• Amable-Guillaume-Prosper Brugière de Barante to August Wilhelm von Schlegel

  • Place of Dispatch: La Roche-sur-Yon (Napoléon) · Place of Destination: Unknown · Date: 25. Juli [1811]
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: Amable-Guillaume-Prosper Brugière de Barante
  • Recipient: August Wilhelm von Schlegel
  • Place of Dispatch: La Roche-sur-Yon (Napoléon)
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 25. Juli [1811]
  • Notations: Datum (Jahr) sowie Absendeort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 220‒221.
  • Incipit: „[1] voilà longtems, monsieur, que je voulais vous écrire – jʼavais à répondre à une lettre fort aimable de vous – [...]“
    Manuscript
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: APP2712-Bd-6
  • Classification Number: Mscr.Dresd.App.2712,B,21,5
  • Number of Pages: 3 S. auf Doppelbl., hs. m. Paraphe
  • Format: 17,9 x 11,5 cm
[1] voilà longtems, monsieur, que je voulais vous écrire – jʼavais à répondre à une lettre fort aimable de vous – je regrette bien vivement que le cours des choses nous sépare tellement lʼun de lʼautre – on ne retrouve pas dans le pays de france et pas beaucoup dans les autres, lʼoccasion dʼéchanger ses idées et ses connaissances avec autant de profit et dʼagrément et jʼai grand peur en vivant separé de lʼatmosphère où vous vivez de tomber dans la paresse et la médiocrité qui me déplairont encore plus dans moi que dans les autres. – il faut que je profite du moment où je suis encore dʼassez près la trace des idées pour veiller à la publication de votre livre – jʼy toucherai le moins possible et tout le changement que jʼy voudrais faire, cʼest de préparer quelquefois les choses pour ne pas trop effaroucher les gens qui ont peur de ce qui ne leur a pas été dit au collège, et pour leur montrer que même quand vous nʼavez pas raison entièrement, vous avez cependant un point de vue juste dʼun certain coté. en tout jʼaime mieux que la critique soit le récit des impressions quʼon éprouve, quʼun devellopement dogmatique de principes. [2] et il me semble que vous pensez ainsi. – cependant il y a un chapitre où je trouve que vous avez un peu pour braver lʼopinion générale qui est exagérée cherché à démontrer trop méthodiquement contre elle. vous présentez toujours shakespeare comme un artiste plus habile quʼinspiré. et il mʼa toujours plu comme lʼexpression naïve et forte du tems où il vivait. je nʼai jamais trouvé en lui aucun calcul, dans la forme générale de ses drames, elle est dʼinstinct, ce me semble. et puis, je crois quʼon ne peut pas proposer ni lui, ni les illustres de la littérature gothique, pour classiques, pour types dʼimitation. – tous les tems modernes, tout ce qui dérive immédiatement de la race des peuples de notre europe, porte un caractère de force, dʼindépendance, et dʼindividualité. dans la politique nous voyons, lʼhonneur, le sentiment de ses droits, la force de la famille, les capitulations avec les souverains, tandis que dans lʼantique, cʼest le dévouement à la patrie, cʼest lʼidée constante de la république et de la communauté – si nous passions aux beaux arts, nous verrions les uns ambitieux de grandeur, ne cherchant point la régularité, ne se livrant jamais à la copie et à lʼimitation; et dans lʼantiquité lʼharmonie, le repos, la symétrie. cʼest surtout lʼarchitecture qui est le plus à considérer – parce que de tous les arts cʼest celui qui revèle le mieux le caractère des peuples, car il tient immédiatement à leurs mœurs, et nʼayant point à imiter la nature [3] il est plus indépendant – je crois donc que la vie moderne était pleine de force, dʼaudace, dʼoriginalité enfin de tout ce qui résulte de lʼhomme peu modifié par les autres hommes, au contraire la vie antique se composait dʼimpressions communes entre tous, dʼharmonie entre les esprits et les volontés; un temple grec, une tragédie grecque était la production du peuple à qui un artiste servait dʼinstrument et dʼorgane.– tout sʼimitait, tout se ressemblait non par manque dʼinspiration, mais parceque tous étaient inspirés à peu près de même. aussi quand cette littérature grecque arriva dans notre europe, on la trouva merveilleusement commode, elle avait des formes assez arrêtées, elle se composait dʼidées qui nʼavaient rien de bizarre, ni dʼexcentrique – tout pouvait y servir de type. lʼon manquait de guide, il nʼy avait que les hommes dʼun génie merveilleux qui pussent sʼen passer. et lʼon se jetta dans le système classique qui était naturel, chez les grecs et factice chez nous. pour en revenir à shakespeare, il a été si fort quʼil a tué en angleterre pour toujours la tragédie calquée sur lʼantique, et si individuel quʼil nʼa pu servir de guide à personne et quʼil sera toujours le seul.
cependant je ne veux pas du tout me mêler de changer vos opinions, et je nʼexprime ici que le regret de ne pouvoir pas en causer avec vous – je ne mʼaviserai jamais de mettre mes idées au lieu des vôtres – peut être si vous le permettez, je placerai quelques notes – du reste ce que vous dites est vrai. le texte est souvent moins éloigné des tournures françaises, que la traduction.
nicolle a le manuscrit, il le trouve encore bien indéchiffrable et je lʼai engagé à obtenir la permission de soumettre le livre à la censure, non [4] point en masse, mais feuille à feuille à mesure quʼil sʼimprimera.
