• August Wilhelm von Schlegel to Guillaume Favre

  • Place of Dispatch: Paris · Place of Destination: Genf · Date: 24.10.1817 bis 28.10.1817
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
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    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Guillaume Favre
  • Place of Dispatch: Paris
  • Place of Destination: Genf
  • Date: 24.10.1817 bis 28.10.1817
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Adert, Jules: Mélanges dʼhistoire littéraire par Guillaume Favre. Avec des lettres inédites dʼAuguste-Guillaume Schlegel et dʼAngelo Mai. Bd. 1. Genf 1856, S. CII‒CVI.
  • Incipit: „Paris, 24 octobre 1817.
    Jʼai reçu votre lettre du 1er octobre, Monsieur, et je suis confondu de votre savoir; M. Mai doit [...]“
    Manuscript
  • Provider: Bibliothèque de Genève
  • Classification Number: Ms. suppl. 968, f. 63r-66v
  • Number of Pages: 4 S., hs. m. U.
Paris, 24 octobre 1817.
Jʼai reçu votre lettre du 1er octobre, Monsieur, et je suis confondu de votre savoir; M. Mai doit en être consterné. Cette recherche sur les histoires fabuleuses dʼAlexandre le Grand mʼintéresse beaucoup, et je voudrais avoir plus de loisir pour mʼy livrer. Mais mon objet principal est la publication de lʼouvrage de mon illustre amie: nous en sommes toujours aux soins préparatoires. Ensuite, je voudrais profiter de mon séjour ici pour avancer dans les études indiennes: jʼai promis trois ou quatre articles de journaux qui devraient être faits depuis longtemps. Enfin, je me propose dʼachever cet hiver mon Essai historique sur la formation de la langue française, et, par-dessus le marché, je suis paresseux et je passe beaucoup de temps à tailler mes plumes et à épousseter ma table.
Toutefois, je continuerai de faire vos commissions de mon mieux. Jʼai enfin attrapé le corpus delicti, je veux dire le livre de lʼabbée Mai, et je mʼen vais vous communiquer le peu que jʼai recueilli.
Itinéraire dʼAlexandre, dédié à lʼEmpereur Constance, ne se trouve pas joint au livre de Julius Valerius, dans les trois manuscrits que jʼai inspectés jusquʼici, cʼest-à-dire Nos 4880, 4877 et 8518. En revanche on y trouve à la fin de la vie une lettre assez longue dʼAlexandre à Aristote Cette lettre diffère de celle insérée dans le 3me livre de Valerius, laquelle se trouve aussi dans le manuscrit 4880.
La latinité de lʼItinéraire, à juger dʼaprès le peu que jʼen ai lu, me paraît épouventable. Mais celle est mauvaise par la recherche, par un entortillement de phrases, accompagné de lʼimpuissance de manier la construction dʼaprès les vrais principes de la grammaire et de la logique; et ces défauts se sont mainfestés de bonne heure. En général le style latin ne sʼest pas dépravé graduellement, mais par saccades. De temps en temps on est revenu aux bons modèles. Ces alternatives se font remarquer pendant tout le moyen âge. Au reste, lʼabbé Mai a rendu la latinité encore plus mauvaise, en conservant soigneusement toutes les fautes du manuscrit. Il devait mettre p. 4, l. 4, tempore au lieu de tempora, et p. 5, l.11, aut au lieu de ut. En revanche, p. 2, l. 12, il propose de lire humeris pour innumeris. Le sens est pourtant très-clair: ego tamen audacter innumeris subeo; «je viens hardiment à la suite dʼinnombrables écrivains.» Il ne manque pas dʼécrire dampnum, etc. Quelle puérilité! Comme si la mauvaise orthographe des copistes du moyen âge pouvait nous avancer dans la connaissance du latin classique! P. 19, l. 1, il devait corriger: festinum meatu.
