• August Wilhelm von Schlegel to Auguste Louis de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Bonn · Place of Destination: Unknown · Date: 04.04.1819 bis 05.04.1819
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Auguste Louis de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Bonn
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 04.04.1819 bis 05.04.1819
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 333‒336.
  • Incipit: „Bonn 4 Avril [18]19
    Mon cher Auguste,
    Ce que vous mʼannoncez, est de ces choses quʼil faut prendre philosophiquement. Lʼamitié lʼavoit donné, le [...]“
    Language
  • French
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Bonn 4 Avril [18]19
Mon cher Auguste,
Ce que vous mʼannoncez, est de ces choses quʼil faut prendre philosophiquement. Lʼamitié lʼavoit donné, le sort le reprend – voilà tout. On créeroit le mal, si lʼon se tourmentoit. Hélas! les peines de lʼame sont bien autrement graves. Je vous assure quʼaprès avoir reçu hier dans lʼaprèsdinée votre lettre, jʼai passé la soirée à causer étymologie avec un de mes collègues, et à discuter des questions Homériques. Si je pouvoir retablir la solvabilité des Tottié et Compton en renonçant au Digamma Aeolicum, je ne sais pas ce que je ferois.
Je vous supplie donc, de ne pas vous arrêter un instant à la supposition que cela auroit pu être prévenu. Il nʼy a là de la faute de personne – cʼest au nombre des accidens auxquels tout le monde est exposé, à moins de nʼavoir rien du tout – ce qui est commode à certains égards, mais ne laisse pas dʼavoir aussi ses inconvéniens. Nous tacherons de reparer la brêche par de lʼéconomie. Je mʼen vais écrire à ces messieurs – mandez-moi au plus tôt comment va cette affaire, et quand nous pourrons espérer dʼêtre nantis de ce qui nous reviendra.
Je reconnois votre amitié et votre ancienne affection pour moi dans ce que vous me dites sur un avenir quelconque. Mais au reste ma situation nʼest pas mauvaise. Une fois établi, le rapport de ma place doit à peu près me suffire. Je ne puis pas compter ici sur un grand revenu de mes cours – il serait considérable à Berlin, où jʼaurois encore dʼautres avantages, de sorte quʼavec les appointemens cela se monteroit à 12 ou 14 [mille] francs. Mais en revanche il fait plus cher vivre dans une grande ville – dʼailleurs quoiquʼon mʼinvite à venir à Berlin de la maniere la plus engageante, jʼai de lʼaversion pour y aller. Je crains le climat, je deteste les clabanderies des partis politiques, – ensuite cela mʼécarte trop, au lieu quʼici je suis à portée de faire des voyages agréables. Ma santé est assez bonne, mais elle demande une grande regularité de vie – je ne sais pas, si elle resisteroit à un fort travail réuni à beaucoup de distractions sociales. Cela me dérange tout de suite, de passer une soirée jusquʼà minuit dans la société. Cependant le ministère ne veut pas lâcher prise: il avoit ordonné dʼabord que le titre de professeur à Berlin fût ajouté à mon nom dans le catalogue de nos leçons. Cela chagrinoit mes collègues, et à ma demande on sʼen est desisté. Nous verrons. – Je nʼai point dʼembarras, mon cher Auguste – mais jʼai des chagrins, dont je vous parlerai une autrefois. Il se peut que dans la suite je consente à un sacrifice pecuniaire pour en finir une fois pour toutes.
Je suis toujours seul ici, comme vous savez – mais sous dʼautres rapports jʼai eu du bonheur. Mon ménage ne me tracasse pas, parce que jʼai à mon service des gens fort honnêtes et fort soigneux. Jʼai fait lʼacquisition dʼun ami – cʼest un de mes collègues à peu près de mon age; pere dʼune famille nombreuse – il mʼest secourable sous tous les rapports, comme médecin, comme philosophe et comme homme réligieux. Nous avons en général de quoi former des petits cercles agréables.
