• August Wilhelm von Schlegel to Friedrich von Gentz

  • Place of Dispatch: Stralsund · Place of Destination: Unknown · Date: [2. Juni 1813]
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
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    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Friedrich von Gentz
  • Place of Dispatch: Stralsund
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: [2. Juni 1813]
  • Typ: Abschrift
  • Notations: Datum sowie Absendeort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Schmidt, Ludwig: Drei Briefe Aug. Wilh. Schlegels an Gentz. In: Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung 24 (1903), S. 416‒419.
  • Verlag: Böhlau Verlag
  • Incipit: „[1] Stralsund, Anfang Juni 1813.
    Me voici depuis 15 jours en Allemagne, m. ch. G. J’y suis arrivé sous de bons et [...]“
    Manuscript
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: DE-1a-33708
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.9,Nr.16
  • Number of Pages: 8S. auf Doppelbl., hs.
  • Format: 18,3 x 11,8 cm
[1] Stralsund, Anfang Juni 1813.
Me voici depuis 15 jours en Allemagne, m. ch. G. J’y suis arrivé sous de bons et de grands auspices, sous ceux du Pr. R. de Suède, mais quoiqu’il y eût déjà des images avant notre départ, l’horizon s’est furieusement obscurci après notre arrivée. L’armée des alliés est repoussée depuis la Saale jusqu’à l’Oder; l’on ne pourra pas empêcher que les forteresses ne soyent débloquées. Hambourg est pris et occupé par ces Danois, que le Ciel confonde, sous un commandant français et au nom de Napoléon. C’est un évènement affreux et dont les suites sont incalculables aussi sous le rapport des moyens pécuniaires pour continuer la guerre. Tant de bonne volonté, de zèle, de dévouement même est non seulement perdu, mais a été sacrifié, pour ainsi dire, de gaité de cœur. Une infinité de personnes sont compromises et doivent risquer leur liberté et leur vie en restant ou en retournant chez eux, ou perdre leurs propriétés en émigrant, si toute fois ils ont pu le faire. Le monstre a une nouvelle occasion d’exercer sa tyrannie sanguinaire. C’est un exemple funeste rien de pire que d’offrir à un peuple, impatient de secouer le joug, des secours prématurés et qui ne sont pas solides; une autrefois il est à craindre que personne ne bougera. D’ailleurs, les Français, chassés pour quelques instants par une guerre vagabonde d’une partie du pays entre l’Elbe et le Weser, y prennent des mesures de précaution, ils enlèvent toute la jeunesse qui aurait voulu servir contre eux.
D’un autre côté vous voyez, comment va la coalition. [2] Les Russes, après avoir montré de la persévérance dans les revers n’a (!) pas su échapper aux écueils des succès, à la légérité et à la présomption. Ils ont rallenti leurs efforts, ils ont en l’air pendant quelques mois d’avoir entièrement oublié les services, que la Suède leur avait rendus, et de ne plus de soucier de sa coopération. J’ai trouvé P(ozzo) d(i) B(orgo) à Carlscrona dans les premiers jours de Mai et j’ai passé la mer avec lui. Il a beaucoup d’esprit et de caractère, mais sa mission était difficile: comment suppléer par de nouvelles promesses aux engagemens manqués, lorsqu’aucun effet ne fait preuve d’une intention sérieuse?
Outre ce défaut de moyens, on s’est mis en désaccord sur les mesures à prendre dans les affaires Germaniques. J’attribue cela uniquement à Mr. de Stein. C’est lui qui a baclé le traité de Breslau du 19. Mars – ce traité s’accorde parfaitement avec ce qu’il m’a dit et écrit précidemment. Il veut conduire l’Allemagne à la liberté par une voye plus despotique que cela de Napoléon, c’est à dire qu’il voudrait accabler de coups un cheval qui avait envie de courir. Le but, dont Mr. de Stein depuis long temps ne s’est pas caché, est de jeter tous les princes allemands par la fénêtre et de transformer le nord de l’Allemagne en une seule monarchie. Le midi deviendra ensuite ce qu’il pourra, ou se transformera de la même manière. „Il faut de l’unité et de la force à l’Allemagne, m’ecrivit-il au mois de Novembre dernier, tout cet échaffaudage de Princes doit être abandonné; [3] leur conduite abjectée les a rendus odieux et méprisables aux yeux de la nation“. En conséquence le traité de Breslau ne fait aucune différence entre les Princes de la Confédération Rhénane dans le nord, qui n’ont fait aucune acquisition et ont cédé à une force irrésistible sans vouloir profiter des malheurs de notre patrie pour s’agrandir, et les premiers membres de la Confédération, qui ont été au devant de la corruption. Ensuite Mr. de Stein connaît mal les Allemands – leur faible est précisement un trop grand attachement à la personne et à la famille de leurs souverains – s’entend leurs anciens souverains – car les nouveaux sujets des nouveaux rois et grands ducs sont on ne peut pas plus mécontens –, et surtout les cidevant sujets Autrichiens regrettent amèrement leur ancien état. Je m’en suis .......... (?) convaincu dans mes voyages. Un ministre d’état de cette partie, que je ne veux pas nommer, me dit à Paris: Nos peuples détestent leurs princes, ils sentent l’oppression qu’ils en éprouvent, ils ne conçoivent pas, que ces princes ne sont que les instruments de Bonaparte.
