• August Wilhelm von Schlegel to Auguste Louis de Staël-Holstein

  • Place of Dispatch: Stockholm · Place of Destination: Unknown · Date: 29.01.1813
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Auguste Louis de Staël-Holstein
  • Place of Dispatch: Stockholm
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 29.01.1813
  • Notations: Absendeort erschlossen.
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 258‒261.
  • Incipit: „[Stockholm] ce 29 Janv[ier] [18]13
    Vous mʼavez fort agréablemeut surpris, mon cher Auguste, en mʼécrivant une lettre en suédois, dont au jugement [...]“
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[Stockholm] ce 29 Janv[ier] [18]13
Vous mʼavez fort agréablemeut surpris, mon cher Auguste, en mʼécrivant une lettre en suédois, dont au jugement des connoisseurs le style est parfait. Jʼai failli pleurer dʼaise quand jʼai vu ce mot påminnelse et autres élégances scandinaves. Je reconnois bien là votre noble origine, le véritable sang dʼOdin: Cependant permettez moi, qui nʼai pas lʼhonneur de descendre de ce vieux payen borgne, qui nʼai pas comme vous sucé avec le lait maternal ce langage divin qui se parle dans Valhalla, simple mortel et roturier que je suis, de vous repondre dans une de nos langues usuelles.
Vous avez des chagrins, mon cher Auguste, et par contrecoup vos dernieres lettres ont aussi été un grand sujet dʼaffliction pour votre mere.
Que vous dirai-je? La vie est arrangée comme cela. La plupart des fois on nʼa que le choix entre lʼennui de lʼindifférence, et les déchirements de la sensibilité, entre les charmes dʼun attachement quʼon ne peut pas faire sanctionner, et avec lequel presque toujours toutes les circonstances, toutes les autres relations sont en guerre ouverte, et les désenchantements dʼun mariage conforme aux convenances.
Cependant ne rejetons pas tout sur la destinée humaine. Cʼest un mélange de frivolité et de sérieux qui met le plus souvent lʼexistence en désaccord. Lʼon sʼest engagé dans un mauvais pas par la partie legere de son caractere, et lʼon en souffre par la partie sérieuse.
Lorsquʼon ne sauroit prendre une résolution importante sans affliger une personne chérie, il y a une sorte de bonheur à ce que la décision nous soit otée dʼentre les mains, étant dictée par une impérieuse nécessité, par des obligations antérieures à toutes les autres. Vous étes vraiment dans ce cas-là: votre mere a votre promesse, elle en reclame lʼaccomplissement, vous ne pouvez pas vous séparer, peut-être pour toujours, dʼelle et de toute votre famille, dont vous étes appelé à être lʼappui.
Votre amie nʼa pas pu ignorer dès les commencements de cette liaison, que vous nʼétiez ni dans lʼâge, ni dans une situation où lʼon peut disposer de soi à son gré. Elle devoit vous considérer comme un officier en garnison, qui ne peut pas prendre son congé au milieu de la guerre, ni refuser de marcher aussitôt que son régiment en reçoit lʼordre.
Le dénoûment seroit bien moins violent si elle nʼétoit pas privée des douceurs habituelles de lʼamitié et de la société par une contrariété facheuse.
Elle mʼa écrit dernierement, et cʼest par embarras que je ne lui ai pas encore répondu. Hélas! que puis-je lui dire de consolant? Que jʼaurois prévenu cette catastrophe, si lʼon mʼen avoit cru, puisque je protestois contre tour les nouveaux adieux, et que jʼinsistois auprès de votre mere, quʼelle devoit les empêcher en cachant même à ses amis les plus intimes sa résolution, ou du moins lʼepoque ou elle vouloit lʼexécuter. Elle répondroit, quʼelle savoit bien à quel point elle se compromettoit, mais quʼelle espéroit même par là empêcher le départ de votre mere. Ce départ étoit néanmoins indispensable, cʼétoit pour ainsi dire la resurrection de lʼexistenee de votre mere et de celle de sa famille. La providence nous a bien guidés aussi dans le choix du moment. Quelques semaines plus tard toutes les voyes auroient été fermées.
