• Anne Louise Germaine de Staël-Holstein to August Wilhelm von Schlegel

  • Place of Dispatch: London · Place of Destination: Unknown · Date: 30.11.1813
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
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    Metadata Concerning Header
  • Sender: Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
  • Recipient: August Wilhelm von Schlegel
  • Place of Dispatch: London
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 30.11.1813
  • Notations: Absendeort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 363310770
  • Bibliography: Lettres inédites de Mme de Staël à Henri Meister. Hg. v. Paul Usteri, Eugène Ritter. Paris 1903, S. 269‒273.
  • Incipit: „[1] Ce 30 novembre [1813].
    Combien votre lettre m’a fait de plaisir, mon cher ami! Je ne pouvais supporter votre silence, et [...]“
    Manuscript
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: DE-611-36979
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.26,Nr.10
  • Number of Pages: 7 S. auf Doppelbl., hs.
  • Format: 22,8 x 18,3 cm
[1] Ce 30 novembre [1813].
Combien votre lettre m’a fait de plaisir, mon cher ami! Je ne pouvais supporter votre silence, et vous avez à vous reprocher plusieurs de mes nuits, pendant lesquelles je pleurais notre liaison. Il est vrai qu’il faut de l’absence, pour savoir tout ce qu’une personne chérie est pour nous; et sans doute que nous sommes de même ingrats envers Dieu, pour la jeunesse, l’amour, et la vie. Si donc je vous trouve des défauts, rappelez­moi ce que j’ai souffert d’être séparée de vous, et je serai douce comme un mouton.
J’irai vivre en Allemagne si vous ne venez pas le printemps ici; mais ne vous fixez pas à Hanovre; choisissons Berlin. Je vous recommande Baudissin; rien ici ne me convient pour ma fille, et le pays ne la rendrait pas heureuse, tout beau qu’il est; ainsi je pense, et elle pense à Baudissin: écrivez-lui comme de vous, que sa prison nous a beaucoup touchés, dites-lui que je lui ai écrit deux fois d’ici; je voudrais que mon gendre fût votre admirateur, et qu’il aimât la Grèce; mais le [2] mieux serait que vous vinssiez passer un an ici, voir l’Écosse et l’Irlande avec moi, et publier en Angleterre le récrit de ce que vous avez vu: vous en auriez au moins mille louis. Voici l’extrait de mon livre, par Mackintosh; il demande à grands cris votre Cours dramatique, pour en faire l’extrait: envoyez-le moi. Mon ouvrage a un succès fou; mais rien de tout cela ne m’ôte un poids sur le cœur: depuis notre séparation et la mort d’Albert, je me sens isolée; l’air pèse sur moi; ma santé se détruit: enfin j’ai mal à la vie, et je n’y sens d’autre remède que de vous revoir; j’ai toujours pensé que c’était vous que mon père avait destiné à me fermer les yeux.
Je paierai la dette d’Hambourg, de 224 banco, à cause que vous l’avez écrit, et votre nom doit être respecté; mais je n’en payerai plus. Cher ami, il nous faut songer à notre avenir, et à ceux des enfants qui ont été sages et obéissants.
A présent, parlons de notre Prince; car je pense sans cesse [3] à lui; j’ai peine à retenir dans mon âme un sentiment de tendresse auquel il ne peut répondre, mais qui s’unit à l’admiration pour me faire ne rêver que de lui.
J’ai écrit à Camps par ce courrier, mais voici quelques détails encore: On a dit (prétend-on), chez le Prince régent, que dans le bulletin du Prince, il avait eu tort de dire le roi de Saxe au lieu de l’électeur; il avait eu tort de dire le roi de Westphalie, et de parler de la barrière du Rhin pour la France; enfin quelques-uns ont prétendu, pour la première fois, que le Prince ménageait la France pour succéder à l’empereur Napoléon; dites-lui ces commérages, qui en valent la peine: ils viennent des Bourbons.
Je vous manderai tout ce que je saurai; mais faites­moi valoir auprès du Prince: ce que j’entends par faire valoir, c’est lui dire combien je l’aime; ce serait trop de bonheur que..... Mais enfin le bon Dieu nous protégera peut-être. Ce qui manque à la France pour [4] se débarrasser de son chef actuel, c’est l’idée claire et agréable d’un lendemain: dites cela de ma part au Prince, il comprendra ce que je souhaite. Les lettres de Paris expriment de la haine de ce qui est, mais de l’ignorance de ce qui serait.
Adieu, cher ami, écrivez-moi, pour le repos de mes nuits et le charme de mes jours. God bless you! Puis-je vous envoyer des poèmes anglais, avez-vous le temps de les lire? Vous me manderez ce qu’on dit de mon livre en Allemagne.
Ayez la bonté de vous charger de cette lettre pour Benjamin; j’en ai reçu une de lui, plus passionnée que dans les temps où il m’aimait le plus. Voulez-vous vous charger de lui faire parvenir sûrement cette lettre, à l’adresse de Benjamin?