Les alliés trouveront donc partout beaucoup de bonne volonté – dans le nord chez les Princes et les peuples en même temps, dans le midi au moins chez une grande partie du peuple – pourvu que le but du rétablissement de l’ancien état et de l’indépendance nationale soit annoncé d’une manière non équivoque. Quel besoin y-a-t-il de ce corset de force que Mr. de Stein veut mettre à toute l’Allemagne? Son [4] projet est in-praticable, également contraire à la politique Européenne et aux voeux de la nation. Quoiqu’il arrive et quelqu’éloignées que soyent à présent ces ésperances, il me semble que l’Allemagne ne peut jamais être retablie que sous une forme fédérative quelconque. Et qui peut donner de l’unité à cette fédération si ce n’est l’Autriche, dont les vues se trouveront toujours d’accord avec celles de l’Angleterre et de la Suède? Je conçois, que la dignité impériale telle qu’elle était dans les derniers temps n’est pas un objet à convoiter; l’Empire ne peut recevoir une nouvelle constitution qu’après la paix générale; tout doit donc être provisoire – et la seule forme en même temps constitutionelle et populaire d’agir et celle d’une ligue Germanique opposée à la Confédération Rhénane.
Vous connaissez sans doute les observations du Comte de M(ünster) sur le traité de Breslau, lesquelles ont été communiquées à la cour de Suède. Elles l’auront été également à celle d’Autriche. Cependant je vous envoye la copie d’une lettre que je viens de recevoir de ce ministre, elle pourra encore vous intéresser.
Le Cte. de Neipperg vous portera cette lettre. Il connait à fond la position du Pr. R. de Suède et les principes qui le guident dans sa conduite. Il vous les expliquera mieux que je ne pourrai le faire. [5] Seulement je puis vous dire qu’en ne voyant cela que de loin, on serait exposé à porter un jugement précipité. C’est un malheur, que le Pr. R. l’automne passé dans la conduite envers la Russie ait été trop confiant et trop généreux: la situation était telle, que s’il eût insisté sur la possession provisoire des îles d’Aland pour avoir un gage entre les mains, je ne doute pas qu’elle n’eût été accordée. Alors la Russie aurait eu un motif puissant de presser le Danemarc, et 40000 h. sur les frontières du Holstein au lieu de la mission du Pr.(ince) D(olgoruki), au mois de mars lorsque toutes les forces du Napoléon étaient à bas, l’affaire serait arrangée depuis longtemps. A présent la grande ambassade qui s’est embarquée dimanche, est bien tardive; on la compare à la procession des trois rois mages, qui apportent de l’or, de l’encens et des myrrhes – plante aromatique mais amère. Je crains que le gouvernement danois ne se soit déjà livré irrévocablement au démon corps et ame. C’est d’autant plus dommage, que l’esprit des provinces allemands était excellent.
Il ne sert à rien de rabacher les erreurs passées. Mais en jugeant les rapports entre la Suède et le Danemarc (sur lesquels je vous ai écrit dernièrement une longue lettre) je vous prie de ne pas oublier les services que la Suède a rendue depuis l’été dernier à la bonne cause, tandis que le Danemarc depuis vingt ans a toujours agi d’après les calculs de lʼégoisme le plus étroit.