Jʼaurois bien un autre genre de consolation pour votre amie: cʼest ma conviction intime que cette séparation nʼest pas irrévocable, quʼelle ne sera pas même de longue durée, et quʼaprès une navigation un peu rude vous vous retrouverez tous dans le port. Jʼai conçu de grandes espérances. Vous mʼentendez. Mais comment mʼouvrir à elle là dessus, et dans la complette ignorance de tout ce qui peut y influer où elle se trouve, comment lui rendre mes idées vraisemblables?
Et vous aussi, vous ne savez quʼune très petite partie de tout ce quʼil importe à savoir à cet égard. Lʼatmosphère où vous vivez, chargé de brouillards épais quʼaucun vent frais et solubre ne dissipe, ce climat méphitique vous étouffe. Venez respirer un air pur et serein sous lʼinfluence de lʼétoile polaire, et lʼaspect du monde aussi-tôt aura changé pour vous, et vous revivrez à tous les genres dʼespérance.
Vous exprimez un grand dégoût de la vie, un découragement universel. Cʼest de bien bonne heure, et permettez moi de vous le dire: vous nʼen avez pas encore le droit. Il faut avoir fait ses preuves, il faut avoir employé ses facultés dʼune maniere utile pour les autres, honorable pour soi, avant dʼen venir là. On est le maître de ne pas se soucier du prix de la course, mais il faut fournir la carriere, autrement on vous diroit que cʼest par indolence que vous le refusez. Jʼai senti souvent des atteintes de cette maladie; croyez moi, le seul remède est une activité energique. Il est un élément que je cherche en vain et que je regrette dans lʼexcellente composition de vos qualités morales: cʼest lʼambition, sʼentend une ambition pure et noble. Comment? vous ne profiteriez pas de tant dʼavantages que vous donnent vos moyens personnels, votre naissance, votre fortune, votre éducation et lʼillustration de votre mere et de votre grand pere? Des circonstances particulieres vous ont déjà fait perdre beaucoup de tems, les circonstances générales sont telles quʼil faut ou vous condamner à la nullité éternelle de votre existence, ou saisir le moment, vous lancer tout entier, et aspirer fort haut.
Prenez garde de ne pas nous rappeler dans les tableaux du dernier jugement ces ombres étendues dans leurs cercueils encore toutes assoupies, et qui au son de la trompette de lʼArchange ont lʼair de dire: Quel épouvantable fracas! oh laissez nous donc dormir!
Votre mere ne vous a engagé à rien dʼavance, elle vous a seulement préparé les voyes. Mais il faut la rejoindre au plutôt; au printems toute la scène sera changée, en supposant même que la difficulté du voyage ne fut pas devenue insurmontable.
Je ne puis en aucune façon conseiller à Madame votre mere de différer son voyage ultérieur, le grand intérêt de son séjour actuel sera fini alors. Ajoutez à tout cela quʼil est très problematique, que vous puissiez sans les inconvénients les plus graves, répéter cette course que vous aviez faite lors de lʼarrivée dʼUg.[inet], ou quʼon vous en laisse même la possibilité.
Albert et moi, nous nous considérons déjà comme camarades, car je compte aussi faire une campagne à ma façon. Je vous expliquerai cela lorsque jʼaurai le plaisir de vous revoir.
Après avoir éprouvé tant de desengaños dans ma vie, dʼabord dans lʼamour, ensuite dans lʼamitié, me trouvant isolé sur le declin de lʼâge sans autre fortune quʼune petite célébrité littéraire, je me sens encore animé par un seul désir, cʼest celui dʼinscrire mon nom comme exception honorable dans lʼhistoire ignominieuse de ma patrie. Si jʼéchoue là dedans comme dans le reste, il sera tems de se retirer du monde, et nous nous écrierons peut-être ensemble:
Vanitas vanitatum!
Adieu, mon cher Auguste, mille tendres amitiés.

Ayez la bonté de me donner des nouvelles de ma bibliotheque. Jʼavois prié Cachet de lʼexemballer bien soigneusement, et de lʼenvoyer au libraire Burgdörfer à Berne par des rouliers pour la garder en dépôt.
