• August Wilhelm von Schlegel to Auguste Louis de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Mailand · Place of Destination: Unknown · Date: 18.10.1815
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Auguste Louis de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Mailand
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 18.10.1815
    Printed Text
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 289‒292.
  • Incipit: „Milan ce 18 Oct 1815
    Vous avez, mon cher Auguste, payé avec usure tous les arriérés par votre lettre intéressante du 30 [...]“
    Language
  • French
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Milan ce 18 Oct 1815
Vous avez, mon cher Auguste, payé avec usure tous les arriérés par votre lettre intéressante du 30 Sept. – je voudrais bien pouvoir vous rendre la pareille en vous donnant un journal amusant de notre voyage. Je lʼessayerai une autre fois, mais aujourdʼhui permettez-moi de me borner exclusivement à lʼaffaire importante qui à mon grand regret vous retient loin de nous.
Vous vous plaignez de ce quʼon ne vous écoute pas. Je puis vous assurer que nous lisons et relisons vos lettres avec la plus grande attention – si elles nʼont pas produit sur tous les points une pleine et entiere conviction, il faut en partie rejeter la faute sur moi. Dans la discussion jʼai souvent suggéré des arguments qui tendaient à diminuer lʼétendue et surtout la proximité du danger. Je sais que vous êtes excellent observateur, que vous mettez beaucoup dʼactivité à regarder de tous les cotés pour découvrir ce qui se passe, et que vos rapports dans la société vous fournissent de grands moyens pour cela. Aussi je ne mets nullement en doute lʼexactitude des faits que vous mandez, je raisonne sur vos données, mais jʼen tire des inductions un peu différentes. Dans les conjectures sur lʼavenir il y a toujours quelque chose de vague et dʼincalculable – et cʼest sur cette partie quʼinfluent nécessairement la disposition dʼame où lʼon est soi-même, et les opinions des personnes quʼon voit le plus habituellement, surtout si elles ont beaucoup dʼesprit et de vivacité. – Je suis convaincu comme vous quʼil y a infiniment de mécontentement, dʼirritation et de germes de troubles futurs. Mais ce sont des élémens épars – pour que tout cela forme un corps, il faut des points de réunion – il faut des chefs et un chef suprème, et je ne connais point de réputation assez populaire pour menacer la tranquillité de lʼétat, et pour transformer en résolutions toutes les différentes velléités aussi-tôt quʼelle se présente. Il nʼest pas dans la nature humaine de risquer derechef toute son existence par lʼébranlement de lʼordre social, au moment même où lʼon se sent soulagé après avoir essuyé des maux très graves, – et le départ des Alliés doit produire un grand soulagement quoiquʼils laissent derriere eux un pays apauvri et épuisé. Je pense que la masse des habitans est plus occupée des pertes matérielles que les événemens publics ont fait essuyer à chacun que des maux de la patrie. Dʼailleurs un changement violent porterait-il rémêde à ceux-ci? Il ne ferait que les aggraver. Des passions aveugles peuvent pousser à sʼagiter sans but, mais cela ne produirait que des émeutes partielles. On ne saurait se concerter dans les différentes provinces, et travailler à réaliser un projet déterminé sans avoir des chefs de parti. Or ces chefs, sʼils existent, sont intéressés à contenir tous les mouvemens jusquʼà ce que le moment redevienne favorable, et il ne saurait lʼêtre avant que tout le monde ne soit retourné chez soi et remis sur le pied de paix. Je ne doute pas quʼon ne veuille se venger des Alliés et reprendre lʼoffensive, mais il faudra bien ajourner cela jusquʼà lʼépoque où lʼon aura repris ses forces, et où lʼon croira pouvoir écraser ses voisins un à un – aujourdʼhui il faudroit de nouveau donner un défi à lʼEurope entiere. Pensez-vous que la nation, que lʼancienne armée même en ait envie? Les conditions territoriales de la paix sont très tolérables; si une ou plusieurs provinces de lʼancienne France avaient été démembrées, un éclat prochain pour les ravoir me paraîtrait plus vraisemblable. Pour le coup les mécontens ne peuvent viser quʼà un changement intérieur qui préparerait dans la suite les voyes pour de nouvelles conquêtes. En faisant cette entreprise trop-tôt, les factieux échoueraient et attireraient en outre infailliblement à la France le démembrement auquel elle a échappé cette fois-ci. Les citoyens paisibles, les vrais amis de leur patrie ont donc tous les motifs imaginables, quelles que soyent du reste leurs opinions, de sʼopposer à de semblables tentatives.