[6] Pesez aussi la situation du Pr. R. de Suède vis à vis de la nation. Vous ne pouvez vous faire aucune idée de l’état, où il y a trouvé l’opinion publiqué. Il a été un vrai missionaire, il les a convertis pas à pas, si tant est qu’ils soyent complettement convertis de leurs anciens préjugés et leurs nouveaux engouements. On attribuait les malheurs et les pertes que la Suède a effreyée à ce que sous le dernier règne on s’était braillé mal à propos avec Napoléon, tandis que ces malheurs furent causés par une conduite impolitique incohérente, en même temps téméraire et sans énergie . . . . (?) Quel moyen d’engager les Suédois dans une guerre transmarine dont ils sont fort éloignés de concevoir l’urgence comme du temps du grand Gustave Adolphe, qu’en leur présentant la perspective d’un avantage national? Et le Pr. R. peut-il souffrir, que cette perspective qui lui a été formellement assurée, s’évapore en vaines espérances? Quoiqu’il en soit, il ne faut pas désesperer. On s’est bien battu jusqu’ici. Bonaparte a ramassé encore de grandes forces, mais cette-fois-ci je pense, qu’il a puisé dans le fond du sac. Rien n’est perdu, pourvu qu’un parfait accord soit promptement retabli entre les alliés. L’accession de l’Autriche porterait un coup décisif; elle doit être la basse fondamentale dans ce concert Européen. [7] Que l’aigle à double tête déploye de nouveau ses ailes, qu’il reprenne le sceptre et le globe et le vautour, qui a usurpé son nom et sa gloire, qui s’est arrogé de lancer la foudre, bientôt chassé au delà il ne battra plus que d’une aile.
Je vois partir le Cte. de Neipperg avec un regret extrême. Sans doute il sera toujours à sa place dans un commandement militaire, mais je voudrais qu’il fût des nôtres, qu’il fût chargé d’une mission au Quartier général Suédois, sa puissance serait infiniment utile. Le Pr. R. l’aime et l’estime singulièrement et lui a donné toute sa confiance. Lorsque Mad. de Staël un jour lui fit l’éloge de cette noblesse innée, de cette loyauté chevaleresque, de cette vaillance si modeste qui caractérise le Cte, le Pr. R. répondit; „c’est absolument Bayard“. Avec les manières les plus prévenantes Mr. de Neipperg maintient toujours son franc parler; sa vivacité spirituelle et naturellement éloquente et pleine d’âme, avec laquelle il s’exprime, fait impression sur l’esprit d’un Pr(ince) penétré de l’amour de la vraie gloire et qui est accoutumé à voir les choses en grand. Enfin dans le cas de votre coopération dont je ne puis me résoudre à douter, on ne [8] saurait choisir un meilleur organe pour entretenir une intelligence parfaite.
Jo voudrais que vous connaissiez l’ascendant personnel du Pr. R. comme moi. On ne peut briser la puissance de Bonaparte, qu’en faisant valoir contre lui la haine des nations qu’il s’est suscitée: c’est bien plus encore un problème moral, qu’une difficulté physique à résoudre. Le Pr. R. par son caractère et sa position est éminement appellé à rallier autour de lui toutes les espérances magnanimes, soit à l’étranger soit en France même.
Adieu mon cher Gentz, écrivez moi et annoncez moi l’Evangile de la nouvelle alliance. Oesterreich über alles wenn es nur will! Milles amitiés.
[1] Stralsund, Anfang Juni 1813.
Me voici depuis 15 jours en Allemagne, m. ch. G. J’y suis arrivé sous de bons et de grands auspices, sous ceux du Pr. R. de Suède, mais quoiqu’il y eût déjà des images avant notre départ, l’horizon s’est furieusement obscurci après notre arrivée. L’armée des alliés est repoussée depuis la Saale jusqu’à l’Oder; l’on ne pourra pas empêcher que les forteresses ne soyent débloquées. Hambourg est pris et occupé par ces Danois, que le Ciel confonde, sous un commandant français et au nom de Napoléon. C’est un évènement affreux et dont les suites sont incalculables aussi sous le rapport des moyens pécuniaires pour continuer la guerre. Tant de bonne volonté, de zèle, de dévouement même est non seulement perdu, mais a été sacrifié, pour ainsi dire, de gaité de cœur. Une infinité de personnes sont compromises et doivent risquer leur liberté et leur vie en restant ou en retournant chez eux, ou perdre leurs propriétés en émigrant, si toute fois ils ont pu le faire. Le monstre a une nouvelle occasion d’exercer sa tyrannie sanguinaire. C’est un exemple funeste rien de pire que d’offrir à un peuple, impatient de secouer le joug, des secours prématurés et qui ne sont pas solides; une autrefois il est à craindre que personne ne bougera. D’ailleurs, les Français, chassés pour quelques instants par une guerre vagabonde d’une partie du pays entre l’Elbe et le Weser, y prennent des mesures de précaution, ils enlèvent toute la jeunesse qui aurait voulu servir contre eux.
