• August Wilhelm von Schlegel to August Böckh

  • Place of Dispatch: Bonn · Place of Destination: Berlin · Date: 29.10.1842
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: August Böckh
  • Place of Dispatch: Bonn
  • Place of Destination: Berlin
  • Date: 29.10.1842
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 343347008
  • Bibliography: Briefe von und an August Wilhelm Schlegel. Gesammelt und erläutert durch Josef Körner. Bd. 1. Zürich u.a. 1930, S. 587‒590.
  • Incipit: „Monsieur et très-cher ami!
    Permettez-moi de vous écrire aujourdʼhui en français: ce nʼest quʼune lettre confidentielle, dans laquelle nous nʼavons pas besoin [...]“
    Manuscript
  • Provider: Archiv der Berlin-Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften Berlin
  • Classification Number: VII, 61 Bl. 27-30
  • Number of Pages: 4 S., hs. m. U.
Monsieur et très-cher ami!
Permettez-moi de vous écrire aujourdʼhui en français: ce nʼest quʼune lettre confidentielle, dans laquelle nous nʼavons pas besoin de nous gêner. Jʼai été tellement entouré de traités de Grammaire et de Dictionnaires français, que ma plume se refuse à lʼallemand. Dʼailleurs
le sujet dont nous sommes occupés, appartient à la littérature française. Enfin, nous sommes lʼun et lʼautre membres dʼune académie toute française, fondée par Frédéric le grand, et qui, à mon avis, nʼaurait jamais dû se départir de son institution primitive.
Si jʼai tardé
à répondre à plusieurs points de votre lettre du 4 Mai, cʼest parce que jʼai cru quʼil valait mieux continuer mon travail sur le second volume de lʼHistoire de mon temps. Jʼai été interrompu par le voisinage des manœuvres militaires et des fêtes de cour. Il mʼa fallu loger chez moi un général anglais et son aide de camp, me présenter à la cour au château de Bruhl, etc. De plus, une personne malade dans ma maison depuis quatre mois me cause beaucoup dʼinquiétude. Cependant, pour peu que ma santé se soutienne passablement, jʼespère pouvoir vous faire parvenir avant la fin de lʼan le troisième et dernier cahier de mon analyse du second volume. Je reviendrai ensuite au premier, afin de compléter mon mémoire de lʼété passé.
Cʼest un travail épineux qui demande beaucoup de temps et de réflexion. Je relis
chaque page je ne sais combien de fois, avant de me déterminer au plus léger changement. Jʼy aurais même trouvé du goût, si le Comité ne mʼavait pas préscrit des conditions si onéreuses, auxquelles je me suis pourtant soumis par un excès de complaisance. Jʼai présumé quʼaprès moi quelque autre membre du Comité sʼoffrirait à compléter la révision du texte des écrits historiques: car il ne sʼagit que de ceux-là. Au lieu de cela vous me mandez dans votre lettre du 4 Mai que vous pensez abandonner ce soin à un certain Ackermann. Jʼai eu de la peine à croire que vous parliez sérieusement et je me suis involontairement écrié: Ἑκς βέβηλοι! Dʼaprès cela on dirait que vous nʼavez jamais lu ni même feuilleté les brochures de ce ridicule original. Je vous annonce donc que sa bonne gallicité est plus que suspecte; que son jargon nʼest nullement appropriable au style du grand Frédéric; enfin que, ce quʼil nomme la logique motale nʼest autre chose que la rhétorique sotale, cʼest-à-dire un amphigouri inventé par un sot afin de déguiser ses trivialités en pensées neuves et profondes. Ces belles locutions que jʼai soulignées, se trouvent dans la préface de ses Contremots. Ouvrez son Principe de la poésie, vous y verrez la poésie suiconsciencieuse, et la phraséurgie géométrique et cent autres disparates.
Cet Ackermann sʼest mis en tête de réformer lʼorthographe française. Un obscur écrivailleur entreprend ce qui nʼa pas réussi à Voltaire! Cela donne la mesure de son ineptie et de sa présomption. Mais les changements proposés par Voltaire étaient fort modestes et, la plupart, raisonnables; le plus important a fini par être adopté après de longues fluctuations de lʼusage. Lʼorthographe ackermannesque, au contraire, est biscornue et digne de son barbarisme général; elle prouve à quel point il ignore la nature et lʼhistoire de sa propre langue.