Je ne vois point de motif de révoquer en doute lʼauthenticité de cet écrit; les flatteries envers Constance me persuadent que cʼest un ouvrage de circonstance, vraiment dédié à cet empereur. Mais si lʼhistoire dʼAlexandre gagne beaucoup à sa publication, cʼest une autre question. Il faudrait faire le dépouillement des nouveaux faits quʼil peut contenir, et examiner à quelles sources ils ont été puisés. M. Hase me dit que lʼItinéraire doit se trouver ici à la Bibliothèque royale. Je verrai sʼil y a moyen de remplir la lacune du manuscrit ambrosien
Voici la jolie histoire de Nectanabus, très-exactement copiée. Le Ms. 4877 est sans doute le livre de Jul. Valerius, mais fort abrégé. Cependant, ce récit est si détaillé quʼil est à croire quʼil y a été inséré en entier. Si jʼavais dʼabord eu connaissance du Cod. 8518, je lʼaurais préféré, parce quʼil est plus ancien. Il est complet au commencement, et jʼai déjà vu que les premières linges coincident avec le N° 4877 et avec le grec.
La lacune que lʼabbé Mai a laissé dans le second livre de la vie dʼAlexandre peut être remplie par le Ms. 4880; mais si le même morceau se trouve dans le N°8518 (je nʼai pu le feuilleter que légèrement, mais je lʼaurai chez moi, cela sera de beaucoup préférable. Le N°4880 est dʼune date recente et fourmille de fautes; il est dʼailleurs pénible à compulser à cause de lʼécriture serrée et des abréviations. Jʼy découvre, en comparant le texte de Mai, une omission considérable au commencement du second livre, sans quʼil y ait une lacune. Dans le troisième livre tout lʼarticle dʼOrosius sur Alexandre est inséré. En général, les manuscrits varient à lʼinfini; il sʼagit de savoir sʼil en est de même des manuscrits grecs.
Il me semble que M. Mai a fait de la Bibliothèque Ambrosienne une espèce dʼétable dʼAugias; mais il ne sʼensuit pas de là quʼil soit un Hercule. Il publie la traduction latine dʼun livre dont lʼoriginal grec existe; il la publie dʼaprès un seul manuscrit mutilé, tandis quʼil aurait pu remplir les lacunes et corriger une infinité de bévues et de barbarismes par la confrontation dʼautres manuscrits. Il veut définir lʼâge de Julius Valerius; cʼest encore tout de travers. Il est clair que la traduction est postérieure à lʼoriginal: de combien? cela est de peu dʼimportance. Il faut examiner le texte grec pour traiter cette question avec quelque solidité. Les arguments par lesquels lʼabbé Mai veut faire remonter ce livre à la première moitié du quatrième siècle, me paraissent bien faibles. Car un auteur du moyen âge, dénué de critique, en transcrivant des auteurs beaucoup plus anciens, a pu copier machinalement des phrases qui disaient que tel temple, telle fête subsistait encore sans sʼembarrasser des changements survenus depuis. En général, il y a dʼétranges disparates dans ce livre: dʼun côté, on y voit une teinte dʼérudition classique, quoique rarement sans alliage, et puis des contes puérils qui décèlent une grande ignorance de lʼhistoire. Jʼexplique cela en admettant que lʼauteur a puisé en partie dans les historiens anciens, dont il arrangeait les récits à sa manière, et en partie dans des traditions populaires. Je croirais volontiers que lʼhistoire de Nectanabus était un conte répandu parmi le peuple en Égypte, et quʼÆsopus nʼen a pas été lʼinventeur. Les connaissances classiques, les noms grecs, les allusions surtout à des mots grecs, que Julius Valerius a conservées, mʼempêchent de croire que son original grec nʼest quʼune traduction dʼun livre cophte ou égyptien. Mais il me paraît assez probable que lʼauteur ou le compilateur de lʼouvrage grec était un Grec dʼAlexandrie. Dans ce cas-là, il faudrait bien le placer avant lʼinvasion des Arabes, et je nʼy vois point dʼobjection.