Paris est un foyer de propos et non pas dʼactions – il me semble que les uns et les autres sont en proportion inverse. Ces murmures qui éclatent de toutes parts sont lʼair fixe qui sʼévapore par une ouverture au lieu de faire sauter le bouchon de la bouteille. Le dépouillement de Musée a dû produire une grande sensation à Paris. Mais croyez-vous quʼil en soit de même dans les provinces? croyez-vous quʼon fasse la guerre pour des statues et des tableaux et cela dans un pays où le gout des beaux arts nʼest quʼune production factice du luxe?
La situation était plus avantageuse lors de la premiere restauration, parce que la paix était meilleure et que tous les procédés y avaient été observé. Dʼun autre coté le danger était aux portes. Le fait a prouvé quʼil y avait aussi beaucoup de mécontentement et dʼirritation quoique bien gratuite. Cependant la France laissée à elle meure depuis le premier départ des Alliés a joui de huit mois de tranquillité – et si Napoléon avait été aussi bien gardé que son confrère de nom et de tyrannie, Napoléon de la Torre, cʼest à dire dans une cage de fer, on ne saurait fixer le terme jusquʼauquel cet heureux état aurait pu se prolonger. Tout se consolidait, tout marchait vers le mieux.
Le nouveau ministère sʼannonce comme économe et désintéressé – cela fait bien augurer de son succès. Le peuple doit etre tellement accablé par tout ce quʼil a souffert, que lʼallégement des charges extraordinaires et leur meilleure repartition est le besoin le plus pressant et le seul qui soit senti dans ce moment. Tout le reste, les Dynasties, les constitutions etc. à coté de cela ne doit paraître que de lʼidéologie.
La procuration que vous avez demandée part aujourdʼhui. Sans doute, il est nécessaire que vous soyez à même dʼagir selon des circonstances subites et imprévues, puisque votre mere est déjà fort loin de Paris et quʼelle sʼéloigne encore davantage. Mais je vous conjure de ne rien précipiter. Je me flatte toujours que vous ne serez pas dans le cas de faire usage de la procuration faute dʼacheteur et quʼensuite, ayant heureusement atteint le terme de lʼinscription, vous vous feliciterez de cette impossibilité. Figurez-vous que vous eussiez eu entre les mains le 1er de Mars dernier le même papier que vous avez enfin obtenu après tant de démarches, et que vous eussiez alors pu bacler une vente à vil prix – quel sujet de regret se serait-on preparé, seulement trois mois plus tard! Supposons tout ce quʼil y a de pire – un bouleversement prochain, qui pour le moment annullerait la liquidation commencée, lʼissue peut pourtant redevenir favorable. Aussi long-temps quʼon nʼa pas vendu, on conserve tous ces droits, au lieu quʼune mauvaise vente cause une perte irréparable. Cʼest un chagrin pour la vie entiere, au lieu de jouir de lʼaugmentation de sa fortune, on se tourmenterait ou se gênerait pour imaginer des économies, afin de reparer la perte que lʼon se serait gratuitement attirée. – Le terme de lʼinscription nʼest pas éloigné – voilà déjà la mi-Octobre, et à peine les Alliés se sont ils mis en marche pour quitter la France – il se passera un mois avant quʼelle soit évacuée. – En attendant les opérations des Chambres se developperont et calmeront peut-être les esprits. Une chambre royaliste et un ministère constitutionnel me semblent une assez bonne combinaison pour cela. Vous ferez des démarches auprès du ministre des finances pour obtenir lʼinscription immédiate – cela trainera plus que vous ne pensez – lʼhorison sera un peu éclairci – au milieu de tout cela lʼépoque de lʼinscription arrivera. Alors il nʼy aura plus de motifs pour ne pas attendre la hausse des fonds – car je crois quʼune banqueroute publique est la chose là moins à craindre quels que soyent du reste les changemens qui peuvent survenir. Quels sont en France les principaux créanciers de lʼétat? Ce ne sont ni les étrangers ni les classes privilégiées. Le tiers état ne se faillera pas à lui même. – Comme on défalquera sur les contributions de guerre, à ce que lʼon assure du moins, les sommes déjà consumées, le reste ne sera pas si exorbitant que les finances en soyent menacées dʼun bouleversement total.
