• August Wilhelm von Schlegel to Unbekannt

  • Place of Dispatch: Unknown · Place of Destination: Unknown · Date: [o.D.]
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
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  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Unbekannt
  • Place of Dispatch: Unknown
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: [o.D.]
    Printed Text
  • Bibliography: Œuvres de M. Auguste-Guillaume de Schlegel écrites en français. Hg. v. Eduard Böcking. Bd. 2. Leipzig 1846, S. 145‒148.
  • Incipit: „Monsieur,
    En recevant votre lettre, j’ai d’abord cru que vous aviez I’intention de me mystifier; mais au lieu de m’en fâcher, j’ai [...]“
Monsieur,
En recevant votre lettre, j’ai d’abord cru que vous aviez I’intention de me mystifier; mais au lieu de m’en fâcher, j’ai éprouvé un mouvement de gaieté extraordinaire. Ensuite j’ai trouvé votre nom, tel que vous le signez, et même votre domicile, en tête d’un traité sur l’origine des langues. J’ai donc reconnu que votre lettre n’était pas pseudonyme, je me suis reproché mes mauvais soupçons, j’ai tâché de m’élever à la hauteur de vos idées. L’Allemagne abonde en étymologies originales, et en originaux qui font des étymologies; cependant je puis vous assurer, monsieur, que je n’ai jamais rien lu d’aussi original que votre lettre, même dans les écrits de MM. Kanne, etc., etc. Quoique depuis Ménage l’on ait beaucoup travaillé à l’étymologie en France, vous éclipsez vos compatriotes. Barbasan dérivait le mot de canaille de canum alligatio; M. Roquefort ramène le verbe fameux, inventé par Rabelais, rataconiculer, à la Taconnerie, place connue dans la ville de Genève, tandis que ce même mot avait fait venir des pensées malhonnêtes à d’autres personnes. Un autre écrivain français nous a fait voir que barbarus est composé des mots barba et rus; étymologie incontestable, puisqu’enfin un homme qui porte une longue barbe et qui demeure à la campagne, n’est qu’un barbare. J’ai lu une dissertation manuscrite d’un philosophe très-connu de l’école des encyclopédistes, où l’étymologie est appliquée au systeme de Locke et de Condillac, que toutes nos idees viennent des sensations. Ainsi vivere, vivre, n’est autre chose que bibere, boire; esse, être, signifie esse, edere, manger: car en quoi consiste la vie, si ce n’est à manger et à boire? Je laisse de côté l’Académie celtique, Pezron, Court de Gebelin, Le Brigant et tant d’autres. Ce dernier cependant cite un fait d’armes étymologiques assez remarquable. Il a converti vingt juifs, et des plus obstinés, à la religion chrétienne, en leur faisant voir que le commencement de la Génèse n’est que du Bas-Breton tout pur. Cela ne m’étonne pas: il descendait de cette nation belliqueuse des Brigantes ou Brigands, dont la résistance donna tant à faire aux Romains. Tout cela est bel et bon, ce sont des éclaircissements partiels: mais votre théorie embrasse l’histoire universelle.
Votre étymologie de l’Égypte est singulièrement lumineuse. On n’a qu’à jeter les yeux sur la carte pour voir la ressemblance frappante avec une chèvre couchée sur le dos. Il faut se figurer la tête tournée vers la Nubie: les rochers qui bordent le Nil de ce côté, sont les cornes; l’écume des cataractes, c’est la bave qui sort de la bouche; les deux bras principaux du Nil sont sans doute les jambes que cet animal a coutume d’écarter et d’élever en l’air; maintenant nous comprendrons facilement ce que sont les marais du Delta, dont parle Hérodote. La langue égyptienne aussi, ce me semble, tient du chevrotement. Votre étymologie nous donne la clef de l’histoire. Les révolutions de l’Égypte ont généralement eu lieu autour de Memphis; c’est aussi cette partie inférieure du dos que la chèvre, dans la position indiquée, agite le plus vivement. Les conquéants étrangers ont bien connu le côté faible du pays: tous, Cambyse, Alexandre-le-Grand, Jules Cesar, Omar, et Bonaparte, l’ont envahi par le Delta. Attaquée du côté de la Nubie, la chèvre aurait pu se relever et dresser les cornes. Avec cela je me moque de la belle découverte de M. Rhode qui a reconnu une parfaite ressemblance entre le cophte et le patois du nord de l’Allemagne. Ce serait pourtant assez drôle, si l’on venait à constater que les hiéroglyphes, qu’on est à la veille de déchiffrer après tant d’essais infructueux, ne recèlent que du patois allemand.
