• August Wilhelm von Schlegel to Anne Louise Germaine de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Lausanne · Place of Destination: Unknown · Date: 25.12.1811
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Lausanne
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 25.12.1811
    Printed Text
  • Bibliography: Pange, Pauline de: Auguste-Guillaume Schlegel et Madame de Staël d’apres des documents inédits. Paris 1938, S. 334‒335.
  • Incipit: „J’aurois voulu vous écrire avant mon départ de C[oppet], chère amie, mais j’ai été harassé d’occupations jusqu’au dernier moment. Je vous [...]“
    Language
  • French
J’aurois voulu vous écrire avant mon départ de C[oppet], chère amie, mais j’ai été harassé d’occupations jusqu’au dernier moment. Je vous dirai, pour me justifier de vos reproches, que vous vous affligez en effet lorsque les gens partent, mais vous ne vous réjouissez pas lorsqu’ils arrivent, et c’est bien pire. Ensuite mes émotions ne viennent presque jamais à propos, je les ai quand je n’en puis faire honneur ni à moi ni à personne. Jai soupé hier soir avec M. Von der Lahr; je lui ai trouvé beaucoup meilleure tournure que je n’avois cru; surtout l’accent avec lequel on vous a dit qu’il débitoit des bêtises étoit un ornement oratoire du récit. Il louche presque et il tâche de faire avec cela les yeux fins. Il n’a pas du tout parlé de son affaire, quoiqu’il ne me connût pas. Au contraire il a parlé de la poésie lyrique et épique, et il a soutenu contre un François que la poésie ne consisteroit pas dans les vers mais dans la fiction, et que par conséquent M. Kotzebue devoit être réputé poète. Son avocat parisien est parti il y a près de quinze jours; il part aujourd’hui lui-même pour retourner à Darmstadt – tout le partage du procès est tombé.
Il nest rien de plus simple que le mot de Saint-Martin – il sest un peu joué de Biot en larrêtant au premier pas – cependant il parloit à un mathématicien en figures de sa science. Les nombres irrationaux sont l’emblème du mal parce que leur base est contradictoire en elle-même et impossible à concevoir. D’ailleurs cette nature réfractaire d’un nombre s’oppose à toute progression vers un rang plus élevé, car pour élever un nombre à une puissance plus haute il faut replier son activité sur son centre, c’est-à-dire le multiplier avec sa racine. Or dans les nombres irrationaux cette racine est impossible à extraire. Saint-Martin a donc voulu dire que le monde a été créé pour dénaturer le mal, pour l’identifier avec le bien, et que cela ne pouvant se faire par des moyens purement naturels et raisonnables, les voyes miraculeuses étoient préétablies par la création même.
Pour que tout ceci vous devienne parfaitement clair, je ne demande qu’une petite leçon d’algèbre à Auguste sur l’extraction des racines et sur les puissances des nombres.
M. Biot, pour devenir un homme raisonnable, devroit entrer dans l’Ecole de Pythagore et se taire pendant cinq ans. Les prêtres égyptiens l’auroient envoyé promener encore bien autrement que S[ain]t-Martin.
Les savants d’aujourd’hui ont perdu l’œil de la science; ils travaillent à l’aveuglette comme les vers à soie forment leurs cocons. Celui qui voit peut ensuite en admirer le bel ovale, mais pour eux ils n’en savent rien.
Il est de grand matin, je n’ai encore pu voir personne, mais je viens de recevoir une fort aimable invitation de la part de M. de Polier.
J’ai été tout chagrin de vous voir hier si indisposée – soignez votre santé avant tout. Votre accablement provient en partie de votre état physique et en partie de l’air que vous respirez. Ces obstacles levés, vous aurez de nouveau la jouissance de vos superbes facultés.
Mille adieux, chère amie.
J’aurois voulu vous écrire avant mon départ de C[oppet], chère amie, mais j’ai été harassé d’occupations jusqu’au dernier moment. Je vous dirai, pour me justifier de vos reproches, que vous vous affligez en effet lorsque les gens partent, mais vous ne vous réjouissez pas lorsqu’ils arrivent, et c’est bien pire. Ensuite mes émotions ne viennent presque jamais à propos, je les ai quand je n’en puis faire honneur ni à moi ni à personne. Jai soupé hier soir avec M. Von der Lahr; je lui ai trouvé beaucoup meilleure tournure que je n’avois cru; surtout l’accent avec lequel on vous a dit qu’il débitoit des bêtises étoit un ornement oratoire du récit. Il louche presque et il tâche de faire avec cela les yeux fins. Il n’a pas du tout parlé de son affaire, quoiqu’il ne me connût pas. Au contraire il a parlé de la poésie lyrique et épique, et il a soutenu contre un François que la poésie ne consisteroit pas dans les vers mais dans la fiction, et que par conséquent M. Kotzebue devoit être réputé poète. Son avocat parisien est parti il y a près de quinze jours; il part aujourd’hui lui-même pour retourner à Darmstadt – tout le partage du procès est tombé.
Il nest rien de plus simple que le mot de Saint-Martin – il sest un peu joué de Biot en larrêtant au premier pas – cependant il parloit à un mathématicien en figures de sa science. Les nombres irrationaux sont l’emblème du mal parce que leur base est contradictoire en elle-même et impossible à concevoir. D’ailleurs cette nature réfractaire d’un nombre s’oppose à toute progression vers un rang plus élevé, car pour élever un nombre à une puissance plus haute il faut replier son activité sur son centre, c’est-à-dire le multiplier avec sa racine. Or dans les nombres irrationaux cette racine est impossible à extraire. Saint-Martin a donc voulu dire que le monde a été créé pour dénaturer le mal, pour l’identifier avec le bien, et que cela ne pouvant se faire par des moyens purement naturels et raisonnables, les voyes miraculeuses étoient préétablies par la création même.
Pour que tout ceci vous devienne parfaitement clair, je ne demande qu’une petite leçon d’algèbre à Auguste sur l’extraction des racines et sur les puissances des nombres.
M. Biot, pour devenir un homme raisonnable, devroit entrer dans l’Ecole de Pythagore et se taire pendant cinq ans. Les prêtres égyptiens l’auroient envoyé promener encore bien autrement que S[ain]t-Martin.
Les savants d’aujourd’hui ont perdu l’œil de la science; ils travaillent à l’aveuglette comme les vers à soie forment leurs cocons. Celui qui voit peut ensuite en admirer le bel ovale, mais pour eux ils n’en savent rien.
Il est de grand matin, je n’ai encore pu voir personne, mais je viens de recevoir une fort aimable invitation de la part de M. de Polier.
J’ai été tout chagrin de vous voir hier si indisposée – soignez votre santé avant tout. Votre accablement provient en partie de votre état physique et en partie de l’air que vous respirez. Ces obstacles levés, vous aurez de nouveau la jouissance de vos superbes facultés.
Mille adieux, chère amie.
· Übersetzung , 25.12.1811
· Pange, Pauline de: August Wilhelm Schlegel und Frau von Staël. Eine schicksalhafte Begegnung. Nach unveröffentlichten Briefen erzählt von Pauline Gräfin de Pange. Dt. Ausg. von Willy Grabert. Hamburg 1940, S. 263–264.
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