La littérature Byzantine a été féconde en romans et contes populaires, qui ont eu ensuite de la vogue dans lʼOccident. Tels sont le Dolopatos ou les Sept Sages, les Entretiens de Salomon et de Marculphe, je crois aussi Florio et Blanchefleur. Quelques-uns de ces contes peuvent être venus plus loin de lʼOrient. Un Anglais, Dunlop (Essay on the origin of fiction), a montré que la légende populaire de Josaphat et Barlaam a été écrite dʼabord dans une langue orientale, si je ne me trompe, en syriaque. Mais il me paraît évident, par la nature du récit même, que le livre que nous avons sous les yeux nʼa rien de commun avec les traditions persanes concernant Alexandre. Sir John Malcolm, dans son Histoire de Perse (2 vol. 4°. 1815), donne un extrait du récit de Ferdousi, dʼaprès lequel Alexandre était le fils de Darab par la fille de Philippe, et par conséquent Persan. Malcolm dit à la vérité quʼil existe en langue persane des volumes innombrables sur Scander Roumi, outre le passage du Shah-Nameh; mais je pense que les poëtes postérieurs nʼauront fait que broder les traditions du plus ancien, cʼest-à-dire de Ferdousi. Si donc un auteur byzantin du onzième siècle. Siméon Seth (le nom semble indiquer un Juif), a effectivement puisé à des sources persanes un roman dʼAlexandre le Grand, son livre doit être totalement différent de celui dont nous nous occupons. Mais cette notice généralement reçue, me paraît peu vraisemblable en elle-même. Pour un livre en langue pehlwi, quʼil aurait traduit ou imité, cʼest trop tard; pour un livre en persan moderne, cʼest trop tôt. Après lʼinvasion des Arabes, les livres écrits dans lʼancienne langue furent ou détruits par lʼintolérance mahométane ou enfouis par les adhérents de lʼancien culte. Ferdousi a vécu vers lʼan mille, mais je pense quʼalors la communication entre Constantinople et la Perse, qui avait été immédiate sous la dynastie des Sassanides, aura été entièrement rompue par lʼempire des Califes. Sʼil y a jamais eu quelque connaissance de la littérature persane moderne dans lʼempire byzantin, elle sʼy sera répandue beaucoup plus tard, lorsque la poésie persane avait acquis de la vogue parmi toutes les nations mahométanes. Je ne vous parle pas des traditions arabes qui confondent Alexandre avec le prophète Dulkarnain, mentionné dans le Koran; elles doivent sʼécarter encore bien davantage de la narration grecque ou égyptienne.
Je nʼai jamais eu le loisir de mʼoccuper des romans occidentaux français, anglais, allemands et espagnols dʼAlexandre, et je ne saurais vous dire jusquʼà quel point ils coïncident avec le récit dʼÉsope et de J. Valerius. La version espagnole est imprimée dans le recueil de Sanchez: Collection de poesias castellanus anteriores al siglo XIV. Si jʼétais à Coppet, je pourrais vous le fournir.
Je voudrais vous engager à ne donner quʼun article préalable dans la Bibliothèque Universelle et à réserver tout le reste pour un écrit particulier dans lequel vous pourriez donner à vos recherches tout le développement nécessaire, publier les morceaux inédits qui manquent dans Mai, etc. Le mieux serait de venir pour un mois à Paris, vous trouveriez toutes les facilités dans les bibliothèques publiques. Je serais charmé dʼy travailler avec vous.
A propos, demandez donc à M. Mai comment il entend la mesure de ces morceaux quʼil a fait imprimer en forme de vers. Je vois bien que la prophétie de Sérapis, p. 44, doit être en trimètres ïambiques, et la généalogie en scazons. Mais il y a là plusieurs vers qui ne sont pas mieux mesurés que ceux de la Fausse Agnes, et cependant lʼéditeur nʼavertit pas ses lecteurs de ce désordre dans son manuscrit.
Que fera lʼabbé Mai de ces fragments dʼUlphilas? Assurément il nʼest pas en état de les publier, à moins quʼil nʼait recours à son artifice habituel, cʼest-à-dire de ne point expliquer ce qui est fort obscur, pour cacher à ses lecteurs quʼil ne le comprend pas lui-même. Je ne crois pas quʼil y ait aucun savant Italien qui sache la langue gothique. Ce serait une affaire pour Akerblad; mais il vaudrait encore mieux transmettre tout cela à M. Zahn. Je lʼentreprendrais bien moi-même; mais il me faudrait du temps. Pour des types gothiques, il nʼen existe, je crois, quʼà Oxford; ici, à lʼimprimerie royale, il nʼy en a point.
Voilà un bien long bavardage, mais la faute en est à vous: pourquoi mʼengagez-vous dans de pareils sujets? Mille amitiés. Je regrette bien nos entretiens.
Tout à vous,
A. W. DE SCHLEGEL.
Adressez toujours chez M. le duc de Broglie.
28 octobre.