Je crains bien que vous n’ayez quelque difficulté à faire passer votre étymologie de la Chine auprès de M. Abel-Remusat. Cependant il y aurait beaucoup à dire en sa faveur. L’écriture des Chinois ressemble en effet prodigieusement à ces figures dont les enfants aiment à barbouiller le papier. Aussi n’est-ce qu’une peinture abrégée. L’idée de la discorde est réprésentée par deux femmes vis-à-vis l’une de I’autre, ayant les poings appuyés aux hanches; l’idée du bonheur, à ce que l’on m’assure, par un plat de ris bouilli et une bouche ouverte; celle du gouvernement par une canne de bambou et par un second caractère qui signifie agiter en l’air. La première image décèle une intention satirique d’un âge plus mûr; mais les deux dernières sont effectivement naïves et enfantines: ce sont des définitions telles qu’une nourrice eût pu les communiquer.
Si je me laissais aller au plaisir de causer avec vous, votre lettre me fournirait un sujet inépuisable de réflexions. Mais je m’arrête, pour ne pas interrompre vos élucubrations curieuses.
Veuillez agréer, monsieur, l’assurence etc.
P. S. Vous m’obligeriez infiniment, monsieur, si vous vouliez me trouver une étymologie plus débonnaire de mon nom. A l’éntrée de ma carrière d’écrivain, je me plaisais aux guerres littéraires, mais depuis longtemps je suis devenu pacifique. En allemand mon nom signifie maillet, dont je porte aussi l’image dans mes armes. Remarquez bien que le maillet n’est pas une arme offensive, quoiqu’on puisse l’employer ainsi: c’est un instrument des mineurs pour tirer les métaux du sein de la terre. Cela n’est pas trop mal, et même beaucoup mieux que je ne mérite. Mais une étymologie allemande d’un mot allemand doit être essentiellement mauvaise.
Monsieur,
En recevant votre lettre, j’ai d’abord cru que vous aviez I’intention de me mystifier; mais au lieu de m’en fâcher, j’ai éprouvé un mouvement de gaieté extraordinaire. Ensuite j’ai trouvé votre nom, tel que vous le signez, et même votre domicile, en tête d’un traité sur l’origine des langues. J’ai donc reconnu que votre lettre n’était pas pseudonyme, je me suis reproché mes mauvais soupçons, j’ai tâché de m’élever à la hauteur de vos idées. L’Allemagne abonde en étymologies originales, et en originaux qui font des étymologies; cependant je puis vous assurer, monsieur, que je n’ai jamais rien lu d’aussi original que votre lettre, même dans les écrits de MM. Kanne, etc., etc. Quoique depuis Ménage l’on ait beaucoup travaillé à l’étymologie en France, vous éclipsez vos compatriotes. Barbasan dérivait le mot de canaille de canum alligatio; M. Roquefort ramène le verbe fameux, inventé par Rabelais, rataconiculer, à la Taconnerie, place connue dans la ville de Genève, tandis que ce même mot avait fait venir des pensées malhonnêtes à d’autres personnes. Un autre écrivain français nous a fait voir que barbarus est composé des mots barba et rus; étymologie incontestable, puisqu’enfin un homme qui porte une longue barbe et qui demeure à la campagne, n’est qu’un barbare. J’ai lu une dissertation manuscrite d’un philosophe très-connu de l’école des encyclopédistes, où l’étymologie est appliquée au systeme de Locke et de Condillac, que toutes nos idees viennent des sensations. Ainsi vivere, vivre, n’est autre chose que bibere, boire; esse, être, signifie esse, edere, manger: car en quoi consiste la vie, si ce n’est à manger et à boire? Je laisse de côté l’Académie celtique, Pezron, Court de Gebelin, Le Brigant et tant d’autres. Ce dernier cependant cite un fait d’armes étymologiques assez remarquable. Il a converti vingt juifs, et des plus obstinés, à la religion chrétienne, en leur faisant voir que le commencement de la Génèse n’est que du Bas-Breton tout pur. Cela ne m’étonne pas: il descendait de cette nation belliqueuse des Brigantes ou Brigands, dont la résistance donna tant à faire aux Romains. Tout cela est bel et bon, ce sont des éclaircissements partiels: mais votre théorie embrasse l’histoire universelle.
