Vous me demandez des informations, mon cher Auguste, et il se trouve, que par votre lettre jʼapprends une quantité de choses que jʼignorois. Vous me connoissez, je suis comme cela – en fait de découvertes des navigateurs jʼai mieux medité le voyage de Pytheas de Marseille que celui de Cook – pour lʼAfrique je mʼen tiens au Periplus de Hannon à lʼégard des côtes, et dans lʼintérieur Herodote est mon guide – je calcule les longitudes et les latitudes dʼaprès le systême dʼEratosthene – si Albert me demande de nouvelles inventions dans le genie et lʼartillerie, je lui citerai les machines dont Démétrius Poliorcete se servit dans le siege de Rhodes et la défense de Syracuse par Archimede.
Je voudrois avoir un livre qui vous seroit utile dans vos études actuelles – cʼest lʼhistoire des voyages de decouvertes par Sprengel – ce nʼest quʼun abrégé, mais qui contient la quintessance. Malte-Brun a bien su profiter de tout cela – il est monté sur les épaules des savants Allemands, ou plutôt sur leur dos, et vous savez quʼils sont distingués pour tout ce quʼil est lavor di schiena. Malte-Brun est un excellent arrangeur à la Françoise – il réunit une methode facile avec lʼexactitude de nos compilateurs – du reste je ne crois pas quʼon puisse citer une seule pensée ou observation vraiment originale dans ses écrits.
Sur lʼAmerique, tout ce que je sais vous dire de plus lumineux, cʼest que le Démon a de tout tems joui dʼune grande latitude dans ce pays-là. Témoin lʼanthropophagie, les sacrifices humains et la politique des Etats unis dʼaujourdʼhui. Cependant, pour parler sérieusement, il paroît que les deux seuls grands empires cultivés du nouveau monde avoient eu des fondateurs venus de lʼancien – cʼest à dire le Mexique les Normans et le Perou les Chinois ou plutôt les Indiens. Cʼest un rapprochement assez curieux que les Normans (qui étoient une espece dʼAllemands, comme vous savez) ayent en même tems fondé lʼempire Russe, qui peu à peu sʼest étendu jusquʼaux extrémités de la Sibérie, et le royaume de Mexique qui peut être auroit fait des progrès pareils en Amerique si les Espagnols ne lʼavoient pas détruit. Le nombre immense des sacrifices humains donne à ce dernier une terrible ressemblance avec la religion des Scandinaves.
Les découvertes géographiques et le perfectionnement de la Géographie mʼintéressent infiniment comme moyen – il faut remonter de là à lʼhistoire primitive des nations et ensuite à celle du globe – il y auroit un ouvrage superbe à faire là dessus tel quʼil nʼen existe pas encore – mais peut-être après toutes les decouvertes faites nʼest ce pas encore assez préparé.
Jʼespère que vous serez bientôt de retour à C.[oppet], alors nous causerons sur tout cela, et je compte bien profiter de vos progrès. Je vous entretiendrai aussi de mes études sur lʼhistoire du moyen age et sur les anciens monuments de notre langue et de notre poesie. Ars longa, vita brevis. Plus jʼavance en age et plus je trouve de lacunes dans mes connoissances à remplir. Je projette de grands ouvrages, cʼest le seul moyen de se distraire des chagrins de la vie. – Vous étes jeune, vous verrez dʼautres tems – et alors: et haec meminisse iuvabit.
Adieu, mon cher Auguste, soyez bien convaincu de ma constante et tendre amitié pour vous. Je vous souhaite un heureux retour de votre course, et à Albert un prompt retablissement.
Je ne crois pas quʼil y ait ici à la Bibliotheque des cartes antérieures à Christophe Colomb – à Lyon il y en a au moins de fort anciennes. Jʼai trouvé parmi dʼautres bouquins une Géographie de 1600 – cela nʼest pas fort ancien – cependant il est curieux de voir marquées sur les cartes les fausses idées quʼon avoit encore alors sur plusieurs parties du globe – sur tout ce grand continent méridional quʼon sʼimaginoit.