Quoique le manuscrit 4880 soit de peu de valeur, puisque jʼen ai copié un morceau, je vous lʼenvoie. Jʼai corrigé tacitement quelques erreurs, jʼen ai dʼautres à la marge, mais je nʼai pas entrepris de corriger par mes conjectures des leçons désespérées. En confrontant les manuscrits bons ou mauvais, lʼabbée Mai aurait certainement pu donner un texte beaucoup plus correct, et on lirait cet ouvrage apocryphe moins péniblement. (Ce fragment ayant été publié par Müller dans son édition du Pseudo-Callisthènes, nous lʼavons supprimé. Vous lʼAppendice de lʼhistoire fabuleuse dʼAlexandre.-Éd.)
Paris, 24 octobre 1817.
Jʼai reçu votre lettre du 1er octobre, Monsieur, et je suis confondu de votre savoir; M. Mai doit en être consterné. Cette recherche sur les histoires fabuleuses dʼAlexandre le Grand mʼintéresse beaucoup, et je voudrais avoir plus de loisir pour mʼy livrer. Mais mon objet principal est la publication de lʼouvrage de mon illustre amie: nous en sommes toujours aux soins préparatoires. Ensuite, je voudrais profiter de mon séjour ici pour avancer dans les études indiennes: jʼai promis trois ou quatre articles de journaux qui devraient être faits depuis longtemps. Enfin, je me propose dʼachever cet hiver mon Essai historique sur la formation de la langue française, et, par-dessus le marché, je suis paresseux et je passe beaucoup de temps à tailler mes plumes et à épousseter ma table.
Toutefois, je continuerai de faire vos commissions de mon mieux. Jʼai enfin attrapé le corpus delicti, je veux dire le livre de lʼabbée Mai, et je mʼen vais vous communiquer le peu que jʼai recueilli.
Itinéraire dʼAlexandre, dédié à lʼEmpereur Constance, ne se trouve pas joint au livre de Julius Valerius, dans les trois manuscrits que jʼai inspectés jusquʼici, cʼest-à-dire Nos 4880, 4877 et 8518. En revanche on y trouve à la fin de la vie une lettre assez longue dʼAlexandre à Aristote Cette lettre diffère de celle insérée dans le 3me livre de Valerius, laquelle se trouve aussi dans le manuscrit 4880.
La latinité de lʼItinéraire, à juger dʼaprès le peu que jʼen ai lu, me paraît épouventable. Mais celle est mauvaise par la recherche, par un entortillement de phrases, accompagné de lʼimpuissance de manier la construction dʼaprès les vrais principes de la grammaire et de la logique; et ces défauts se sont mainfestés de bonne heure. En général le style latin ne sʼest pas dépravé graduellement, mais par saccades. De temps en temps on est revenu aux bons modèles. Ces alternatives se font remarquer pendant tout le moyen âge. Au reste, lʼabbé Mai a rendu la latinité encore plus mauvaise, en conservant soigneusement toutes les fautes du manuscrit. Il devait mettre p. 4, l. 4, tempore au lieu de tempora, et p. 5, l.11, aut au lieu de ut. En revanche, p. 2, l. 12, il propose de lire humeris pour innumeris. Le sens est pourtant très-clair: ego tamen audacter innumeris subeo; «je viens hardiment à la suite dʼinnombrables écrivains.» Il ne manque pas dʼécrire dampnum, etc. Quelle puérilité! Comme si la mauvaise orthographe des copistes du moyen âge pouvait nous avancer dans la connaissance du latin classique! P. 19, l. 1, il devait corriger: festinum meatu.
Je ne vois point de motif de révoquer en doute lʼauthenticité de cet écrit; les flatteries envers Constance me persuadent que cʼest un ouvrage de circonstance, vraiment dédié à cet empereur. Mais si lʼhistoire dʼAlexandre gagne beaucoup à sa publication, cʼest une autre question. Il faudrait faire le dépouillement des nouveaux faits quʼil peut contenir, et examiner à quelles sources ils ont été puisés. M. Hase me dit que lʼItinéraire doit se trouver ici à la Bibliothèque royale. Je verrai sʼil y a moyen de remplir la lacune du manuscrit ambrosien
Voici la jolie histoire de Nectanabus, très-exactement copiée. Le Ms. 4877 est sans doute le livre de Jul. Valerius, mais fort abrégé. Cependant, ce récit est si détaillé quʼil est à croire quʼil y a été inséré en entier. Si jʼavais dʼabord eu connaissance du Cod. 8518, je lʼaurais préféré, parce quʼil est plus ancien. Il est complet au commencement, et jʼai déjà vu que les premières linges coincident avec le N° 4877 et avec le grec.
