Broglie,
24 octobre
Voilà un siecle que je suis sans nouvelles de vous, et sans vous écrire cher ami je ne sais le quel de nous doit une lettre à lʼautre. Mais nous avons tort tous les deux car, il ne faut pas laisser ainsi se relacher des liens qui pour ma part du moins me sont bien precieux. Il est vrai que jʼespère que même en ne nous écrivant pas nous ne nous oublions pas jʼespère. Je viens de passer quatre mois dans ma nouvelle demeure jʼai eu bien de la peine à mʼy habituer lʼabsence de tout souvenir de tout [2] lien avec les objets exterieurs mʼétoit très pénible. Mais enfin jʼai pris assez de gout à notre vie extremement régulière. Nous travaillons beaucoup nous nous couchons de très bonne heure et nous levons de même. Je donne beaucoup de leçons aux enfants. Pauline apprend lʼallemand de moi cʼest à dire dʼune personne qui ne le sait pas elle même. Nous avons trouvé pour Alphonse un jeune precepteur francois qui nous satisfait, et qui lui fait faire des progrès. Le pays que nous habitons est joli quoique moins beau que la Suisse, nous sommes placés sur une hauteur et au dessous de nous il y a un assez joli village des collines couverte de bois qui sont la [3] foret de Victor et une rivière qui serpente des deux cotés dans la vallée. Nous avons eu quelques visites dans lʼété entre autres celle de Mr et de Mde Guizot qui nous a été très douce et très agréable. Nous attendons Auguste dans six semaines et jʼespère que nous resterons ici tard jusquʼà la fin de Janvier. Vous voilà au fait de notre vie cher ami. Jʼespère que vous viendrez un jour voir ce séjour afin que je puisse y placer tous mes souvenirs. Il nʼy a rien dʼaussi poetique quʼen Suisse, et le peuple est bien plus rétardé. Le pays est tranquille jouissant des biens materiels de la revolution sans [4] sʼinquieter des avantages moraux quʼil peut leur manquer encore. Les pretres ont dans leurs mains lʼopinion lʼinstruction publique toute entiere neanmoins le pays est si peu disposé pour eux quʼils ne reussissent quʼà empecher le bien sans faire le mal quʼils ont lʼintention de faire. Adieu cher ami ecrivez moi donc je vous en prie et ditez que vous ne mʼoubliez pas, pour ma part vous savez bien que notre affection me paroit à jamais indestructible.
St. Br.