• August Wilhelm von Schlegel to Auguste Louis de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Bonn · Place of Destination: Unknown · Date: 28.10.1822
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
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    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Auguste Louis de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Bonn
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 28.10.1822
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 403‒405.
  • Incipit: „Bonn 28 Oct. 1822.
    Mon cher Auguste, je dois vous paroître bien coupable, et cependant je le suis moins que vous ne [...]“
Bonn 28 Oct. 1822.
Mon cher Auguste, je dois vous paroître bien coupable, et cependant je le suis moins que vous ne pensez. Jʼai eu très sérieusement la bonne volonté de vous écrire bien des fois encore en Angleterre, mais jʼai été abimé par le travail de mon imprimerie; ensuite ma nièce Madame de Buttlar a passé deux mois chez moi, et le peu de loisir qui me restoit, je lʼai consacré à son entretien et à lʼinspection du travail quʼelle avoit entrepris ici, pour me rendre un peu utile au developpement de son beau talent. En recevant votre lettre du 30 Sept. je mʼétois bien promis de repondre le lendemain, et voilà encore que je nʼai pas pu y parvenir. Jʼai eu une espèce de rheumatisme ou lumbago, qui mʼa retenu pendant huit jours au lit, la plupart du temps couché sur un sac de sable chauffé, comme St. Laurent sur son gril.
Je vous écris à tout hasard à Coppet, quoique je doive craindre que ma lettre ne vous y attrapera plus – car si la famille va passer lʼhiver en Italie, ils ne tarderont probablement pas jusquʼà la mi-Novembre, et vous repartirez de votre coté. Au contraire, si vous passez tous lʼhiver à Paris, comme en ce moment, il nʼy a rien de fort attrayant, vous voudrez peut-être jouir encore pendant quelques semaines du bon air de Suisse, dʼautant plus que cet automne est singulièrement doux.
Aussi-tôt ma lettre pour Londres partie je me suis reproché dʼavoir oublié votre Götz de Berlichingue – je reparerai cela le plutôt et le mieux que je pourrai. Dʼabord je vous dirai que sa main de fer est conservée comme une relique à Heilbronn: en faisant un petit détour, vous pourriez aller la voir. Ensuite je dois avoir la vie de Götz écrite par lui-même, ou Goethe a puisé son sujet. Je retrouverai ce livre, et je vous lʼenverrai aussi-tôt que je vous saurai à Paris. Troisièmement il faut consulter lʼarticle qui concerne cette production dans lʼautobiographie de Goethe. Je ne pourrai faire autre chose que de vous developper un peu davantage ce que jʼai dit dans mon Cours de Littérature Dramatique – en attendant je vous prie de lire cette page. Quoique cette composition soit executée avec une vigueur prodigieuse, il me semble quʼil y regne une idée de lʼart dramatique qui nʼest pas soutenable, et qui fut produite dans lʼesprit de Goethe par la triple influence de Diderot (plutôt de sa théorie que de son exécution), de Lessing, et de Shakspeare, vu encore à travers un nuage. Goethe a voulu reproduire la chose même sans aucun intermédiaire poëtique; il rejette toutes les formes de lʼart, les formes vraiment idéales aussi bien que les formes purement conventionelles. Il a visé à lʼillusion de la présence réelle des gens dʼun autre siècle – mais un poète ne peut jamais entièrement abjurer le sien, – et de peur de prêter à ses personnages des paroles dʼun autre temps il sʼest réfugié dans la simplicité et le laconisme. Beaucoup de scènes tiennent de lʼesquisse. Goethe me dit un jour: „tout véritable ouvrage de lʼart, naît avec son cadre.“ Voilà, je pense, un tableau, un panorama si vous voulez, mais sans cadre. On pourra donc lui disputer le titre dʼouvrage de lʼart, mais ce sera toujours une belle effervescence du génie. Je suis entré en matière à lʼimproviste et sans le vouloir – ceci ne compte pas: je mʼen vais relire Götz à tête reposée dans le premier moment de loisir, et vous écrire ensuite.
