Je suis arrivé ici, chère amie, en très bonne santé, mais seulement lundi soir. La première moitié de mon voyage a été assez fatigante par les pluies, les chemins affreux et les mauvaises voitures. Je n’ai pu arriver à Göttingen que dimanche après midi; comme il auroit pourtant fallu voyager une seconde nuit je résolus de me reposer en causant avec mon frère, et je ne partis pour Hanovre que lundi matin. Depuis Dresde j’ai été constamment à la rencontre de mes souvenirs. c’étoit comme si je rebroussois chemin dans la vie. A quelques lieues d’Hanovre, je pouvois déjà distinguer un grand clocher auprès duquel je suis né, et autour duquel j’ai joué pendant toute mon enfance. Ma pauvre patrie, après tous mes voyages, m’a plu beaucoup mieux que je ne pensois. Le pays entre Göttingen et Hanovre est assez varié et boisé, le sang y est beau, les filles sont blondes et fraîches, le peuple parle un patois assez doux. Ma mère étoit fort émue de me revoir, je tâche autant que je puis de dissiper ses soucis sur l’avenir, et je prens avec mon frère d’ici tous les arrangemens pour qu’elle soit bien soignée et ne manque de rien en cas de maladie. Elle est sujette à beaucoup d’infirmités; cependant en raison de son âge, sa santé est encore assez bonne. Elle vous porte un grand respect, et a lu Corinne dans la traduction de mon frère avec beaucoup d’intérêt. En général vous avez ici beaucoup d’admirateurs.
J’aurois soin d’être mardi prochain à Göttingen; je n’y resterai que mercredi et je compte infailliblement me trouver vendredi soir à Franckftort]. Comme c’est la grande route, que les chemins sont excellents et les postes bien servies, je suis d’autant plus sûr de mon fait. J’espère que vous aurez agréablement passé vos jours à Weimar, en me regrettant pourtant un peu.
De Cassel un bruit s’est répandu de la mort du roi d’Angleterre, mais cette nouvelle est déjà connue fausse.
Je tâche de recueillir quelques faits qui puissent vous amuser ensuite. Mes frères sont des hommes de beaucoup de sens et de très bons sentimens. En général cette race des Sch[legel] est bonne; il faudroit mettre plus de soins à la propager.
Mille fois adieu, chère amie, je vous aime de tout mon cœur et je suis fier de votre amitié. Soyez un peu bonne pour moi. Je donne ma bénédiction à Albertine, et je vous prie de faire mes complimens à M. Sismondi.