Jʼai écrit à la hâte la fin de ma lettre puisquʼelle doit partir à lʼinstant – mais je me flatte pourtant dʼavoir touché les points principaux auxquels je rapporte cette délibération. Adieu mon cher Auguste, – il paraît que vous étes condamné à passer tout lʼhyver à Paris. Supportez patiemment vos ennuis.
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Milan ce 18 Oct 1815
Vous avez, mon cher Auguste, payé avec usure tous les arriérés par votre lettre intéressante du 30 Sept. – je voudrais bien pouvoir vous rendre la pareille en vous donnant un journal amusant de notre voyage. Je lʼessayerai une autre fois, mais aujourdʼhui permettez-moi de me borner exclusivement à lʼaffaire importante qui à mon grand regret vous retient loin de nous.
Vous vous plaignez de ce quʼon ne vous écoute pas. Je puis vous assurer que nous lisons et relisons vos lettres avec la plus grande attention – si elles nʼont pas produit sur tous les points une pleine et entiere conviction, il faut en partie rejeter la faute sur moi. Dans la discussion jʼai souvent suggéré des arguments qui tendaient à diminuer lʼétendue et surtout la proximité du danger. Je sais que vous êtes excellent observateur, que vous mettez beaucoup dʼactivité à regarder de tous les cotés pour découvrir ce qui se passe, et que vos rapports dans la société vous fournissent de grands moyens pour cela. Aussi je ne mets nullement en doute lʼexactitude des faits que vous mandez, je raisonne sur vos données, mais jʼen tire des inductions un peu différentes. Dans les conjectures sur lʼavenir il y a toujours quelque chose de vague et dʼincalculable – et cʼest sur cette partie quʼinfluent nécessairement la disposition dʼame où lʼon est soi-même, et les opinions des personnes quʼon voit le plus habituellement, surtout si elles ont beaucoup dʼesprit et de vivacité. – Je suis convaincu comme vous quʼil y a infiniment de mécontentement, dʼirritation et de germes de troubles futurs. Mais ce sont des élémens épars – pour que tout cela forme un corps, il faut des points de réunion – il faut des chefs et un chef suprème, et je ne connais point de réputation assez populaire pour menacer la tranquillité de lʼétat, et pour transformer en résolutions toutes les différentes velléités aussi-tôt quʼelle se présente. Il nʼest pas dans la nature humaine de risquer derechef toute son existence par lʼébranlement de lʼordre social, au moment même où lʼon se sent soulagé après avoir essuyé des maux très graves, – et le départ des Alliés doit produire un grand soulagement quoiquʼils laissent derriere eux un pays apauvri et épuisé. Je pense que la masse des habitans est plus occupée des pertes matérielles que les événemens publics ont fait essuyer à chacun que des maux de la patrie. Dʼailleurs un changement violent porterait-il rémêde à ceux-ci? Il ne ferait que les aggraver. Des passions aveugles peuvent pousser à sʼagiter sans but, mais cela ne produirait que des émeutes partielles. On ne saurait se concerter dans les différentes provinces, et travailler à réaliser un projet déterminé sans avoir des chefs de parti. Or ces chefs, sʼils existent, sont intéressés à contenir tous les mouvemens jusquʼà ce que le moment redevienne favorable, et il ne saurait lʼêtre avant que tout le monde ne soit retourné chez soi et remis sur le pied de paix. Je ne doute pas quʼon ne veuille se venger des Alliés et reprendre lʼoffensive, mais il faudra bien ajourner cela jusquʼà lʼépoque où lʼon aura repris ses forces, et où lʼon croira pouvoir écraser ses voisins un à un – aujourdʼhui il faudroit de nouveau donner un défi à lʼEurope entiere. Pensez-vous que la nation, que lʼancienne armée même en ait envie? Les conditions territoriales de la paix sont très tolérables; si une ou plusieurs provinces de lʼancienne France avaient été démembrées, un éclat prochain pour les ravoir me paraîtrait plus vraisemblable. Pour le coup les mécontens ne peuvent viser quʼà un changement intérieur qui préparerait dans la suite les voyes pour de nouvelles conquêtes. En faisant cette entreprise trop-tôt, les factieux échoueraient et attireraient en outre infailliblement à la France le démembrement auquel elle a échappé cette fois-ci. Les citoyens paisibles, les vrais amis de leur patrie ont donc tous les motifs imaginables, quelles que soyent du reste leurs opinions, de sʼopposer à de semblables tentatives.