Votre étymologie de l’Égypte est singulièrement lumineuse. On n’a qu’à jeter les yeux sur la carte pour voir la ressemblance frappante avec une chèvre couchée sur le dos. Il faut se figurer la tête tournée vers la Nubie: les rochers qui bordent le Nil de ce côté, sont les cornes; l’écume des cataractes, c’est la bave qui sort de la bouche; les deux bras principaux du Nil sont sans doute les jambes que cet animal a coutume d’écarter et d’élever en l’air; maintenant nous comprendrons facilement ce que sont les marais du Delta, dont parle Hérodote. La langue égyptienne aussi, ce me semble, tient du chevrotement. Votre étymologie nous donne la clef de l’histoire. Les révolutions de l’Égypte ont généralement eu lieu autour de Memphis; c’est aussi cette partie inférieure du dos que la chèvre, dans la position indiquée, agite le plus vivement. Les conquéants étrangers ont bien connu le côté faible du pays: tous, Cambyse, Alexandre-le-Grand, Jules Cesar, Omar, et Bonaparte, l’ont envahi par le Delta. Attaquée du côté de la Nubie, la chèvre aurait pu se relever et dresser les cornes. Avec cela je me moque de la belle découverte de M. Rhode qui a reconnu une parfaite ressemblance entre le cophte et le patois du nord de l’Allemagne. Ce serait pourtant assez drôle, si l’on venait à constater que les hiéroglyphes, qu’on est à la veille de déchiffrer après tant d’essais infructueux, ne recèlent que du patois allemand.
Je crains bien que vous n’ayez quelque difficulté à faire passer votre étymologie de la Chine auprès de M. Abel-Remusat. Cependant il y aurait beaucoup à dire en sa faveur. L’écriture des Chinois ressemble en effet prodigieusement à ces figures dont les enfants aiment à barbouiller le papier. Aussi n’est-ce qu’une peinture abrégée. L’idée de la discorde est réprésentée par deux femmes vis-à-vis l’une de I’autre, ayant les poings appuyés aux hanches; l’idée du bonheur, à ce que l’on m’assure, par un plat de ris bouilli et une bouche ouverte; celle du gouvernement par une canne de bambou et par un second caractère qui signifie agiter en l’air. La première image décèle une intention satirique d’un âge plus mûr; mais les deux dernières sont effectivement naïves et enfantines: ce sont des définitions telles qu’une nourrice eût pu les communiquer.
Si je me laissais aller au plaisir de causer avec vous, votre lettre me fournirait un sujet inépuisable de réflexions. Mais je m’arrête, pour ne pas interrompre vos élucubrations curieuses.
Veuillez agréer, monsieur, l’assurence etc.
P. S. Vous m’obligeriez infiniment, monsieur, si vous vouliez me trouver une étymologie plus débonnaire de mon nom. A l’éntrée de ma carrière d’écrivain, je me plaisais aux guerres littéraires, mais depuis longtemps je suis devenu pacifique. En allemand mon nom signifie maillet, dont je porte aussi l’image dans mes armes. Remarquez bien que le maillet n’est pas une arme offensive, quoiqu’on puisse l’employer ainsi: c’est un instrument des mineurs pour tirer les métaux du sein de la terre. Cela n’est pas trop mal, et même beaucoup mieux que je ne mérite. Mais une étymologie allemande d’un mot allemand doit être essentiellement mauvaise.
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