quʼà celle de lʼart. Aussi je ne lirai pas ni le Dittamondo, ni lʼAcerba, quelques tercets de lʼune et de lʼautre suffisent à faire sentir combien les contemporains et les imitateurs du Dante étoient au dessous de lui. Jʼaurois bien autrement de curiosité de voir nos premiers romans français, lʼhistoire de lʼesprit humain et de toute littérature moderne semble attachée à celle des fictions chevaleresques. Des faits assez généralement connus viennent à lʼappui de la supposition de votre frère que tous les romans de chevalerie nous sont venus des Normands. A la réserve du poème sur la prise de Jérusalem de Béchada Limousin, composé en 1130, poeme perdu, et que dʼaprès le nom de Limousin je rattache plutôt à la littérature Provençale, les premiers héros français sont le Brut, ou livre des Bretons composé en vers, en 1155, le roman du chevalier au lion écrit à la même époque, tous deux par des Normands et sur lʼhistoire dʼAngleterre, et le Rou des Normands ou histoire de Rollo le Danois, par Gasse en 1160. Tristan de Léonois fut écrit en 1190, le St. Gréal et Lancelot sont postérieurs de peu dʼannées, et dans tous ces ouvrages on reconnoit une composition Anglo-Normande, et lʼamplification des fables populaires qui rappeloient lʼancienne gloire ou des Bretons ou des Danois. Le François wallon se forma à la cour des Ducs de Normandie plustôt quʼà celle des Rois. Rollo lui-même se fit comme tous les souverains un devoir dʼapprendre et de parler la langue du Peuple conquis, dans un tems où la cour de France parloit encore en langue franque, et regardoit avec mépris la langue romane des Peuples asservis. Les Danois et les Gaulois se fondirent rapidement ensemble en Normandie, ils formèrent une nation la seule des celles au nord de la Loire qui fut bien gouvernée dans ce siècle dʼanarchie, ils donnèrent un premier poli au roman wallon, de même que la cour de Boson formoit à Arles le roman Provençal, et la première littérature est sortie de chez eux. Ce fut pendant le long règne de Philippe Auguste (1180–1223) que la langue française prit à Paris le même degré de culture quʼelle avoit déjà acquis en Normandie. les flatteurs de ce monarque le comparèrent alternativement à Alexandre, dans le poëme de ce nom, ouvrage dʼun normand réfugié à sa cour, et à Charlemagne, dans les nombreux romans de chevalerie, dont la cour de lʼEmpereur fut le théatre. ce sont ces romans que je voudrois examiner dans leurs premiers originaux en latin et Gaulois. Je ne puis encore arrêter dans ma tête quelle a été lʼinfluence des Normands et quelle celle des Arabes dans ces inventions. tout le merveilleux de la chevalerie est évidemment Arabe et nullement Septentrional. mais le gout aventureux et le matériel de la vie chevaleresque est caractéristique des Danois et Normands. On nʼarrivera jamais à bien juger de la renaissance des lettres en Europe sans une étude approfondie de lʼArabe, et surtout de la littérature de lʼhistoire et des mœurs des Arabes dʼEspagne de chez qui sont venues toutes les connoissances de lʼoccident; dans tous les genres dès quʼon sʼest engagé dans quelques recherches on sʼapperçoit quʼon vogue sur une mer sans bornes, et que plus on avance plus lʼhorizon recule devant vous. Dans celle-ci je vois bien que je nʼirai pas bien loin, mais je vous remercie encore et de vos indications et de vos services. et de nouveau je me recommande à votre souvenir.
Vous aurez reçu jʼespère par le dernier courier les épreuves que vous mʼavez demandées: il manquoit les 3 premières feuilles des volumes je suppose que vous les aviez reçues précédemment.
Copet mardi 10. 7[= septem]bre 1811.