Je suis bien aise de vous dire que jʼai beaucoup de lecteurs dans ce pays-ci. Il vient de paroître à Upsala une contrefaction de mes poésies, tirée à 2000 exemplaires.
Mes compliments empressés à Mssrs. Favre et Chateauvieux.
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[Stockholm] ce 29 Janv[ier] [18]13
Vous mʼavez fort agréablemeut surpris, mon cher Auguste, en mʼécrivant une lettre en suédois, dont au jugement des connoisseurs le style est parfait. Jʼai failli pleurer dʼaise quand jʼai vu ce mot påminnelse et autres élégances scandinaves. Je reconnois bien là votre noble origine, le véritable sang dʼOdin: Cependant permettez moi, qui nʼai pas lʼhonneur de descendre de ce vieux payen borgne, qui nʼai pas comme vous sucé avec le lait maternal ce langage divin qui se parle dans Valhalla, simple mortel et roturier que je suis, de vous repondre dans une de nos langues usuelles.
Vous avez des chagrins, mon cher Auguste, et par contrecoup vos dernieres lettres ont aussi été un grand sujet dʼaffliction pour votre mere.
Que vous dirai-je? La vie est arrangée comme cela. La plupart des fois on nʼa que le choix entre lʼennui de lʼindifférence, et les déchirements de la sensibilité, entre les charmes dʼun attachement quʼon ne peut pas faire sanctionner, et avec lequel presque toujours toutes les circonstances, toutes les autres relations sont en guerre ouverte, et les désenchantements dʼun mariage conforme aux convenances.
Cependant ne rejetons pas tout sur la destinée humaine. Cʼest un mélange de frivolité et de sérieux qui met le plus souvent lʼexistence en désaccord. Lʼon sʼest engagé dans un mauvais pas par la partie legere de son caractere, et lʼon en souffre par la partie sérieuse.
Lorsquʼon ne sauroit prendre une résolution importante sans affliger une personne chérie, il y a une sorte de bonheur à ce que la décision nous soit otée dʼentre les mains, étant dictée par une impérieuse nécessité, par des obligations antérieures à toutes les autres. Vous étes vraiment dans ce cas-là: votre mere a votre promesse, elle en reclame lʼaccomplissement, vous ne pouvez pas vous séparer, peut-être pour toujours, dʼelle et de toute votre famille, dont vous étes appelé à être lʼappui.
Votre amie nʼa pas pu ignorer dès les commencements de cette liaison, que vous nʼétiez ni dans lʼâge, ni dans une situation où lʼon peut disposer de soi à son gré. Elle devoit vous considérer comme un officier en garnison, qui ne peut pas prendre son congé au milieu de la guerre, ni refuser de marcher aussitôt que son régiment en reçoit lʼordre.
Le dénoûment seroit bien moins violent si elle nʼétoit pas privée des douceurs habituelles de lʼamitié et de la société par une contrariété facheuse.
Elle mʼa écrit dernierement, et cʼest par embarras que je ne lui ai pas encore répondu. Hélas! que puis-je lui dire de consolant? Que jʼaurois prévenu cette catastrophe, si lʼon mʼen avoit cru, puisque je protestois contre tour les nouveaux adieux, et que jʼinsistois auprès de votre mere, quʼelle devoit les empêcher en cachant même à ses amis les plus intimes sa résolution, ou du moins lʼepoque ou elle vouloit lʼexécuter. Elle répondroit, quʼelle savoit bien à quel point elle se compromettoit, mais quʼelle espéroit même par là empêcher le départ de votre mere. Ce départ étoit néanmoins indispensable, cʼétoit pour ainsi dire la resurrection de lʼexistenee de votre mere et de celle de sa famille. La providence nous a bien guidés aussi dans le choix du moment. Quelques semaines plus tard toutes les voyes auroient été fermées.
Jʼaurois bien un autre genre de consolation pour votre amie: cʼest ma conviction intime que cette séparation nʼest pas irrévocable, quʼelle ne sera pas même de longue durée, et quʼaprès une navigation un peu rude vous vous retrouverez tous dans le port. Jʼai conçu de grandes espérances. Vous mʼentendez. Mais comment mʼouvrir à elle là dessus, et dans la complette ignorance de tout ce qui peut y influer où elle se trouve, comment lui rendre mes idées vraisemblables?
