Voici le témoignage le plus authentique quʼon puisse avoir, celui des Lois bourguignonnes: Si quos apud regiæ memoriæ auctores nostros, Gibicam, Godomarum, Gislaharium, Gundaharium, patremque nostrum et patruos liberos fuisse constiterit, etc. Cʼest Gondebald qui parle, et il nomme les rois antérieurs à Gundioch auctores nostros, nos ancêtres. Mais, en supposant quʼon pourrait traduire cela par prédécesseurs, ce que je ne pense pas, ce passage présente une autre difficulté insoluble. Si, à cause de lʼextinction de leur famille royale, les Bourguignons avaient élu un prince Visigoth, sans doute ils nʼauraient appelé quʼun seul au trône, et Gundioch ne régna pas seul, mais avec ses frères: patrem nostrum et patruos. Lʼun de ces frères [2] était Chilpéric, nommé, si je ne me trompe, par Sidoine. Lʼautre ou les autres sont inconnus. Il me semble donc quʼil ne reste point dʼautre moyen dʼexpliquer le passage de Grégoire de Tours de la descendance de mâle en mâle, que dʼadmettre que toute la dynastie bourguignonne, dès son origine, était issue de la famille des Balthes, cʼest-à-dire que le premier roi Gibica était fils dʼAthanaric même. Le calcul des temps le permet; cependant cela ne me paraît nullement probable.
Jʼinsiste tant sur ce passage de la Loi Gombette, parce quʼil a un rapport intime avec nos poésies nationales. On y nomme trois rois bourguignons, inconnus à tous les historiens, et la tradition nous en a conservé deux intacts. Le troisième seulement est altéré. Le savant Mascov a pris ces quatre noms: Gibica, Godomar, Gislahar, Gundahar, pour autant de générations. La chronologie ne le permet pas, car lorsque les Bourguignons parurent sur le Rhin en 372 ou environ, ils nʼavaient point encore de rois, mais seulement des chefs élus pour un temps limité; et en 411, ou tout au plus tard 413, Gundahar, le Gundicarius des Romains, régnait déjà. Il est donc probable que les trois derniers noms désignent trois fils de Gibica, qui régnèrent ensemble, et cʼest ce que [3] disent nos traditions. On voit par lʼhistoire postérieure du royaume de Bourgogne quʼil nʼy avait point de primogéniture exclusive, mais seulement une prééminence de frère aîné. La Loi Gombette semble indiquer la même chose: patrem nostrum et patruos. Le père et les oncles de Gondebald avaient également été rois. Il reste encore une difficulté à résoudre. Dans le passage en question, Gundahar est nommé le dernier, comme sʼil eût été le cadet. Nos traditions, au contraire, en font lʼaîné et lui subordonnent ses deux frères, et cela est vrai sans doute, puisque les Romains ne parlent que de Gundicarius, comme chef de la nation. Je pense que dans la Loi Gombette il est nommé le dernier, parce que les deux autres ne laissèrent point de postérité, et parce que Gundahar était le père de son successeur Gundioch. Le premier périt par les Huns avec 20,000 Bourguignons, en 436; voyez Idatius. Cʼest là le sujet de la catastrophe des Nibelungs. Prosper dit quʼil périt avec sa race. Notre poëme fournit encore une très-bonne explication de cela. Gundahar alla avec ses frères et lʼélite de ses troupes vers la résidence dʼAttila, dans des intentions amicales; il y éclata une querelle sanglante, dans laquelle les Bourguignons succombèrent après la résistance la plus valeureuse. Mais il avait laissé chez [4] lui un fils en bas âge qui pouvait propager la race royale.
LʼArt de vérifier les dates a parfaitement raison. Le récit de Mallet ne se fonde que sur un passage de lʼHistoria miscella, quʼon ne saurait opposer aux témoignages formels de Prosper et dʼIdatius. Dans la fameuse campagne dʼAttila en 451, les Bourguignons ne combattirent pas contre Attila, quoi quʼen dise Jornandès; Sidoine, qui était contemporain, les range parmi ses alliés.
Jʼoubliais un passage du poëme latin de Waltharius v. 115.
Interea Gibicho defungitur, ipseque regno
Guntharius succesit.
Ce poëme me semble avoir été écrit dans le neuvième siècle dʼaprès un original allemand.
Vous voyez que, quand on touche à un point de mes recherches, je prends le mors aux dents et il nʼy a plus moyen de mʼarrêter. Nʼexiste-t-il aucun livre dans lequel lʼhistoire si obscure de ce premier royaume des Bourguignons soit traitée à fond? Je crois quʼaucun passage des historiens ne mʼa échappé, mais je nʼai pas encore compulsé en entier le texte de la Loi Gombette, ni les actes des conciles de ces pays-ci, pour voir si lʼon y trouve quelques lumières,
Madame de Staël vous sera très-reconnaissante. Le temps est si beau que vous devriez bien venir passer un jour ici.
Mille amitiés,
SCHLEGEL.