La lacune que lʼabbé Mai a laissé dans le second livre de la vie dʼAlexandre peut être remplie par le Ms. 4880; mais si le même morceau se trouve dans le N°8518 (je nʼai pu le feuilleter que légèrement, mais je lʼaurai chez moi, cela sera de beaucoup préférable. Le N°4880 est dʼune date recente et fourmille de fautes; il est dʼailleurs pénible à compulser à cause de lʼécriture serrée et des abréviations. Jʼy découvre, en comparant le texte de Mai, une omission considérable au commencement du second livre, sans quʼil y ait une lacune. Dans le troisième livre tout lʼarticle dʼOrosius sur Alexandre est inséré. En général, les manuscrits varient à lʼinfini; il sʼagit de savoir sʼil en est de même des manuscrits grecs.
Il me semble que M. Mai a fait de la Bibliothèque Ambrosienne une espèce dʼétable dʼAugias; mais il ne sʼensuit pas de là quʼil soit un Hercule. Il publie la traduction latine dʼun livre dont lʼoriginal grec existe; il la publie dʼaprès un seul manuscrit mutilé, tandis quʼil aurait pu remplir les lacunes et corriger une infinité de bévues et de barbarismes par la confrontation dʼautres manuscrits. Il veut définir lʼâge de Julius Valerius; cʼest encore tout de travers. Il est clair que la traduction est postérieure à lʼoriginal: de combien? cela est de peu dʼimportance. Il faut examiner le texte grec pour traiter cette question avec quelque solidité. Les arguments par lesquels lʼabbé Mai veut faire remonter ce livre à la première moitié du quatrième siècle, me paraissent bien faibles. Car un auteur du moyen âge, dénué de critique, en transcrivant des auteurs beaucoup plus anciens, a pu copier machinalement des phrases qui disaient que tel temple, telle fête subsistait encore sans sʼembarrasser des changements survenus depuis. En général, il y a dʼétranges disparates dans ce livre: dʼun côté, on y voit une teinte dʼérudition classique, quoique rarement sans alliage, et puis des contes puérils qui décèlent une grande ignorance de lʼhistoire. Jʼexplique cela en admettant que lʼauteur a puisé en partie dans les historiens anciens, dont il arrangeait les récits à sa manière, et en partie dans des traditions populaires. Je croirais volontiers que lʼhistoire de Nectanabus était un conte répandu parmi le peuple en Égypte, et quʼÆsopus nʼen a pas été lʼinventeur. Les connaissances classiques, les noms grecs, les allusions surtout à des mots grecs, que Julius Valerius a conservées, mʼempêchent de croire que son original grec nʼest quʼune traduction dʼun livre cophte ou égyptien. Mais il me paraît assez probable que lʼauteur ou le compilateur de lʼouvrage grec était un Grec dʼAlexandrie. Dans ce cas-là, il faudrait bien le placer avant lʼinvasion des Arabes, et je nʼy vois point dʼobjection.
La littérature Byzantine a été féconde en romans et contes populaires, qui ont eu ensuite de la vogue dans lʼOccident. Tels sont le Dolopatos ou les Sept Sages, les Entretiens de Salomon et de Marculphe, je crois aussi Florio et Blanchefleur. Quelques-uns de ces contes peuvent être venus plus loin de lʼOrient. Un Anglais, Dunlop (Essay on the origin of fiction), a montré que la légende populaire de Josaphat et Barlaam a été écrite dʼabord dans une langue orientale, si je ne me trompe, en syriaque. Mais il me paraît évident, par la nature du récit même, que le livre que nous avons sous les yeux nʼa rien de commun avec les traditions persanes concernant Alexandre. Sir John Malcolm, dans son Histoire de Perse (2 vol. 4°. 1815), donne un extrait du récit de Ferdousi, dʼaprès lequel Alexandre était le fils de Darab par la fille de Philippe, et par conséquent Persan. Malcolm dit à la vérité quʼil existe en langue persane des volumes innombrables sur Scander Roumi, outre le passage du Shah-Nameh; mais je pense que les poëtes postérieurs nʼauront fait que broder les traditions du plus ancien, cʼest-à-dire de Ferdousi. Si donc un auteur byzantin du onzième siècle. Siméon Seth (le nom semble indiquer un Juif), a effectivement puisé à des sources persanes un roman dʼAlexandre le Grand, son livre doit être totalement différent de celui dont nous nous occupons. Mais cette notice généralement reçue, me paraît peu vraisemblable en elle-même. Pour un livre en langue pehlwi, quʼil aurait traduit ou imité, cʼest trop tard; pour un livre en persan moderne, cʼest trop tôt. Après lʼinvasion des Arabes, les livres écrits dans lʼancienne langue furent ou détruits par lʼintolérance mahométane ou enfouis par les adhérents de lʼancien culte. Ferdousi a vécu vers lʼan mille, mais je pense quʼalors la communication entre Constantinople et la Perse, qui avait été immédiate sous la dynastie des Sassanides, aura été entièrement rompue par lʼempire des Califes. Sʼil y a jamais eu quelque connaissance de la littérature persane moderne dans lʼempire byzantin, elle sʼy sera répandue beaucoup plus tard, lorsque la poésie persane avait acquis de la vogue parmi toutes les nations mahométanes. Je ne vous parle pas des traditions arabes qui confondent Alexandre avec le prophète Dulkarnain, mentionné dans le Koran; elles doivent sʼécarter encore bien davantage de la narration grecque ou égyptienne.