Je suis indolent comme vous savez – il est peut-être salutaire dʼêtre forcé journellement à un travail régulier. Je trouve du plaisir à donner des cours et je tâche dʼy exercer le talent de la parole – je nʼécris quʼune légère ébauche, quelquefois je nʼai point de cahier du tout. A présent dans les vacances je suis occupé à scour up my old Latin, comme disoit la reine Elisabeth. Jʼécris une dissertation De usu linguae Indorum sacrae in caussis linguae Graecae et Latinae indagandis, specimen Etymologici, novi etc. Lʼouvrage entier, aussi en Latin, devra être imprimé en Angleterre et jʼespere quʼil mʼy vaudra une réputation dʼun nouveau genre. Ce nʼest quʼaprès avoir achevé ce travail que je compte donner une vue philosophique et historique des antiquités et de la littérature Indiennes – je pense en françois, comme tout ce qui doit être lu en Europe par dʼautres que par des savans.
Je suis furieux contre Baldwin – jʼaurois souhaité que vous eussiez fait venir mes livres Indiens à Paris – il me paroît bien incertain à présent que je les auroi, et ils me sont indispensables pour donner un cours annoncé. Dʼailleurs je crois que le transit par les Pays bas est assez cher. Puisque Baldwin ne nous répond pas, et que vous êtes actuellement en relation avec Treuttel et Würtz, faites leur presser cette expédition – faites la leur faire, si elle nʼest pas encore faite, et il sera plus sûr alors de faire passer les livres par Paris, quoique lʼautre caisse ne doive pas les attendre. Dites-moi par quelle voye elle viendra.
Lʼexcellent Bopp est en Angleterre – il doit cet avantage en partie à ma recommandation au Prince de Baviere. Il se loue fort de la reception de Colebrooke et il nage dans le Sanscrit.
Les feuilles vous auront appris la déplorable catastrophe de Kotzebue. Cʼétoit un pauvre sujet et un mauvais sujet, et le voilà martyre. Les souverains vont voir là dedans toute la terreur des tribunaux Vehmiques – on se dechainera contre les universités comme le foyer du fanatisme politique – elles sont cependant le paladium de notre superiorité intellectuelle. Cela se lie avec lʼaffaire de Stourdza et il court un bruit en Allemagne que lʼEmpereur de Russie est lui-même lʼauteur de ce trop fameux écrit. – Le jeune homme qui a assassiné Kotzebue étoit à ce quʼassurent des professeurs qui lʼont connu, irreprochable jusquʼalors – mais il cachoit, à ce quʼil paroît, sous des manieres douces et une vie studieuse, une exaltation héréditaire. Son pere et son oncle se sont tués. Sʼil ne meurt pas, cela entrainera une longue enquête pour lui trouver des complices – cependant il persiste à affirmer quʼil nʼen a pas. Ne pouvant pas parler à cause du coup de poignard quʼil sʼest donné dans les poumons, il doit avoir écrit sur des tablettes en reponse aux questions du juge dʼinstruction: „Kotzebue corrupteur de la jeunesse – traître à la liberté Germanique – espion russe – a mérité la mort.“
Le général Müffling a passé ici dernièrement – il ne sʼest arrêté quʼune demie heure quʼil a passé chez moi. Il est toujours bien chaudement mon ami.
Mr Faber, conseillé dʼétat Russe et attaché à la légation de Francfort a passé ici et je lui ai donné une petite soirée. Votre sœur lʼa connu à St. Petersbourg.
Jʼai lu avec un grand plaisir vos deux écrits et jʼai regretté de nʼavoir pas pu être votre prote – vous voilà donc lancé dans la carrière. Vous avez raison en tout – cependant je trouve que vos argumens pour la jeunesse des deputés feroient encore plus dʼimpression, si vous aviez cinquante ans. Vous combattez pro aris et foris.
Je reviens aux affaires – si le gouvernement tarde encore plus longtemps à mʼassigner un payement, je serai forcé de tirer sur Aubernon. Si lʼon compte mes appointemens depuis la date de ma nomination, on me doit déjà 6000 francs, les frais dʼétablissement y compris.
ce 5 Avril. Voici ma lettre à Tottié – jʼespère quʼelle est faite comme vous desirez. Jʼy joins pour vous le dernier compte courant – jʼai pensé que cela pourroit être necessaire. Donnez-moi au plutôt des nouvelles – vous trouverez naturel que je désire savoir au juste lʼétendue de la perte, et quand, ce qui reste pourra être mis en sureté, si toutefois il y a une sureté pour les choses humaines. Je vous ai mille obligations – tout seul je ne saurois absolument pas me tirer dʼembarras.
