Monsieur,
Vous aurez été surpris de nʼavoir point reçu de mes nouvelles depuis Janvier. Une circonstance accidentelle en est la cause. Jʼavais envoyé lʼautomne passé mes premières observations sur le Zodiaque à Mr. Ewald. La catastrophe de Goettingue est survenne, sa destitution et son voyage à Londres; tout cela a causé des délais; le troisième cahier du journal orientaliste où mon article se trouve nʼa été expédié que depuis peu par la librairie. Malheureusement les exemplaires tirés à part que jʼavais demandés, ont été oubliés, autrement je vous aurais envoyé le premier. Mais ce journal (Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes) doit se trouver à la bibliothèque de la Société Asiatique, peut-être aussi à celle de lʼInstitut, de sorte que vous pourrez facilement en prendre connaissance. Jʼespère que vous serez content de ma polémique. Je vous préviens toutefois que jʼai traité assez lestement Mr. Stuhr. La circonstance la plus glorieuse de sa vie, dʼavoir été cité par vous, lui a porté malheur. Notre ami, Boeckh, pourra vous analyser ce Stuhr: il mʼen a raconté des anecdotes à mourir de rire. Stuhr appartient à une espèce dʼécrivains dont lʼAllemagne fourmille aujourdʼhui. Ce sont des gens qui prétendent tout savoir sans avoir rien appris solidement; ils ont un souverain mépris pour tout ce qui sʼest fait avant eux; à les entendre, le monde savant nʼaurait commencé quʼavec eux. Ayant la fureur de vouloir paraître neufs et originaux, ils soutiennent toujours la thèse contraire au bon sens. Or, comme les gens raisonnables ont autre chose à faire que de refuter leurs absurdités, comme dʼailleurs ils trouvent dʼautres sots qui les admirent, leur audace va toujours en croissant. Mr. Stuhr annonce un ouvrage sur la Mythologie Grecque, ne sachant pas un mot de Grec. Selon lui les travaux des Heyne, Creuzer, Hermann, Welcker etc. sur ce sujet, ne valent rien. A la bonne heure! mais si Mr. Stuhr revient à la charge dans notre question, je lui ferai voir quʼil ne faut pas, comme dit Sganarelle, mettre lʼécorce entre lʼarbre et le doigt.
Parmi les ballots innombrables de papier que les imprimeurs gâtent annuellement en Allemagne, il y a quelques écrits qui, en effet, méritent dʼêtre connus à lʼétranger. Mais il est fort difficile pour un savant vivant à Londres ou à Paris de les démêler dans la foule. Ne prodiguez pas votre temps â lire de nouveaux ouvrages, portant en tête un nom inconnu, à moins quʼils ne vous ayent été recommandés par Boeckh ou par quelque autre juge compétent.
Pour ne pas laisser partir ma lettre à vide, je vous enverrai le dernier programme de mon ami Näke que je trouve excellent.
M. Welcker a tâché de rehabiliter le vieux Homère un et indivisible quoique dʼune manière fort nuageuse. Dʼautres Dii minorum gentium ont fait des efforts dans le même sens. Boeckh, Näke et moi, nous tenons pour Wolf. Mais il faudrait mettre la main à lʼœuvre. Ce que Näke a fait pour le premier livre de lʼIliade, je mʼétais proposé depuis de longues années de le faire pour les deux grands poèmes. Il y a quelques années que jʼai donné un cours public en Latin, intitulé Quaestiones Homericae. Si jʼavais mis tout par écrit, la plus grande partie de mon travail serait déjà faite: mais la plume mʼinspire une aversion presque invincible, de sorte que mes œuvres actuelles se réduisent à une vingtaine de pages.
Veuillez agréer, Monsieur, lʼassurance de la considération très-distinguée avec laquelle jʼai lʼhonneur dʼêtre – – –