Je suis vraiment confondu du procédé loyal de Mr de Rémusat, étant habitué à être traité en fait de pensées comme un lapin dʼAngora à qui tout le monde arrache des touffes. Je mʼen vais lui écrire. Pour ce qui est de lʼimpression de ma première lettre, je vous en fais juge – je nʼai pas pensé au public et jʼai écrit sans doute avec beaucoup de négligence.
Les peintures Indiennes sont arrivées, et font mes delices. Mille et mille remercimens, admirable Mecène des études Brahmaniques! Ces peintures sont fraîches et bien conservées, jʼen ai qui sont dʼun fini plus précieux, mais elles ont beaucoup souffert. Les miennes représentent des personnages et des scènes de cour – celles-ci sont de la vie bourgeoise. Faites savoir à tous les Anglois quʼen fait dʼobjets Indiens je suis un gueux impudent et que si lʼon ne me donne pas, je pourrois bien voler, comme il est reçu chez les amateurs de la numismatique. Jʼenverrai à S.[ir] Al.[exandre] Johnston ma bibliothèque Indienne aussi-tôt que le volume sera achevé, et le premier livre Sanscrit, imprimé sur le continent européen.
Le Bhagavad-Gîtâ est imprimé, il nʼy manque que les notes et la version latine. Figurez-vous que jʼai composé près de cent grandes pages avec mes propres pattes, et que je suis si bien entré dans le mêtier de compositeur, que jʼachève une page dans une heure et demie. Jʼai voulu terminer cela avant la mauvaise saison – maintenant voici les cours dʼhiver – je nʼai jamais un moment pour reprendre haleine.
Ma petite nièce me tient fort à cœur – elle est arrivée à Paris. Je vous en parlerai en détail, lorsque vous y serez retourné. Jʼai pris la liberté de lui donner quelques lignes pour Madame de Ste-Aulaire, que jʼai vainement espéré de voir arriver ici.
Je suis fort affligé de la perte que ce pauvre Fauriel a faite. Je ne savois pas mʼexpliquer son long silence – dites-moi donc ce quʼil fait, si vous en savez quelque chose.
Adieu, mon cher Auguste, je voudrois bien causer avec vous sur lʼAngleterre, sur la France, sur lʼEurope et sur lʼUnivers, lequel est lʼobjet de mon étude spéciale. Mille choses à la famille. Je reserve tout le reste pour Paris.
Bonn 28 Oct. 1822.
Mon cher Auguste, je dois vous paroître bien coupable, et cependant je le suis moins que vous ne pensez. Jʼai eu très sérieusement la bonne volonté de vous écrire bien des fois encore en Angleterre, mais jʼai été abimé par le travail de mon imprimerie; ensuite ma nièce Madame de Buttlar a passé deux mois chez moi, et le peu de loisir qui me restoit, je lʼai consacré à son entretien et à lʼinspection du travail quʼelle avoit entrepris ici, pour me rendre un peu utile au developpement de son beau talent. En recevant votre lettre du 30 Sept. je mʼétois bien promis de repondre le lendemain, et voilà encore que je nʼai pas pu y parvenir. Jʼai eu une espèce de rheumatisme ou lumbago, qui mʼa retenu pendant huit jours au lit, la plupart du temps couché sur un sac de sable chauffé, comme St. Laurent sur son gril.
Je vous écris à tout hasard à Coppet, quoique je doive craindre que ma lettre ne vous y attrapera plus – car si la famille va passer lʼhiver en Italie, ils ne tarderont probablement pas jusquʼà la mi-Novembre, et vous repartirez de votre coté. Au contraire, si vous passez tous lʼhiver à Paris, comme en ce moment, il nʼy a rien de fort attrayant, vous voudrez peut-être jouir encore pendant quelques semaines du bon air de Suisse, dʼautant plus que cet automne est singulièrement doux.