D’un autre côté vous voyez, comment va la coalition. [2] Les Russes, après avoir montré de la persévérance dans les revers n’a (!) pas su échapper aux écueils des succès, à la légérité et à la présomption. Ils ont rallenti leurs efforts, ils ont en l’air pendant quelques mois d’avoir entièrement oublié les services, que la Suède leur avait rendus, et de ne plus de soucier de sa coopération. J’ai trouvé P(ozzo) d(i) B(orgo) à Carlscrona dans les premiers jours de Mai et j’ai passé la mer avec lui. Il a beaucoup d’esprit et de caractère, mais sa mission était difficile: comment suppléer par de nouvelles promesses aux engagemens manqués, lorsqu’aucun effet ne fait preuve d’une intention sérieuse?
Outre ce défaut de moyens, on s’est mis en désaccord sur les mesures à prendre dans les affaires Germaniques. J’attribue cela uniquement à Mr. de Stein. C’est lui qui a baclé le traité de Breslau du 19. Mars – ce traité s’accorde parfaitement avec ce qu’il m’a dit et écrit précidemment. Il veut conduire l’Allemagne à la liberté par une voye plus despotique que cela de Napoléon, c’est à dire qu’il voudrait accabler de coups un cheval qui avait envie de courir. Le but, dont Mr. de Stein depuis long temps ne s’est pas caché, est de jeter tous les princes allemands par la fénêtre et de transformer le nord de l’Allemagne en une seule monarchie. Le midi deviendra ensuite ce qu’il pourra, ou se transformera de la même manière. „Il faut de l’unité et de la force à l’Allemagne, m’ecrivit-il au mois de Novembre dernier, tout cet échaffaudage de Princes doit être abandonné; [3] leur conduite abjectée les a rendus odieux et méprisables aux yeux de la nation“. En conséquence le traité de Breslau ne fait aucune différence entre les Princes de la Confédération Rhénane dans le nord, qui n’ont fait aucune acquisition et ont cédé à une force irrésistible sans vouloir profiter des malheurs de notre patrie pour s’agrandir, et les premiers membres de la Confédération, qui ont été au devant de la corruption. Ensuite Mr. de Stein connaît mal les Allemands – leur faible est précisement un trop grand attachement à la personne et à la famille de leurs souverains – s’entend leurs anciens souverains – car les nouveaux sujets des nouveaux rois et grands ducs sont on ne peut pas plus mécontens –, et surtout les cidevant sujets Autrichiens regrettent amèrement leur ancien état. Je m’en suis .......... (?) convaincu dans mes voyages. Un ministre d’état de cette partie, que je ne veux pas nommer, me dit à Paris: Nos peuples détestent leurs princes, ils sentent l’oppression qu’ils en éprouvent, ils ne conçoivent pas, que ces princes ne sont que les instruments de Bonaparte.
Les alliés trouveront donc partout beaucoup de bonne volonté – dans le nord chez les Princes et les peuples en même temps, dans le midi au moins chez une grande partie du peuple – pourvu que le but du rétablissement de l’ancien état et de l’indépendance nationale soit annoncé d’une manière non équivoque. Quel besoin y-a-t-il de ce corset de force que Mr. de Stein veut mettre à toute l’Allemagne? Son [4] projet est in-praticable, également contraire à la politique Européenne et aux voeux de la nation. Quoiqu’il arrive et quelqu’éloignées que soyent à présent ces ésperances, il me semble que l’Allemagne ne peut jamais être retablie que sous une forme fédérative quelconque. Et qui peut donner de l’unité à cette fédération si ce n’est l’Autriche, dont les vues se trouveront toujours d’accord avec celles de l’Angleterre et de la Suède? Je conçois, que la dignité impériale telle qu’elle était dans les derniers temps n’est pas un objet à convoiter; l’Empire ne peut recevoir une nouvelle constitution qu’après la paix générale; tout doit donc être provisoire – et la seule forme en même temps constitutionelle et populaire d’agir et celle d’une ligue Germanique opposée à la Confédération Rhénane.
Vous connaissez sans doute les observations du Comte de M(ünster) sur le traité de Breslau, lesquelles ont été communiquées à la cour de Suède. Elles l’auront été également à celle d’Autriche. Cependant je vous envoye la copie d’une lettre que je viens de recevoir de ce ministre, elle pourra encore vous intéresser.