Je vous fais un devoir de penser à Baudissin, un devoir de m’écrire, et surtout un devoir de m’aimer. Adieu.
[5] J’ajoute encore des petits faits, qu’il peut importer au Prince de savoir. Le comte Lieven va très souvent chez le comte d’Artois; ils répandent le bruit qu’il y a un parti pour eux dans le Midi, et dans le Sénat; il est question de les envoyer à lord Wellington. L’Angleterre a fait dire au prince de Brésil de revenir à Lisbonne. Le duc de Berry, second fils du comte d’Artois, insiste pour avoir sa fille. Un émigré en sous-ordre a dit: "Le prince royal de Suède se fera sûrement Monk; car à la contre-révolution, il ne peut rester sur le trône."
Les Anglais ont fait marcher l’armée portugaise en France, sans leur demander si cela leur convenait; du côté des Portugais, il y a un peu d’ennui de la puis sance anglaise trop prononcée.
Vous direz tout cela au Prince, et je vous écrirai des petits faits de ce genre, que Rehausen sûrement n’écrit pas.
On a confisqué le bien de [6] Mme Moreau en France: le Prince ne ferait-il pas bien de lui écrire, et de la recommander à l’émpereur de Russie? elle va à pied, faute d’argent; c’est son frère le général Hulot qui lui a appris cette nouvelle.
Comme j’avais fini cette lettre, voici ce qui m’est arrivé: le comte Edouard Dillon est venu chez moi de la part du premier ministre de Louis XVIII, M. de Blacas, me demander de le recevoir, et de prêter ma plume et ma conversation à leur désir de remonter sur le trône: "Tout ce que vous désirerez, m’a t-il dit, sera le fruit de cette condescendance". — J’ai répondu que je n’y pouvais rien. — Il m’a dit que les poèmes et les journaux anglais venaient d’imprimer que j’étais la première femme du monde (ce qui vient, il est vrai, d’être publié) et qu’à ce titre an pouvait tout; j’ai encore répondu que je ne me mêlais plus de politique, et j’en suis restée là. Si ce M. de Blacas vient me voir, je vous manderai ce qu’il me dira; mais si vous pouvez, faites-moi donner des ordres par notre Prince. Edouard Dillon m’a [7] dit que c’était le héros du siècle, et que s’il voulait rétablir les Bourbons, il serait plus qu’eux roi de France, etc.
Je vous enverrai le fils du marquis de Stafford, lord Gower; recevez-le bien: c’est le plus grand seigneur de ce pays.
J’ai lu avec soin une partie de votre lettre à la fleur de l’Angleterre, et on l’a trouvée charmante. Je vous ai préparé votre arrivée ici. Encore une fois, envoyez­moi votre Cours dramatique. Je vous aime à la vie et à la mort. Faites que le Prince croie à mon attachement sans bornes.
Mon Dieu, quelle campagne!
La princesse Louise me prie de venir à Berlin ce printemps.
[8]
[1] Ce 30 novembre [1813].
Combien votre lettre m’a fait de plaisir, mon cher ami! Je ne pouvais supporter votre silence, et vous avez à vous reprocher plusieurs de mes nuits, pendant lesquelles je pleurais notre liaison. Il est vrai qu’il faut de l’absence, pour savoir tout ce qu’une personne chérie est pour nous; et sans doute que nous sommes de même ingrats envers Dieu, pour la jeunesse, l’amour, et la vie. Si donc je vous trouve des défauts, rappelez­moi ce que j’ai souffert d’être séparée de vous, et je serai douce comme un mouton.
J’irai vivre en Allemagne si vous ne venez pas le printemps ici; mais ne vous fixez pas à Hanovre; choisissons Berlin. Je vous recommande Baudissin; rien ici ne me convient pour ma fille, et le pays ne la rendrait pas heureuse, tout beau qu’il est; ainsi je pense, et elle pense à Baudissin: écrivez-lui comme de vous, que sa prison nous a beaucoup touchés, dites-lui que je lui ai écrit deux fois d’ici; je voudrais que mon gendre fût votre admirateur, et qu’il aimât la Grèce; mais le [2] mieux serait que vous vinssiez passer un an ici, voir l’Écosse et l’Irlande avec moi, et publier en Angleterre le récrit de ce que vous avez vu: vous en auriez au moins mille louis. Voici l’extrait de mon livre, par Mackintosh; il demande à grands cris votre Cours dramatique, pour en faire l’extrait: envoyez-le moi. Mon ouvrage a un succès fou; mais rien de tout cela ne m’ôte un poids sur le cœur: depuis notre séparation et la mort d’Albert, je me sens isolée; l’air pèse sur moi; ma santé se détruit: enfin j’ai mal à la vie, et je n’y sens d’autre remède que de vous revoir; j’ai toujours pensé que c’était vous que mon père avait destiné à me fermer les yeux.