Votre lettre toute aimable cher ami, et lʼoffre infiniment obligeante des livres de votre bibliothèque me sont arrivés ici au moment de nos malheurs; vous en êtes bien instruit par une correspondance journalière, et je me fais de la peine dʼen parler. Ces événemens nous laissent dans un état de tristesse, de crainte et dʼincertitude qui nous ôte la force de prendre une résolution en même tems quʼil rend cette résolution plus désirable. Mais de nouveau je veux mʼinterdire cette pénible conversation. Jʼai profité de votre offre obligeante pour prendre et lire 8 ou 10 pièces de Calderon; mais je remettrai les volumes incessamment à leur place, et je vous promets de soigner ceux que vous voulez bien me prêter avec le respect religieux que lʼon doit aux livres. Je ne sais si vous avez les poésies de Garcilasso que je serois très curieux de connoître, en général je nʼai point lu des poésies lyriques Espagnoles et le genre dans lequel ils sont le plus riches est celui que je connois le moins. Dans un cours aussi abrégé que celui que je veux donner cʼest aux chef dʼœuvres que je mʼattache, bien plus quʼaux ouvrages encore informes qui servent à lʼhistoire de lʼesprit humain plus quʼà celle de lʼart. Aussi je ne lirai pas ni le Dittamondo, ni lʼAcerba, quelques tercets de lʼune et de lʼautre suffisent à faire sentir combien les contemporains et les imitateurs du Dante étoient au dessous de lui. Jʼaurois bien autrement de curiosité de voir nos premiers romans français, lʼhistoire de lʼesprit humain et de toute littérature moderne semble attachée à celle des fictions chevaleresques. Des faits assez généralement connus viennent à lʼappui de la supposition de votre frère que tous les romans de chevalerie nous sont venus des Normands. A la réserve du poème sur la prise de Jérusalem de Béchada Limousin, composé en 1130, poeme perdu, et que dʼaprès le nom de Limousin je rattache plutôt à la littérature Provençale, les premiers héros français sont le Brut, ou livre des Bretons composé en vers, en 1155, le roman du chevalier au lion écrit à la même époque, tous deux par des Normands et sur lʼhistoire dʼAngleterre, et le Rou des Normands ou histoire de Rollo le Danois, par Gasse en 1160. Tristan de Léonois fut écrit en 1190, le St. Gréal et Lancelot sont postérieurs de peu dʼannées, et dans tous ces ouvrages on reconnoit une composition Anglo-Normande, et lʼamplification des fables populaires qui rappeloient lʼancienne gloire ou des Bretons ou des Danois. Le François wallon se forma à la cour des Ducs de Normandie plustôt quʼà celle des Rois. Rollo lui-même se fit comme tous les souverains un devoir dʼapprendre et de parler la langue du Peuple conquis, dans un tems où la cour de France parloit encore en langue franque, et regardoit avec mépris la langue romane des Peuples asservis. Les Danois et les Gaulois se fondirent rapidement ensemble en Normandie, ils formèrent une nation la seule des celles au nord de la Loire qui fut bien gouvernée dans ce siècle dʼanarchie, ils donnèrent un premier poli au roman wallon, de même que la cour de Boson formoit à Arles le roman Provençal, et la première littérature est sortie de chez eux. Ce fut pendant le long règne de Philippe Auguste (1180–1223) que la langue française prit à Paris le même degré de culture quʼelle avoit déjà acquis en Normandie. les flatteurs de ce monarque le comparèrent alternativement à Alexandre, dans le poëme de ce nom, ouvrage dʼun normand réfugié à sa cour, et à Charlemagne, dans les nombreux romans de chevalerie, dont la cour de lʼEmpereur fut le théatre. ce sont ces romans que je voudrois examiner dans leurs premiers originaux en latin et Gaulois. Je ne puis encore arrêter dans ma tête quelle a été lʼinfluence des Normands et quelle celle des Arabes dans ces inventions. tout le merveilleux de la chevalerie est évidemment Arabe et nullement Septentrional. mais le gout aventureux et le matériel de la vie chevaleresque est caractéristique des Danois et Normands. On nʼarrivera jamais à bien juger de la renaissance des lettres en Europe sans une étude approfondie de lʼArabe, et surtout de la littérature de lʼhistoire et des mœurs des Arabes dʼEspagne de chez qui sont venues toutes les connoissances de lʼoccident; dans tous les genres dès quʼon sʼest engagé dans quelques recherches on sʼapperçoit quʼon vogue sur une mer sans bornes, et que plus on avance plus lʼhorizon recule devant vous. Dans celle-ci je vois bien que je nʼirai pas bien loin, mais je vous remercie encore et de vos indications et de vos services. et de nouveau je me recommande à votre souvenir.
Vous aurez reçu jʼespère par le dernier courier les épreuves que vous mʼavez demandées: il manquoit les 3 premières feuilles des volumes je suppose que vous les aviez reçues précédemment.
Copet mardi 10. 7[= septem]bre 1811.
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