Je nʼai jamais eu le loisir de mʼoccuper des romans occidentaux français, anglais, allemands et espagnols dʼAlexandre, et je ne saurais vous dire jusquʼà quel point ils coïncident avec le récit dʼÉsope et de J. Valerius. La version espagnole est imprimée dans le recueil de Sanchez: Collection de poesias castellanus anteriores al siglo XIV. Si jʼétais à Coppet, je pourrais vous le fournir.
Je voudrais vous engager à ne donner quʼun article préalable dans la Bibliothèque Universelle et à réserver tout le reste pour un écrit particulier dans lequel vous pourriez donner à vos recherches tout le développement nécessaire, publier les morceaux inédits qui manquent dans Mai, etc. Le mieux serait de venir pour un mois à Paris, vous trouveriez toutes les facilités dans les bibliothèques publiques. Je serais charmé dʼy travailler avec vous.
A propos, demandez donc à M. Mai comment il entend la mesure de ces morceaux quʼil a fait imprimer en forme de vers. Je vois bien que la prophétie de Sérapis, p. 44, doit être en trimètres ïambiques, et la généalogie en scazons. Mais il y a là plusieurs vers qui ne sont pas mieux mesurés que ceux de la Fausse Agnes, et cependant lʼéditeur nʼavertit pas ses lecteurs de ce désordre dans son manuscrit.
Que fera lʼabbé Mai de ces fragments dʼUlphilas? Assurément il nʼest pas en état de les publier, à moins quʼil nʼait recours à son artifice habituel, cʼest-à-dire de ne point expliquer ce qui est fort obscur, pour cacher à ses lecteurs quʼil ne le comprend pas lui-même. Je ne crois pas quʼil y ait aucun savant Italien qui sache la langue gothique. Ce serait une affaire pour Akerblad; mais il vaudrait encore mieux transmettre tout cela à M. Zahn. Je lʼentreprendrais bien moi-même; mais il me faudrait du temps. Pour des types gothiques, il nʼen existe, je crois, quʼà Oxford; ici, à lʼimprimerie royale, il nʼy en a point.
Voilà un bien long bavardage, mais la faute en est à vous: pourquoi mʼengagez-vous dans de pareils sujets? Mille amitiés. Je regrette bien nos entretiens.
Tout à vous,
A. W. DE SCHLEGEL.
Adressez toujours chez M. le duc de Broglie.
28 octobre.
Quoique le manuscrit 4880 soit de peu de valeur, puisque jʼen ai copié un morceau, je vous lʼenvoie. Jʼai corrigé tacitement quelques erreurs, jʼen ai dʼautres à la marge, mais je nʼai pas entrepris de corriger par mes conjectures des leçons désespérées. En confrontant les manuscrits bons ou mauvais, lʼabbée Mai aurait certainement pu donner un texte beaucoup plus correct, et on lirait cet ouvrage apocryphe moins péniblement. (Ce fragment ayant été publié par Müller dans son édition du Pseudo-Callisthènes, nous lʼavons supprimé. Vous lʼAppendice de lʼhistoire fabuleuse dʼAlexandre.-Éd.)
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