Bref,
ce Paul Ackermann est un farceur de la jeune France, et, qui pis est, un farceur tudesquisé.
il a échappé jusquʼici aux railleries des journalistes parisiens, il ne le doit sans doute quʼa son obscurité. Il y a là parmi les auteurs des feuilletons littéraires des hommes dʼesprit, maîtres passés en lʼart de la moquerie et du sarcasme. Sʼil tombe entre les mains de lʼun dʼeux, il sera houspillé tellement quʼon ne prononcera plus son nom sans rire. Il sera mis en scène aux Variétés, comme lʼont été MM. Feinaigl et le Baron de Drais et tant dʼautres; et son protecteur Cousin pourrait bien y attraper aussi quelques coups de patte.
Jʼapprends que
cet individu a été engagé pour le compte du comité académique comme son homme de peine, quʼon lui a même assigné une paye. Tant pis: cʼest de lʼargent jeté par la fenêtre. Il est inhabile à tout, même à faire une bonne copie. Le Roi ne peut pas examiner lui-même la capacité de ceux quʼon lui propose dʼemployer; cʼest à la responsabilité de celui qui a recommandé un tel freluquet.
Vous y regarderez à deux fois, mon cher Bœckh, avant de donner le rôle principal à
un étranger nouveau venu, un jeune homme sans considération, un écolier échappé trop tôt de son collège. Si cela se fait, le Comité aura abdiqué par le fait, et Paul Ackermann sera le vrai éditeur des Œuvres de Frédéric II. Conspué en France, il se vantera de sa haute dignité, obtenue au fin fond de lʼAllemagne, et il est à prévoir ce que le public en dira.
La généreuse intention
de notre Roi magnanime dʼériger un monument à la gloire de son grand prédécesseur par une édition classique de ses Œuvres, et de proclamer par le même acte la liberté de la pensée, a été accueillie partout avec transport. Mais si lʼexécution ne répond pas à lʼattente, le jugement de lʼEurope éclairée sera, soyez-en sûr, très-sévère, et la critique sʼadressera principalement à vous, puisque vous avez présidé aux délibérations. Pour moi, à cette époque jʼespère mʼêtre déjà soustrait à la solidarité.
Vous, dʼaccord avec vos collègues, persistez dans votre interprétation de lʼordre royal du Cabinet qui autorise ma coopération; de mon côté je persiste dans la mienne. Il ne servirait à rien de renouveler cette dispute. Il y a un moyen très-simple de sortir du dilemme: on sollicite une déclaration authentique auprès de
la même autorité dont lʼordre est émané. Mais je nʼai pas encore jugé à propos de faire cette demarche.
Vous mʼaviez déjà proposé dans
votre lettre du 30 Avril 1841 dʼécrire une introduction générale au recueil des Œuvres de Frédéric II. La situation nʼétant pas essentiellement changée depuis, je peux me référer à la réponse contenue dans ma lettre du 9 Mai de la même année. Dans votre lettre du 9 Mai 1842 vous revenez au même sujet, et vous semblez supposer lʼapprobation royale. Cependant lʼordre du Cabinet nʼen dit rien, et quoique jʼaie eu depuis plusieurs fois lʼhonneur de faire ma cour au Roi, Sa Majesté ne mʼen a pas parlé. Il sera donc plus convenable dʼattendre respectueusement les ordres du Roi, que de vouloir anticiper les intentions de Sa Majesté au risque de se tromper.
A mon avis
cette introduction générale devra être une espèce de biographie littéraire; elle devra caractériser le grand roi comme historien, comme poète et comme philosophe. Je pense quʼoutre cela il faudra une introduction spéciale aux écrits historiques. Cette tâche est dévolue à lʼhistoriographe de la monarchie qui, assurément, ne se laissera pas enlever une si belle occasion de faire honneur à ses fonctions.
Je vous ai prié de me communiquer les procès-verbaux des séances que le Comité a tenues depuis mon départ de
Berlin. Vous me les refusez sous un prétexte que je ne comprends pas. Il en résulte que je suis dans lʼignorance complète de tout ce que le Comité a fait depuis quatorze mois. Par la nomination du Roi je suis membre de ce collège, jʼy ai voix délibérative, droit de suffrage. Mon absence nʼy fait pas la moindre différence, puisquʼelle est involontaire et motivée par mes devoirs comme professeur. Vous me mettez dans lʼimpossibilité dʼexercer ce droit, vous mʼexcluez arbitrairement, et jʼaurais lʼair dʼy consentir si je ne protestais pas contre de tels procédés.