Paris est un foyer de propos et non pas dʼactions – il me semble que les uns et les autres sont en proportion inverse. Ces murmures qui éclatent de toutes parts sont lʼair fixe qui sʼévapore par une ouverture au lieu de faire sauter le bouchon de la bouteille. Le dépouillement de Musée a dû produire une grande sensation à Paris. Mais croyez-vous quʼil en soit de même dans les provinces? croyez-vous quʼon fasse la guerre pour des statues et des tableaux et cela dans un pays où le gout des beaux arts nʼest quʼune production factice du luxe?
La situation était plus avantageuse lors de la premiere restauration, parce que la paix était meilleure et que tous les procédés y avaient été observé. Dʼun autre coté le danger était aux portes. Le fait a prouvé quʼil y avait aussi beaucoup de mécontentement et dʼirritation quoique bien gratuite. Cependant la France laissée à elle meure depuis le premier départ des Alliés a joui de huit mois de tranquillité – et si Napoléon avait été aussi bien gardé que son confrère de nom et de tyrannie, Napoléon de la Torre, cʼest à dire dans une cage de fer, on ne saurait fixer le terme jusquʼauquel cet heureux état aurait pu se prolonger. Tout se consolidait, tout marchait vers le mieux.
Le nouveau ministère sʼannonce comme économe et désintéressé – cela fait bien augurer de son succès. Le peuple doit etre tellement accablé par tout ce quʼil a souffert, que lʼallégement des charges extraordinaires et leur meilleure repartition est le besoin le plus pressant et le seul qui soit senti dans ce moment. Tout le reste, les Dynasties, les constitutions etc. à coté de cela ne doit paraître que de lʼidéologie.
La procuration que vous avez demandée part aujourdʼhui. Sans doute, il est nécessaire que vous soyez à même dʼagir selon des circonstances subites et imprévues, puisque votre mere est déjà fort loin de Paris et quʼelle sʼéloigne encore davantage. Mais je vous conjure de ne rien précipiter. Je me flatte toujours que vous ne serez pas dans le cas de faire usage de la procuration faute dʼacheteur et quʼensuite, ayant heureusement atteint le terme de lʼinscription, vous vous feliciterez de cette impossibilité. Figurez-vous que vous eussiez eu entre les mains le 1er de Mars dernier le même papier que vous avez enfin obtenu après tant de démarches, et que vous eussiez alors pu bacler une vente à vil prix – quel sujet de regret se serait-on preparé, seulement trois mois plus tard! Supposons tout ce quʼil y a de pire – un bouleversement prochain, qui pour le moment annullerait la liquidation commencée, lʼissue peut pourtant redevenir favorable. Aussi long-temps quʼon nʼa pas vendu, on conserve tous ces droits, au lieu quʼune mauvaise vente cause une perte irréparable. Cʼest un chagrin pour la vie entiere, au lieu de jouir de lʼaugmentation de sa fortune, on se tourmenterait ou se gênerait pour imaginer des économies, afin de reparer la perte que lʼon se serait gratuitement attirée. – Le terme de lʼinscription nʼest pas éloigné – voilà déjà la mi-Octobre, et à peine les Alliés se sont ils mis en marche pour quitter la France – il se passera un mois avant quʼelle soit évacuée. – En attendant les opérations des Chambres se developperont et calmeront peut-être les esprits. Une chambre royaliste et un ministère constitutionnel me semblent une assez bonne combinaison pour cela. Vous ferez des démarches auprès du ministre des finances pour obtenir lʼinscription immédiate – cela trainera plus que vous ne pensez – lʼhorison sera un peu éclairci – au milieu de tout cela lʼépoque de lʼinscription arrivera. Alors il nʼy aura plus de motifs pour ne pas attendre la hausse des fonds – car je crois quʼune banqueroute publique est la chose là moins à craindre quels que soyent du reste les changemens qui peuvent survenir. Quels sont en France les principaux créanciers de lʼétat? Ce ne sont ni les étrangers ni les classes privilégiées. Le tiers état ne se faillera pas à lui même. – Comme on défalquera sur les contributions de guerre, à ce que lʼon assure du moins, les sommes déjà consumées, le reste ne sera pas si exorbitant que les finances en soyent menacées dʼun bouleversement total.
Jʼai écrit à la hâte la fin de ma lettre puisquʼelle doit partir à lʼinstant – mais je me flatte pourtant dʼavoir touché les points principaux auxquels je rapporte cette délibération. Adieu mon cher Auguste, – il paraît que vous étes condamné à passer tout lʼhyver à Paris. Supportez patiemment vos ennuis.
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