Mille et mille choses à votre sœur – je lui dois depuis long-temps une lettre, mais je ne veux pas différer celle-ci.
Adieu – conservez-moi votre amitié. Je vous recommande encore lʼenvoi des livres Indiens – cʼest mon pain quotidien.
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Bonn 4 Avril [18]19
Mon cher Auguste,
Ce que vous mʼannoncez, est de ces choses quʼil faut prendre philosophiquement. Lʼamitié lʼavoit donné, le sort le reprend – voilà tout. On créeroit le mal, si lʼon se tourmentoit. Hélas! les peines de lʼame sont bien autrement graves. Je vous assure quʼaprès avoir reçu hier dans lʼaprèsdinée votre lettre, jʼai passé la soirée à causer étymologie avec un de mes collègues, et à discuter des questions Homériques. Si je pouvoir retablir la solvabilité des Tottié et Compton en renonçant au Digamma Aeolicum, je ne sais pas ce que je ferois.
Je vous supplie donc, de ne pas vous arrêter un instant à la supposition que cela auroit pu être prévenu. Il nʼy a là de la faute de personne – cʼest au nombre des accidens auxquels tout le monde est exposé, à moins de nʼavoir rien du tout – ce qui est commode à certains égards, mais ne laisse pas dʼavoir aussi ses inconvéniens. Nous tacherons de reparer la brêche par de lʼéconomie. Je mʼen vais écrire à ces messieurs – mandez-moi au plus tôt comment va cette affaire, et quand nous pourrons espérer dʼêtre nantis de ce qui nous reviendra.
Je reconnois votre amitié et votre ancienne affection pour moi dans ce que vous me dites sur un avenir quelconque. Mais au reste ma situation nʼest pas mauvaise. Une fois établi, le rapport de ma place doit à peu près me suffire. Je ne puis pas compter ici sur un grand revenu de mes cours – il serait considérable à Berlin, où jʼaurois encore dʼautres avantages, de sorte quʼavec les appointemens cela se monteroit à 12 ou 14 [mille] francs. Mais en revanche il fait plus cher vivre dans une grande ville – dʼailleurs quoiquʼon mʼinvite à venir à Berlin de la maniere la plus engageante, jʼai de lʼaversion pour y aller. Je crains le climat, je deteste les clabanderies des partis politiques, – ensuite cela mʼécarte trop, au lieu quʼici je suis à portée de faire des voyages agréables. Ma santé est assez bonne, mais elle demande une grande regularité de vie – je ne sais pas, si elle resisteroit à un fort travail réuni à beaucoup de distractions sociales. Cela me dérange tout de suite, de passer une soirée jusquʼà minuit dans la société. Cependant le ministère ne veut pas lâcher prise: il avoit ordonné dʼabord que le titre de professeur à Berlin fût ajouté à mon nom dans le catalogue de nos leçons. Cela chagrinoit mes collègues, et à ma demande on sʼen est desisté. Nous verrons. – Je nʼai point dʼembarras, mon cher Auguste – mais jʼai des chagrins, dont je vous parlerai une autrefois. Il se peut que dans la suite je consente à un sacrifice pecuniaire pour en finir une fois pour toutes.
Je suis toujours seul ici, comme vous savez – mais sous dʼautres rapports jʼai eu du bonheur. Mon ménage ne me tracasse pas, parce que jʼai à mon service des gens fort honnêtes et fort soigneux. Jʼai fait lʼacquisition dʼun ami – cʼest un de mes collègues à peu près de mon age; pere dʼune famille nombreuse – il mʼest secourable sous tous les rapports, comme médecin, comme philosophe et comme homme réligieux. Nous avons en général de quoi former des petits cercles agréables.
Je suis indolent comme vous savez – il est peut-être salutaire dʼêtre forcé journellement à un travail régulier. Je trouve du plaisir à donner des cours et je tâche dʼy exercer le talent de la parole – je nʼécris quʼune légère ébauche, quelquefois je nʼai point de cahier du tout. A présent dans les vacances je suis occupé à scour up my old Latin, comme disoit la reine Elisabeth. Jʼécris une dissertation De usu linguae Indorum sacrae in caussis linguae Graecae et Latinae indagandis, specimen Etymologici, novi etc. Lʼouvrage entier, aussi en Latin, devra être imprimé en Angleterre et jʼespere quʼil mʼy vaudra une réputation dʼun nouveau genre. Ce nʼest quʼaprès avoir achevé ce travail que je compte donner une vue philosophique et historique des antiquités et de la littérature Indiennes – je pense en françois, comme tout ce qui doit être lu en Europe par dʼautres que par des savans.