Veuillez agréer, très-cher Collègue, lʼassurance de ma considération très-distinguée.
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur
A. W. de Schlegel
Bonn, le 29 Oct. 1842

A propos, que devient notre thème dʼarithmétique? Je mʼattendais à une réfutation, qui nʼest point arrivée. Si vous avez calculé juste, mon erreur est bien grave, de nʼavoir vu que
douze volumes où il y a des matériaux pour trente.
Monsieur et très-cher ami!
Permettez-moi de vous écrire aujourdʼhui en français: ce nʼest quʼune lettre confidentielle, dans laquelle nous nʼavons pas besoin de nous gêner. Jʼai été tellement entouré de traités de Grammaire et de Dictionnaires français, que ma plume se refuse à lʼallemand. Dʼailleurs
le sujet dont nous sommes occupés, appartient à la littérature française. Enfin, nous sommes lʼun et lʼautre membres dʼune académie toute française, fondée par Frédéric le grand, et qui, à mon avis, nʼaurait jamais dû se départir de son institution primitive.
Si jʼai tardé
à répondre à plusieurs points de votre lettre du 4 Mai, cʼest parce que jʼai cru quʼil valait mieux continuer mon travail sur le second volume de lʼHistoire de mon temps. Jʼai été interrompu par le voisinage des manœuvres militaires et des fêtes de cour. Il mʼa fallu loger chez moi un général anglais et son aide de camp, me présenter à la cour au château de Bruhl, etc. De plus, une personne malade dans ma maison depuis quatre mois me cause beaucoup dʼinquiétude. Cependant, pour peu que ma santé se soutienne passablement, jʼespère pouvoir vous faire parvenir avant la fin de lʼan le troisième et dernier cahier de mon analyse du second volume. Je reviendrai ensuite au premier, afin de compléter mon mémoire de lʼété passé.
Cʼest un travail épineux qui demande beaucoup de temps et de réflexion. Je relis
chaque page je ne sais combien de fois, avant de me déterminer au plus léger changement. Jʼy aurais même trouvé du goût, si le Comité ne mʼavait pas préscrit des conditions si onéreuses, auxquelles je me suis pourtant soumis par un excès de complaisance. Jʼai présumé quʼaprès moi quelque autre membre du Comité sʼoffrirait à compléter la révision du texte des écrits historiques: car il ne sʼagit que de ceux-là. Au lieu de cela vous me mandez dans votre lettre du 4 Mai que vous pensez abandonner ce soin à un certain Ackermann. Jʼai eu de la peine à croire que vous parliez sérieusement et je me suis involontairement écrié: Ἑκς βέβηλοι! Dʼaprès cela on dirait que vous nʼavez jamais lu ni même feuilleté les brochures de ce ridicule original. Je vous annonce donc que sa bonne gallicité est plus que suspecte; que son jargon nʼest nullement appropriable au style du grand Frédéric; enfin que, ce quʼil nomme la logique motale nʼest autre chose que la rhétorique sotale, cʼest-à-dire un amphigouri inventé par un sot afin de déguiser ses trivialités en pensées neuves et profondes. Ces belles locutions que jʼai soulignées, se trouvent dans la préface de ses Contremots. Ouvrez son Principe de la poésie, vous y verrez la poésie suiconsciencieuse, et la phraséurgie géométrique et cent autres disparates.
Cet Ackermann sʼest mis en tête de réformer lʼorthographe française. Un obscur écrivailleur entreprend ce qui nʼa pas réussi à Voltaire! Cela donne la mesure de son ineptie et de sa présomption. Mais les changements proposés par Voltaire étaient fort modestes et, la plupart, raisonnables; le plus important a fini par être adopté après de longues fluctuations de lʼusage. Lʼorthographe ackermannesque, au contraire, est biscornue et digne de son barbarisme général; elle prouve à quel point il ignore la nature et lʼhistoire de sa propre langue.
Bref,
ce Paul Ackermann est un farceur de la jeune France, et, qui pis est, un farceur tudesquisé.
il a échappé jusquʼici aux railleries des journalistes parisiens, il ne le doit sans doute quʼa son obscurité. Il y a là parmi les auteurs des feuilletons littéraires des hommes dʼesprit, maîtres passés en lʼart de la moquerie et du sarcasme. Sʼil tombe entre les mains de lʼun dʼeux, il sera houspillé tellement quʼon ne prononcera plus son nom sans rire. Il sera mis en scène aux Variétés, comme lʼont été MM. Feinaigl et le Baron de Drais et tant dʼautres; et son protecteur Cousin pourrait bien y attraper aussi quelques coups de patte.
