Vous ne vous lassez pas, Monsieur, de me secourir de vos richesses littéraires. Jʼai parcouru la dissertation que vous mʼavez envoyée; jʼen connais lʼauteur, je suis même en correspondance avec lui; cʼest un de nos philologues les plus estimables; mais lorsquʼil a fait cet écrit, cʼétait un jeune homme qui voulait débiter tout ce quʼil savait: cʼest pourquoi il y a dans son écrit beaucoup de citations et peu de faits. Je soutiens contre lui lʼopinion commune, quʼil nʼy a point dʼautre espèce de drame satyrique que celle que nous connaissons, et que les poëtes comiques nʼen ont jamais fait. Un drame satyrique était une pièce sur un sujet mythologique, avec un chœur de satyres et avec un mélange de plaisanterie. Appeler ainsi des pièces sans chœur et sur des sujets domestiques, cʼest brouiller toutes les idées. Ce qui lʼa induit en erreur, cʼest quʼune pièce de Cratinus sʼappelait les Satyres; mais cela ne prouve pas du tout que cette comédie fût un drame satyrique.
Je vous remercie du passage de Diodore sur Ephialte; il est fort important. Quant à celui de Lucien, je ne me le rappelle pas bien clairement, mais cʼest un auteur trop postérieur pour avoir une grande autorité. Je veux bien croire que de son temps lʼart théâtral était très-déchu, mais cela ne prouve rien contre le goût qui devait règner du temps de Phidias et de Polyclète. Barthélemy est bien peu profond sur lʼarticle du théâtre; il donne une description toute fausse de la représentation dʼAjax et dʼAntigone. Je nʼai pas encore entièrement achevé mes études du théâtre grec, mais, sous peu de jours, je vous renverrai tous vos livres bien empaquetés, avec mille remerciements.
Si nous passons lʼhiver à Genève, comme il y a quelque apparence, il faudra bien vous préparer à être importuné par mon empressement pour remplir dans votre conversation les lacunes de mes connaissances. En attendant, agréez lʼassurance de la considération distinguée avec laquelle jʼai lʼhonneur dʼêtre, Monsieur,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
A. W. SCHLEGEL.