Je suis furieux contre Baldwin – jʼaurois souhaité que vous eussiez fait venir mes livres Indiens à Paris – il me paroît bien incertain à présent que je les auroi, et ils me sont indispensables pour donner un cours annoncé. Dʼailleurs je crois que le transit par les Pays bas est assez cher. Puisque Baldwin ne nous répond pas, et que vous êtes actuellement en relation avec Treuttel et Würtz, faites leur presser cette expédition – faites la leur faire, si elle nʼest pas encore faite, et il sera plus sûr alors de faire passer les livres par Paris, quoique lʼautre caisse ne doive pas les attendre. Dites-moi par quelle voye elle viendra.
Lʼexcellent Bopp est en Angleterre – il doit cet avantage en partie à ma recommandation au Prince de Baviere. Il se loue fort de la reception de Colebrooke et il nage dans le Sanscrit.
Les feuilles vous auront appris la déplorable catastrophe de Kotzebue. Cʼétoit un pauvre sujet et un mauvais sujet, et le voilà martyre. Les souverains vont voir là dedans toute la terreur des tribunaux Vehmiques – on se dechainera contre les universités comme le foyer du fanatisme politique – elles sont cependant le paladium de notre superiorité intellectuelle. Cela se lie avec lʼaffaire de Stourdza et il court un bruit en Allemagne que lʼEmpereur de Russie est lui-même lʼauteur de ce trop fameux écrit. – Le jeune homme qui a assassiné Kotzebue étoit à ce quʼassurent des professeurs qui lʼont connu, irreprochable jusquʼalors – mais il cachoit, à ce quʼil paroît, sous des manieres douces et une vie studieuse, une exaltation héréditaire. Son pere et son oncle se sont tués. Sʼil ne meurt pas, cela entrainera une longue enquête pour lui trouver des complices – cependant il persiste à affirmer quʼil nʼen a pas. Ne pouvant pas parler à cause du coup de poignard quʼil sʼest donné dans les poumons, il doit avoir écrit sur des tablettes en reponse aux questions du juge dʼinstruction: „Kotzebue corrupteur de la jeunesse – traître à la liberté Germanique – espion russe – a mérité la mort.“
Le général Müffling a passé ici dernièrement – il ne sʼest arrêté quʼune demie heure quʼil a passé chez moi. Il est toujours bien chaudement mon ami.
Mr Faber, conseillé dʼétat Russe et attaché à la légation de Francfort a passé ici et je lui ai donné une petite soirée. Votre sœur lʼa connu à St. Petersbourg.
Jʼai lu avec un grand plaisir vos deux écrits et jʼai regretté de nʼavoir pas pu être votre prote – vous voilà donc lancé dans la carrière. Vous avez raison en tout – cependant je trouve que vos argumens pour la jeunesse des deputés feroient encore plus dʼimpression, si vous aviez cinquante ans. Vous combattez pro aris et foris.
Je reviens aux affaires – si le gouvernement tarde encore plus longtemps à mʼassigner un payement, je serai forcé de tirer sur Aubernon. Si lʼon compte mes appointemens depuis la date de ma nomination, on me doit déjà 6000 francs, les frais dʼétablissement y compris.
ce 5 Avril. Voici ma lettre à Tottié – jʼespère quʼelle est faite comme vous desirez. Jʼy joins pour vous le dernier compte courant – jʼai pensé que cela pourroit être necessaire. Donnez-moi au plutôt des nouvelles – vous trouverez naturel que je désire savoir au juste lʼétendue de la perte, et quand, ce qui reste pourra être mis en sureté, si toutefois il y a une sureté pour les choses humaines. Je vous ai mille obligations – tout seul je ne saurois absolument pas me tirer dʼembarras.
Mille et mille choses à votre sœur – je lui dois depuis long-temps une lettre, mais je ne veux pas différer celle-ci.
Adieu – conservez-moi votre amitié. Je vous recommande encore lʼenvoi des livres Indiens – cʼest mon pain quotidien.
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