Jʼapprends que
cet individu a été engagé pour le compte du comité académique comme son homme de peine, quʼon lui a même assigné une paye. Tant pis: cʼest de lʼargent jeté par la fenêtre. Il est inhabile à tout, même à faire une bonne copie. Le Roi ne peut pas examiner lui-même la capacité de ceux quʼon lui propose dʼemployer; cʼest à la responsabilité de celui qui a recommandé un tel freluquet.
Vous y regarderez à deux fois, mon cher Bœckh, avant de donner le rôle principal à
un étranger nouveau venu, un jeune homme sans considération, un écolier échappé trop tôt de son collège. Si cela se fait, le Comité aura abdiqué par le fait, et Paul Ackermann sera le vrai éditeur des Œuvres de Frédéric II. Conspué en France, il se vantera de sa haute dignité, obtenue au fin fond de lʼAllemagne, et il est à prévoir ce que le public en dira.
La généreuse intention
de notre Roi magnanime dʼériger un monument à la gloire de son grand prédécesseur par une édition classique de ses Œuvres, et de proclamer par le même acte la liberté de la pensée, a été accueillie partout avec transport. Mais si lʼexécution ne répond pas à lʼattente, le jugement de lʼEurope éclairée sera, soyez-en sûr, très-sévère, et la critique sʼadressera principalement à vous, puisque vous avez présidé aux délibérations. Pour moi, à cette époque jʼespère mʼêtre déjà soustrait à la solidarité.
Vous, dʼaccord avec vos collègues, persistez dans votre interprétation de lʼordre royal du Cabinet qui autorise ma coopération; de mon côté je persiste dans la mienne. Il ne servirait à rien de renouveler cette dispute. Il y a un moyen très-simple de sortir du dilemme: on sollicite une déclaration authentique auprès de
la même autorité dont lʼordre est émané. Mais je nʼai pas encore jugé à propos de faire cette demarche.
Vous mʼaviez déjà proposé dans
votre lettre du 30 Avril 1841 dʼécrire une introduction générale au recueil des Œuvres de Frédéric II. La situation nʼétant pas essentiellement changée depuis, je peux me référer à la réponse contenue dans ma lettre du 9 Mai de la même année. Dans votre lettre du 9 Mai 1842 vous revenez au même sujet, et vous semblez supposer lʼapprobation royale. Cependant lʼordre du Cabinet nʼen dit rien, et quoique jʼaie eu depuis plusieurs fois lʼhonneur de faire ma cour au Roi, Sa Majesté ne mʼen a pas parlé. Il sera donc plus convenable dʼattendre respectueusement les ordres du Roi, que de vouloir anticiper les intentions de Sa Majesté au risque de se tromper.
A mon avis
cette introduction générale devra être une espèce de biographie littéraire; elle devra caractériser le grand roi comme historien, comme poète et comme philosophe. Je pense quʼoutre cela il faudra une introduction spéciale aux écrits historiques. Cette tâche est dévolue à lʼhistoriographe de la monarchie qui, assurément, ne se laissera pas enlever une si belle occasion de faire honneur à ses fonctions.
Je vous ai prié de me communiquer les procès-verbaux des séances que le Comité a tenues depuis mon départ de
Berlin. Vous me les refusez sous un prétexte que je ne comprends pas. Il en résulte que je suis dans lʼignorance complète de tout ce que le Comité a fait depuis quatorze mois. Par la nomination du Roi je suis membre de ce collège, jʼy ai voix délibérative, droit de suffrage. Mon absence nʼy fait pas la moindre différence, puisquʼelle est involontaire et motivée par mes devoirs comme professeur. Vous me mettez dans lʼimpossibilité dʼexercer ce droit, vous mʼexcluez arbitrairement, et jʼaurais lʼair dʼy consentir si je ne protestais pas contre de tels procédés.
Veuillez agréer, très-cher Collègue, lʼassurance de ma considération très-distinguée.
Votre très-humble et très-obéissant
serviteur
A. W. de Schlegel
Bonn, le 29 Oct. 1842

A propos, que devient notre thème dʼarithmétique? Je mʼattendais à une réfutation, qui nʼest point arrivée. Si vous avez calculé juste, mon erreur est bien grave, de nʼavoir vu que
douze volumes où il y a des matériaux pour trente.
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