Le Cte. de Neipperg vous portera cette lettre. Il connait à fond la position du Pr. R. de Suède et les principes qui le guident dans sa conduite. Il vous les expliquera mieux que je ne pourrai le faire. [5] Seulement je puis vous dire qu’en ne voyant cela que de loin, on serait exposé à porter un jugement précipité. C’est un malheur, que le Pr. R. l’automne passé dans la conduite envers la Russie ait été trop confiant et trop généreux: la situation était telle, que s’il eût insisté sur la possession provisoire des îles d’Aland pour avoir un gage entre les mains, je ne doute pas qu’elle n’eût été accordée. Alors la Russie aurait eu un motif puissant de presser le Danemarc, et 40000 h. sur les frontières du Holstein au lieu de la mission du Pr.(ince) D(olgoruki), au mois de mars lorsque toutes les forces du Napoléon étaient à bas, l’affaire serait arrangée depuis longtemps. A présent la grande ambassade qui s’est embarquée dimanche, est bien tardive; on la compare à la procession des trois rois mages, qui apportent de l’or, de l’encens et des myrrhes – plante aromatique mais amère. Je crains que le gouvernement danois ne se soit déjà livré irrévocablement au démon corps et ame. C’est d’autant plus dommage, que l’esprit des provinces allemands était excellent.
Il ne sert à rien de rabacher les erreurs passées. Mais en jugeant les rapports entre la Suède et le Danemarc (sur lesquels je vous ai écrit dernièrement une longue lettre) je vous prie de ne pas oublier les services que la Suède a rendue depuis l’été dernier à la bonne cause, tandis que le Danemarc depuis vingt ans a toujours agi d’après les calculs de lʼégoisme le plus étroit.
[6] Pesez aussi la situation du Pr. R. de Suède vis à vis de la nation. Vous ne pouvez vous faire aucune idée de l’état, où il y a trouvé l’opinion publiqué. Il a été un vrai missionaire, il les a convertis pas à pas, si tant est qu’ils soyent complettement convertis de leurs anciens préjugés et leurs nouveaux engouements. On attribuait les malheurs et les pertes que la Suède a effreyée à ce que sous le dernier règne on s’était braillé mal à propos avec Napoléon, tandis que ces malheurs furent causés par une conduite impolitique incohérente, en même temps téméraire et sans énergie . . . . (?) Quel moyen d’engager les Suédois dans une guerre transmarine dont ils sont fort éloignés de concevoir l’urgence comme du temps du grand Gustave Adolphe, qu’en leur présentant la perspective d’un avantage national? Et le Pr. R. peut-il souffrir, que cette perspective qui lui a été formellement assurée, s’évapore en vaines espérances? Quoiqu’il en soit, il ne faut pas désesperer. On s’est bien battu jusqu’ici. Bonaparte a ramassé encore de grandes forces, mais cette-fois-ci je pense, qu’il a puisé dans le fond du sac. Rien n’est perdu, pourvu qu’un parfait accord soit promptement retabli entre les alliés. L’accession de l’Autriche porterait un coup décisif; elle doit être la basse fondamentale dans ce concert Européen. [7] Que l’aigle à double tête déploye de nouveau ses ailes, qu’il reprenne le sceptre et le globe et le vautour, qui a usurpé son nom et sa gloire, qui s’est arrogé de lancer la foudre, bientôt chassé au delà il ne battra plus que d’une aile.
Je vois partir le Cte. de Neipperg avec un regret extrême. Sans doute il sera toujours à sa place dans un commandement militaire, mais je voudrais qu’il fût des nôtres, qu’il fût chargé d’une mission au Quartier général Suédois, sa puissance serait infiniment utile. Le Pr. R. l’aime et l’estime singulièrement et lui a donné toute sa confiance. Lorsque Mad. de Staël un jour lui fit l’éloge de cette noblesse innée, de cette loyauté chevaleresque, de cette vaillance si modeste qui caractérise le Cte, le Pr. R. répondit; „c’est absolument Bayard“. Avec les manières les plus prévenantes Mr. de Neipperg maintient toujours son franc parler; sa vivacité spirituelle et naturellement éloquente et pleine d’âme, avec laquelle il s’exprime, fait impression sur l’esprit d’un Pr(ince) penétré de l’amour de la vraie gloire et qui est accoutumé à voir les choses en grand. Enfin dans le cas de votre coopération dont je ne puis me résoudre à douter, on ne [8] saurait choisir un meilleur organe pour entretenir une intelligence parfaite.
Jo voudrais que vous connaissiez l’ascendant personnel du Pr. R. comme moi. On ne peut briser la puissance de Bonaparte, qu’en faisant valoir contre lui la haine des nations qu’il s’est suscitée: c’est bien plus encore un problème moral, qu’une difficulté physique à résoudre. Le Pr. R. par son caractère et sa position est éminement appellé à rallier autour de lui toutes les espérances magnanimes, soit à l’étranger soit en France même.
Adieu mon cher Gentz, écrivez moi et annoncez moi l’Evangile de la nouvelle alliance. Oesterreich über alles wenn es nur will! Milles amitiés.
· Original , 02.06.1813
· Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 263‒267.
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