Bien des remercimens de votre lettre du 13 Sept., mon cher Auguste. Vous aurez reçu la mienne. Je continuerai de vous écrire regulierement – en revanche donnez moi souvent de vos nouvelles: il me faut ce dedommagement, nʼayant pas pu vous voir cet automne, vous et la famille. Je souhaite avant tout apprendre le retablissement de Mlle Randall et lʼheureuse arrivée de votre sœur.
Voilà enfin un signe de vie de ces éternels Tottié – mais il y a loin de là à de lʼargent effectif. Aussitôt que vous en recevrez, je vous prie de le placer solidement, soit dans le tiers consolidé, soit en achetant des actions de la banque, dont jʼai grande envie.
Nous ne pourrons pas attendre une distribution des Tottié pour payer mon compte chez Baldwin & C°. Ainsi je vous prie dʼy employer le prochain semestre de mes rentes, aussitôt quʼil sera échu. Ce compte se monte à 45 ₤. – 6. – 6, ainsi vous serez précisément en fonds pour le payer. Ils me lʼont déjà envoyé au mois dʼAvril – jʼavois chargé Mrs Tottié de payer, mais ils étoient déjà informés quʼil nʼy avoit pas de payement à espérer de ce côté. Jʼai vraiment honte de ce long délai. Je mʼen vais écrire à Baldwin, et vous me permettrez bien de le renvoyer à vous.
Baldwin va faire une nouvelle édition de la traduction de mon Cours de Lit.[térature] dram.[atique] par Black. Celuici mʼa écrit dernierement par Mr Murray, lʼun des rédacteurs des Times, qui vient de passer ici. Tous mʼassurent que le succès de mon ouvrage se maintient en Angleterre – cela est agréable à savoir pour le cas que je voulusse y aller. Baldwin et Black voudroient avoir des additions, mais je nʼai ni les matériaux ni le loisir pour en donner actuellement. Tout ce que je puis faire cʼest de reviser la traduction et dʼindiquer les passages où il y auroit des changemens à faire.
Mon nom a pénétré aussi en Espagne, on mʼa envoyé de Cadiz tout un paquet de gazettes et de pamphlets où lʼon se dispute sur le mérite de Calderon, et où je suis cité à chaque page. Ce quʼil y a de bizarre cʼest que des Espagnols, sans doute du parti libéral, attaquent leur grand poète national, et quʼun Allemand le défend en très bon espagnol. Cʼest Mr Böhl, consul de Hambourg à Cadiz, etabli depuis long-temps en Espagne et marié à une femme espagnole. Voilà comme les idées libérales rendent illibéral: ces gens là ne peuvent pas lire un poète réligieux avec enthousiasme, sans voir derrière ses fictions sublimes tout lʼappareil de lʼinquisition.
Un professeur allemand à Liège a traduit en vers latins fort élégans deux de mes élégies. Lʼune est celle sur les souvenirs de Rome, adressée à mon immortelle protectrice, lʼautre sur les beaux arts en Grèce. Ainsi le sujet sʼy prêtoit. Je voudrois bien que cette traduction fût imprimée avec élégance à Paris ou à Londres – en Angleterre surtout je pourrois me flatter de trouver des lecteurs. Cʼest un petit objet: les deux pièces ensemble ne font que 500 vers. Cela figureroit bien in quarto en gros caractères. Il nʼy auroit pas dʼhonoraire à payer, seulement un nombre dʼexemplaires pour le traducteur et pour moi – jʼenverrois lʼimprimé tout corrigé. Vous me feriez grand plaisir en mʼarrangeant cela – par exemple chez Bossange puisquʼil a aussi une maison à Londres – car les Treuttel ne donnent pas dans la magnificence.
Jʼai reçu les feuilles b–e de lʼécrit de Madame Necker, mais la première feuille sʼest perdue en chemin, ce qui me désole. Jʼai écrit trois fois ces jours-ci à ce sujet à Mr Treuttel. Mandez-moi donc, si Madame Necker se nomme comme auteur.
Voici une nouvelle pour vos Censeurs. Mr Görres vient de lancer un nouvel écrit politique intitulé LʼAllemagne et la Révolution. Il a sauté la censure, et en conséquence son livre, imprimé à Coblence même, a été saisi. Mais lʼon assure que de grands envois ont été faits précédemment, et que cela se trouve à Francfort. On pourra donc se le procurer à Paris, et il y auroit sans doute des extraits intéressans à faire; mais pour moi je ne mʼy brûlerai pas les doigts.
Je suis fort reconnoissant aux Censeurs de leur bonne opinion – pour vous obliger je tâcherai de faire des articles littéraires, aussitôt que je trouverai des sujets qui puissent intéresser le public françois. Je vous enverrai une petite notice que je viens de donner en Allemand sur lʼétat actuel de la philologie indienne. Mais cela seroit plutôt à sa place dans la Bibliothèque Universelle.
Au reste je me permettrai de donner un conseil aux redacteurs du C.[enseur] E.[uropéen], cʼest de séparer entierement la littérature de la politique. Celle-ci est déjà suffisamment envahissante de sa nature – il nʼest pas juste de lui accorder ces usurpations. Jʼai reçu une impression fort désagréable, en voyant Mr de Sacy insulté à cause de ses opinions, lorsquʼil se présentoit uniquement dans ses fonctions de secretaire de la troisième classe de lʼInstitut. Mr de Sacy est un des orientalistes les plus distingués de lʼEurope, il est un ornement de la France savante. Il faudroit se glorifier de posséder de pareils hommes. Et puis, pourquoi blâmer lʼInstitut de proposer des questions dʼérudition, pour lesquelles il est précisément institué? Cʼen seroit fait de la science, si lʼon exigeoit de chaque recherche une utilité immédiate. Cette tendance, de négliger tout ce qui ne tourne pas au profit, est déjà assez préponderante en France – si on lʼencourage, cela tournera à une barbarie complette.
Mon cher Auguste, lʼAllemagne est fort tenable, quand on ne se mêle pas de politique, comme me conseilloit P.[ozzo] di Borgo à mon départ de Paris. Je suis à merveille avec mes chefs, et je vis ici comme un petit prince. Au fond sans le vouloir, jʼai fait une chose assez habile en débutant par Bonn. Pour Berlin je suis comme una bella ritrosetta, à qui en raison de ses refus, on dit dʼautant plus de choses flatteuses; et ici lʼon me compte pour quelque chose ma préférence. Je reste décidément ici jusquʼen automne 1820. Ensuite nous verrons. A Berlin jʼaurois des revenus plus considérables, mais il me faudroit aussi dépenser davantage, au moins pour vivre sur ce pied dʼune honnête aisance, dont je jouis ici. Ensuite une grande objection contre Berlin, cʼest que cela mʼéloigne furieusement de vous autres. Cependant si je réussis dans mon projet dʼobtenir une imprimerie Indienne, il faudra bien y aller pour la diriger. Ma santé va mieux – et je sens en moi une grande force dʼactivité, quoique je travaille paisiblement.
Je me suis mis en train de jaser et voilà une lettre tout comme il faut. Mille choses au Par sin par, à votre sœur, à Mlle Randall et aux princesses.
Adieu mille tendres amitiés.