Aussi-tôt ma lettre pour Londres partie je me suis reproché dʼavoir oublié votre Götz de Berlichingue – je reparerai cela le plutôt et le mieux que je pourrai. Dʼabord je vous dirai que sa main de fer est conservée comme une relique à Heilbronn: en faisant un petit détour, vous pourriez aller la voir. Ensuite je dois avoir la vie de Götz écrite par lui-même, ou Goethe a puisé son sujet. Je retrouverai ce livre, et je vous lʼenverrai aussi-tôt que je vous saurai à Paris. Troisièmement il faut consulter lʼarticle qui concerne cette production dans lʼautobiographie de Goethe. Je ne pourrai faire autre chose que de vous developper un peu davantage ce que jʼai dit dans mon Cours de Littérature Dramatique – en attendant je vous prie de lire cette page. Quoique cette composition soit executée avec une vigueur prodigieuse, il me semble quʼil y regne une idée de lʼart dramatique qui nʼest pas soutenable, et qui fut produite dans lʼesprit de Goethe par la triple influence de Diderot (plutôt de sa théorie que de son exécution), de Lessing, et de Shakspeare, vu encore à travers un nuage. Goethe a voulu reproduire la chose même sans aucun intermédiaire poëtique; il rejette toutes les formes de lʼart, les formes vraiment idéales aussi bien que les formes purement conventionelles. Il a visé à lʼillusion de la présence réelle des gens dʼun autre siècle – mais un poète ne peut jamais entièrement abjurer le sien, – et de peur de prêter à ses personnages des paroles dʼun autre temps il sʼest réfugié dans la simplicité et le laconisme. Beaucoup de scènes tiennent de lʼesquisse. Goethe me dit un jour: „tout véritable ouvrage de lʼart, naît avec son cadre.“ Voilà, je pense, un tableau, un panorama si vous voulez, mais sans cadre. On pourra donc lui disputer le titre dʼouvrage de lʼart, mais ce sera toujours une belle effervescence du génie. Je suis entré en matière à lʼimproviste et sans le vouloir – ceci ne compte pas: je mʼen vais relire Götz à tête reposée dans le premier moment de loisir, et vous écrire ensuite.
Je suis vraiment confondu du procédé loyal de Mr de Rémusat, étant habitué à être traité en fait de pensées comme un lapin dʼAngora à qui tout le monde arrache des touffes. Je mʼen vais lui écrire. Pour ce qui est de lʼimpression de ma première lettre, je vous en fais juge – je nʼai pas pensé au public et jʼai écrit sans doute avec beaucoup de négligence.
Les peintures Indiennes sont arrivées, et font mes delices. Mille et mille remercimens, admirable Mecène des études Brahmaniques! Ces peintures sont fraîches et bien conservées, jʼen ai qui sont dʼun fini plus précieux, mais elles ont beaucoup souffert. Les miennes représentent des personnages et des scènes de cour – celles-ci sont de la vie bourgeoise. Faites savoir à tous les Anglois quʼen fait dʼobjets Indiens je suis un gueux impudent et que si lʼon ne me donne pas, je pourrois bien voler, comme il est reçu chez les amateurs de la numismatique. Jʼenverrai à S.[ir] Al.[exandre] Johnston ma bibliothèque Indienne aussi-tôt que le volume sera achevé, et le premier livre Sanscrit, imprimé sur le continent européen.
Le Bhagavad-Gîtâ est imprimé, il nʼy manque que les notes et la version latine. Figurez-vous que jʼai composé près de cent grandes pages avec mes propres pattes, et que je suis si bien entré dans le mêtier de compositeur, que jʼachève une page dans une heure et demie. Jʼai voulu terminer cela avant la mauvaise saison – maintenant voici les cours dʼhiver – je nʼai jamais un moment pour reprendre haleine.
Ma petite nièce me tient fort à cœur – elle est arrivée à Paris. Je vous en parlerai en détail, lorsque vous y serez retourné. Jʼai pris la liberté de lui donner quelques lignes pour Madame de Ste-Aulaire, que jʼai vainement espéré de voir arriver ici.
Je suis fort affligé de la perte que ce pauvre Fauriel a faite. Je ne savois pas mʼexpliquer son long silence – dites-moi donc ce quʼil fait, si vous en savez quelque chose.
Adieu, mon cher Auguste, je voudrois bien causer avec vous sur lʼAngleterre, sur la France, sur lʼEurope et sur lʼUnivers, lequel est lʼobjet de mon étude spéciale. Mille choses à la famille. Je reserve tout le reste pour Paris.
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