Et vous aussi, vous ne savez quʼune très petite partie de tout ce quʼil importe à savoir à cet égard. Lʼatmosphère où vous vivez, chargé de brouillards épais quʼaucun vent frais et solubre ne dissipe, ce climat méphitique vous étouffe. Venez respirer un air pur et serein sous lʼinfluence de lʼétoile polaire, et lʼaspect du monde aussi-tôt aura changé pour vous, et vous revivrez à tous les genres dʼespérance.
Vous exprimez un grand dégoût de la vie, un découragement universel. Cʼest de bien bonne heure, et permettez moi de vous le dire: vous nʼen avez pas encore le droit. Il faut avoir fait ses preuves, il faut avoir employé ses facultés dʼune maniere utile pour les autres, honorable pour soi, avant dʼen venir là. On est le maître de ne pas se soucier du prix de la course, mais il faut fournir la carriere, autrement on vous diroit que cʼest par indolence que vous le refusez. Jʼai senti souvent des atteintes de cette maladie; croyez moi, le seul remède est une activité energique. Il est un élément que je cherche en vain et que je regrette dans lʼexcellente composition de vos qualités morales: cʼest lʼambition, sʼentend une ambition pure et noble. Comment? vous ne profiteriez pas de tant dʼavantages que vous donnent vos moyens personnels, votre naissance, votre fortune, votre éducation et lʼillustration de votre mere et de votre grand pere? Des circonstances particulieres vous ont déjà fait perdre beaucoup de tems, les circonstances générales sont telles quʼil faut ou vous condamner à la nullité éternelle de votre existence, ou saisir le moment, vous lancer tout entier, et aspirer fort haut.
Prenez garde de ne pas nous rappeler dans les tableaux du dernier jugement ces ombres étendues dans leurs cercueils encore toutes assoupies, et qui au son de la trompette de lʼArchange ont lʼair de dire: Quel épouvantable fracas! oh laissez nous donc dormir!
Votre mere ne vous a engagé à rien dʼavance, elle vous a seulement préparé les voyes. Mais il faut la rejoindre au plutôt; au printems toute la scène sera changée, en supposant même que la difficulté du voyage ne fut pas devenue insurmontable.
Je ne puis en aucune façon conseiller à Madame votre mere de différer son voyage ultérieur, le grand intérêt de son séjour actuel sera fini alors. Ajoutez à tout cela quʼil est très problematique, que vous puissiez sans les inconvénients les plus graves, répéter cette course que vous aviez faite lors de lʼarrivée dʼUg.[inet], ou quʼon vous en laisse même la possibilité.
Albert et moi, nous nous considérons déjà comme camarades, car je compte aussi faire une campagne à ma façon. Je vous expliquerai cela lorsque jʼaurai le plaisir de vous revoir.
Après avoir éprouvé tant de desengaños dans ma vie, dʼabord dans lʼamour, ensuite dans lʼamitié, me trouvant isolé sur le declin de lʼâge sans autre fortune quʼune petite célébrité littéraire, je me sens encore animé par un seul désir, cʼest celui dʼinscrire mon nom comme exception honorable dans lʼhistoire ignominieuse de ma patrie. Si jʼéchoue là dedans comme dans le reste, il sera tems de se retirer du monde, et nous nous écrierons peut-être ensemble:
Vanitas vanitatum!
Adieu, mon cher Auguste, mille tendres amitiés.

Ayez la bonté de me donner des nouvelles de ma bibliotheque. Jʼavois prié Cachet de lʼexemballer bien soigneusement, et de lʼenvoyer au libraire Burgdörfer à Berne par des rouliers pour la garder en dépôt.
Je suis bien aise de vous dire que jʼai beaucoup de lecteurs dans ce pays-ci. Il vient de paroître à Upsala une contrefaction de mes poésies, tirée à 2000 exemplaires.
Mes compliments empressés à Mssrs. Favre et Chateauvieux.
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