Nous voici, mon cher Auguste, depuis près dʼun mois dans nos quartiers dʼhyver. Nous y serions chaudement et agréablement nichés si nous avions toujours des nouvelles bien bonnes et bien fraîches de vous et des autres amis que nous avons laissés là bas. Cʼest ce quʼil faut pour dissiper les tristes brouillards du nord, qui portent facilement au spleen. La campagne a été un peu rude et fatigante, surtout pour des femmes; pour la clôture nous eûmes encore une petite bourasque equinoxiale – cela nʼest pas encourageant pour des entreprises semblables, et vous savez que Madame votre mere naturellement deteste lʼélément salé. Mais enfin sʼil nʼest pas bon à avoir devant soi, il est excellent sur les derrieres. Du reste nous ne pouvons pas assez nous féliciter, ou pour mieux dire remercier la providence, de la resolution quʼelle nous a inspirée, et de lʼepoque quʼelle nous a fait choisir. Six semaines plus tard il auroit été difficile, peut-être absolument impossible dʼarriver à bon port avant la saison des orages. On a beaucoup hésité, si lʼon ne prendroit pas la route du midi: je mʼy suis constamment opposé et je mʼen applaudis. Quʼaurions nous fait parmi ces mécréants, où il nʼy a aucune liaison à former? Et puis ces immenses trajets de mer! Ce qui nous intéresse ne se passe pas de ce coté là, nous nʼaurions pas même eu le moyen dʼen être bien informés. Par la voye que nous avons préférée nous avons vu des centres dʼaction, et nous avons fait beaucoup de connoissances remarquables et vraiment historiques. Lʼaccueil que Madame votre mere a trouvé partout et quʼelle trouve ici, est tel que vous pouvez le désirer. Son Petit sallon est le pandémonium de tout ce quʼil y a de brillant en Suède. Albert est très beau garçon et le plus heureux des hommes dans son superbe uniforme – Mlle Albertine danse au bal de lʼAmaranthe et tout le monde la trouve charmante. Enfin tout seroit pour le mieux si vous nous aviez rejoint. Jʼespere que les affaires, que vous avez encore à terminer, avancent, – jʼai été un peu alarmé lorsquʼil a été question dʼun voyage qui vous interromproit là dedans. Jʼespère quʼen bon campagnard vous ne vous serez pas laisser entrainer par les plaisirs des villes. Il me semble que vos amis, sachant vos occupations, devoint venir vers vous et non pas vous engager à faire un voyage. Vos affaires Vaudoises finies, il vous reste celles de lʼAmérique – et je pense que vous pourrez y aller dʼune maniere plus avantageuse, en faisant le détour par ici. Si les Américains persistent dans la guerre je crains quʼils finiront par se chamailler entrʼeux et se diviser, et leurs terres en vaudroient moins. Mais les revers pourroient bien les dégouter de faire ce mêtier qui nʼest pas le leur. Toute leur armée, deux mille cinq cents garçons de boutique et commis de marchand, prisonniers de guerre à la fois. Cʼest un désastre ridicule, qui contraste singulierement avec le serieux de lʼEurope.
Quant à moi je suis partagé entre deux occupations opposées: tantot jʼétudie les événements du jour, et si faire se peut, du lendemain; tantôt ce qui sʼest passé avant memoire dʼhommes. Je suis ici à la source pour la mythologie et les traditions Scandinaves, et jʼespere bientôt être en état de vous composer une généalogie comme quoi vous descendez dʼOdin.
Adieu mon cher Auguste, je voudrois pouvoir dire: au revoir. Je vous prie de croire à mon amitié la plus sincère et la plus dévouée.