Je paierai la dette d’Hambourg, de 224 banco, à cause que vous l’avez écrit, et votre nom doit être respecté; mais je n’en payerai plus. Cher ami, il nous faut songer à notre avenir, et à ceux des enfants qui ont été sages et obéissants.
A présent, parlons de notre Prince; car je pense sans cesse [3] à lui; j’ai peine à retenir dans mon âme un sentiment de tendresse auquel il ne peut répondre, mais qui s’unit à l’admiration pour me faire ne rêver que de lui.
J’ai écrit à Camps par ce courrier, mais voici quelques détails encore: On a dit (prétend-on), chez le Prince régent, que dans le bulletin du Prince, il avait eu tort de dire le roi de Saxe au lieu de l’électeur; il avait eu tort de dire le roi de Westphalie, et de parler de la barrière du Rhin pour la France; enfin quelques-uns ont prétendu, pour la première fois, que le Prince ménageait la France pour succéder à l’empereur Napoléon; dites-lui ces commérages, qui en valent la peine: ils viennent des Bourbons.
Je vous manderai tout ce que je saurai; mais faites­moi valoir auprès du Prince: ce que j’entends par faire valoir, c’est lui dire combien je l’aime; ce serait trop de bonheur que..... Mais enfin le bon Dieu nous protégera peut-être. Ce qui manque à la France pour [4] se débarrasser de son chef actuel, c’est l’idée claire et agréable d’un lendemain: dites cela de ma part au Prince, il comprendra ce que je souhaite. Les lettres de Paris expriment de la haine de ce qui est, mais de l’ignorance de ce qui serait.
Adieu, cher ami, écrivez-moi, pour le repos de mes nuits et le charme de mes jours. God bless you! Puis-je vous envoyer des poèmes anglais, avez-vous le temps de les lire? Vous me manderez ce qu’on dit de mon livre en Allemagne.
Ayez la bonté de vous charger de cette lettre pour Benjamin; j’en ai reçu une de lui, plus passionnée que dans les temps où il m’aimait le plus. Voulez-vous vous charger de lui faire parvenir sûrement cette lettre, à l’adresse de Benjamin?
Je vous fais un devoir de penser à Baudissin, un devoir de m’écrire, et surtout un devoir de m’aimer. Adieu.
[5] J’ajoute encore des petits faits, qu’il peut importer au Prince de savoir. Le comte Lieven va très souvent chez le comte d’Artois; ils répandent le bruit qu’il y a un parti pour eux dans le Midi, et dans le Sénat; il est question de les envoyer à lord Wellington. L’Angleterre a fait dire au prince de Brésil de revenir à Lisbonne. Le duc de Berry, second fils du comte d’Artois, insiste pour avoir sa fille. Un émigré en sous-ordre a dit: "Le prince royal de Suède se fera sûrement Monk; car à la contre-révolution, il ne peut rester sur le trône."
Les Anglais ont fait marcher l’armée portugaise en France, sans leur demander si cela leur convenait; du côté des Portugais, il y a un peu d’ennui de la puis sance anglaise trop prononcée.
Vous direz tout cela au Prince, et je vous écrirai des petits faits de ce genre, que Rehausen sûrement n’écrit pas.
On a confisqué le bien de [6] Mme Moreau en France: le Prince ne ferait-il pas bien de lui écrire, et de la recommander à l’émpereur de Russie? elle va à pied, faute d’argent; c’est son frère le général Hulot qui lui a appris cette nouvelle.
Comme j’avais fini cette lettre, voici ce qui m’est arrivé: le comte Edouard Dillon est venu chez moi de la part du premier ministre de Louis XVIII, M. de Blacas, me demander de le recevoir, et de prêter ma plume et ma conversation à leur désir de remonter sur le trône: "Tout ce que vous désirerez, m’a t-il dit, sera le fruit de cette condescendance". — J’ai répondu que je n’y pouvais rien. — Il m’a dit que les poèmes et les journaux anglais venaient d’imprimer que j’étais la première femme du monde (ce qui vient, il est vrai, d’être publié) et qu’à ce titre an pouvait tout; j’ai encore répondu que je ne me mêlais plus de politique, et j’en suis restée là. Si ce M. de Blacas vient me voir, je vous manderai ce qu’il me dira; mais si vous pouvez, faites-moi donner des ordres par notre Prince. Edouard Dillon m’a [7] dit que c’était le héros du siècle, et que s’il voulait rétablir les Bourbons, il serait plus qu’eux roi de France, etc.
Je vous enverrai le fils du marquis de Stafford, lord Gower; recevez-le bien: c’est le plus grand seigneur de ce pays.
J’ai lu avec soin une partie de votre lettre à la fleur de l’Angleterre, et on l’a trouvée charmante. Je vous ai préparé votre arrivée ici. Encore une fois, envoyez­moi votre Cours dramatique. Je vous aime à la vie et à la mort. Faites que le Prince croie à mon attachement sans bornes.
Mon Dieu, quelle campagne!
La princesse Louise me prie de venir à Berlin ce printemps.
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