je serais bien curieux de vos recherches sur les poësies qui ont précédé les romans; cela est comme cela chez nous; les troubadours sont du 12e siècle; les romans du 13eme; et ils sont un mélange dʼun souvenir des tems plus forte et plus héroïques, melé avec les mœurs dʼalors qui tournaient à lʼélégance. – si vous publiez quelque chose sur ce sujet, je vous prie de ne pas mʼoublier.
je suis avec un parfait dévouement, monsieur,
votre très humble et très obeissant serviteur
Pr.[osper] B.[arante]
[Napoléon] 25 juillet [1811]
[1] voilà longtems, monsieur, que je voulais vous écrire – jʼavais à répondre à une lettre fort aimable de vous – je regrette bien vivement que le cours des choses nous sépare tellement lʼun de lʼautre – on ne retrouve pas dans le pays de france et pas beaucoup dans les autres, lʼoccasion dʼéchanger ses idées et ses connaissances avec autant de profit et dʼagrément et jʼai grand peur en vivant separé de lʼatmosphère où vous vivez de tomber dans la paresse et la médiocrité qui me déplairont encore plus dans moi que dans les autres. – il faut que je profite du moment où je suis encore dʼassez près la trace des idées pour veiller à la publication de votre livre – jʼy toucherai le moins possible et tout le changement que jʼy voudrais faire, cʼest de préparer quelquefois les choses pour ne pas trop effaroucher les gens qui ont peur de ce qui ne leur a pas été dit au collège, et pour leur montrer que même quand vous nʼavez pas raison entièrement, vous avez cependant un point de vue juste dʼun certain coté. en tout jʼaime mieux que la critique soit le récit des impressions quʼon éprouve, quʼun devellopement dogmatique de principes. [2] et il me semble que vous pensez ainsi. – cependant il y a un chapitre où je trouve que vous avez un peu pour braver lʼopinion générale qui est exagérée cherché à démontrer trop méthodiquement contre elle. vous présentez toujours shakespeare comme un artiste plus habile quʼinspiré. et il mʼa toujours plu comme lʼexpression naïve et forte du tems où il vivait. je nʼai jamais trouvé en lui aucun calcul, dans la forme générale de ses drames, elle est dʼinstinct, ce me semble. et puis, je crois quʼon ne peut pas proposer ni lui, ni les illustres de la littérature gothique, pour classiques, pour types dʼimitation. – tous les tems modernes, tout ce qui dérive immédiatement de la race des peuples de notre europe, porte un caractère de force, dʼindépendance, et dʼindividualité. dans la politique nous voyons, lʼhonneur, le sentiment de ses droits, la force de la famille, les capitulations avec les souverains, tandis que dans lʼantique, cʼest le dévouement à la patrie, cʼest lʼidée constante de la république et de la communauté – si nous passions aux beaux arts, nous verrions les uns ambitieux de grandeur, ne cherchant point la régularité, ne se livrant jamais à la copie et à lʼimitation; et dans lʼantiquité lʼharmonie, le repos, la symétrie. cʼest surtout lʼarchitecture qui est le plus à considérer – parce que de tous les arts cʼest celui qui revèle le mieux le caractère des peuples, car il tient immédiatement à leurs mœurs, et nʼayant point à imiter la nature [3] il est plus indépendant – je crois donc que la vie moderne était pleine de force, dʼaudace, dʼoriginalité enfin de tout ce qui résulte de lʼhomme peu modifié par les autres hommes, au contraire la vie antique se composait dʼimpressions communes entre tous, dʼharmonie entre les esprits et les volontés; un temple grec, une tragédie grecque était la production du peuple à qui un artiste servait dʼinstrument et dʼorgane.– tout sʼimitait, tout se ressemblait non par manque dʼinspiration, mais parceque tous étaient inspirés à peu près de même. aussi quand cette littérature grecque arriva dans notre europe, on la trouva merveilleusement commode, elle avait des formes assez arrêtées, elle se composait dʼidées qui nʼavaient rien de bizarre, ni dʼexcentrique – tout pouvait y servir de type. lʼon manquait de guide, il nʼy avait que les hommes dʼun génie merveilleux qui pussent sʼen passer. et lʼon se jetta dans le système classique qui était naturel, chez les grecs et factice chez nous. pour en revenir à shakespeare, il a été si fort quʼil a tué en angleterre pour toujours la tragédie calquée sur lʼantique, et si individuel quʼil nʼa pu servir de guide à personne et quʼil sera toujours le seul.
cependant je ne veux pas du tout me mêler de changer vos opinions, et je nʼexprime ici que le regret de ne pouvoir pas en causer avec vous – je ne mʼaviserai jamais de mettre mes idées au lieu des vôtres – peut être si vous le permettez, je placerai quelques notes – du reste ce que vous dites est vrai. le texte est souvent moins éloigné des tournures françaises, que la traduction.
nicolle a le manuscrit, il le trouve encore bien indéchiffrable et je lʼai engagé à obtenir la permission de soumettre le livre à la censure, non [4] point en masse, mais feuille à feuille à mesure quʼil sʼimprimera.
je serais bien curieux de vos recherches sur les poësies qui ont précédé les romans; cela est comme cela chez nous; les troubadours sont du 12e siècle; les romans du 13eme; et ils sont un mélange dʼun souvenir des tems plus forte et plus héroïques, melé avec les mœurs dʼalors qui tournaient à lʼélégance. – si vous publiez quelque chose sur ce sujet, je vous prie de ne pas mʼoublier.
je suis avec un parfait dévouement, monsieur,
votre très humble et très obeissant serviteur
Pr.[osper] B.[arante]
[Napoléon] 25 juillet [1811]
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