• August Wilhelm von Schlegel to Eugène Burnouf

  • Place of Dispatch: Bonn · Place of Destination: Unknown · Date: 09.11.1834
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Eugène Burnouf
  • Place of Dispatch: Bonn
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 09.11.1834
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 362738858
  • Bibliography: Burnouf, Eugène: Choix de lettres d’Eugène Burnouf 1825–1852. Suivi d’une bibliographie. Paris 1891, S. 505‒508.
  • Incipit: „[1] Bonn, 9 novembre 1834.
    My dear Sir,
    Vous me dites des choses beaucoup trop flatteuses que je ne saurais accepter. Si le [...]“
    Manuscript
  • Provider: Bibliothèque nationale de France
  • Classification Number: NAF 1060, ff 208-209
  • Number of Pages: 2 S., hs. m. U.
[1] Bonn, 9 novembre 1834.
My dear Sir,
Vous me dites des choses beaucoup trop flatteuses que je ne saurais accepter. Si le mot de reconnaissance était applicable à nos relations dʼamitié, au moins lʼobligation serait mutuelle. Je mʼinstruis autant par vos entretiens que vous pouvez le faire par les miens. Je mʼintéresse vivement à lʼavancement et au succès de vos travaux savants; vous faites de même à lʼégard des miens, et nous nous empressons lʼun et lʼautre dʼen signaler le mérite au public. La seule différence est que vous êtes jeune et avez un bel avenir devant vous, tandis que je suis un vétéran et lʼétais déjà ailleurs lorsque je suis entré, il y a vingt ans, dans cette nouvelle carrière.
Il vous sera peut-être agréable dʼapprendre que notre célèbre philosophe Schelling, qui ne se communique guère au public, a parlé de vous avec de grands éloges. Probablement vous nʼavez pas cet écrit sous la main. Je vous ai transcrit le passage.
Jʼai lu lʼarticle de Fr.Windischmarm, qui est assez bien fait; lʼobservation la plus importante que jʼy aie trouvée est celle sur lʼidentité des verbes et dhâ en zend. Jʼavais anticipé cette remarque à lʼégard du latin dans mon commentaire de la Bhagavad-Gitâ, qui est imprimé, mais pas encore publié. Je vous avoue que jʼai toujours eu de la peine à concevoir quʼen zend, donner signifiât créer. Mais ceci change [2] la thèse. En grec aussi, le nom de la divinité est dérivé du verbe τίθημι.
Mes observations particulières sont peu de chose, mais jʼoserai vous donner un conseil général. Ne forcez jamais lʼétymologie. Les rapprochements hasardés nuisent au crédit de ceux qui sont légitimes. Nous ne pouvons pas rendre compte de la dérivation de tous les mots dans les langues dont nous possédons tous les trésors et même des monuments de diverses époques de leur développement. A plus forte raison cela doit arriver souvent dans une langue dont nous nʼavons quʼun fragment. Il faut alors tâcher dʼéclaircir le sens par la comparaison des passages parallèles; sʼil ne sʼen trouve point, il faut sʼen tenir à la tradition. Rien nʼest plus trompeur que de courir après lʼidentité des significations; par exemple, la main peut être envisagée et, par conséquent, désignée de bien des manières différentes. Au contraire, lorsque lʼidentité des mots est bien constatée, en ayant égard aux mutations régulières, la diversité des significations ne me fait pas hésiter le moins du monde. Le sanscrit carna est bien positivement identique avec le latin cornu (anciennement de la seconde déclinaison), et avec le gothique haurn (cʼest la diphtongue brève qui répond à lʼomicron), aujourdʼhui horn; sanscrit cringa; francique hringa; aujourdʼhui ring, cercle, anneau; carpara, corpor-is; etc., etc. Jʼai fait, dans ma Bibl. ind., cette observation à lʼégard des animaux, où ce phénomène est fort étonnant.
[3] Le passage dʼHérodote est des plus importants; il pourrait favoriser lʼhypothèse que lʼorthographe des livres de Zoroastre eût été rajeunie du temps des Sassanides. Car, généralement parlant, lʼévaporation de lʼS final doit être postérieure à la prononciation distincte. Les Persans auxquels Hérodote avait entendu articuler leurs noms étaient sans doute venus de la Susiane, de la Médie et de la Perse proprement dite; les livres de Zoroastre, au contraire, auront été rédigés en Bactrie; soit! Il est toutefois singulier de voir dans des livres sacrés un dialecte plus moderne que le langage classique du pays où la religion est établie. Dʼordinaire, dans les livres sacrés des divers peuples, on a affecté et soigneusement conservé les formes surannées, et avec grande raison, parce que cela leur donne un air vénérable et mystérieux. Il serait important de constater si lʼS final du nominatif masculin se trouve dans les inscriptions cunéiformes.
Je vous suis bien reconnaissant de la peine que vous prenez de rassembler les cahiers du Journal asiatique qui me manquent. Si quelques-uns ne se trouvent pas séparément, il faudra que jʼachète quelques volumes entiers. Cʼest un soin de bibliothèque pour ne pas avoir un livre dépareillé; car beaucoup de cahiers sont totalement vides pour moi. Mais il y a quelque chose de plus grave: dans une revue de ma bibliothèque, jʼai découvert que je nʼai reçu de votre magnifique Vendidad lithographié que les livraisons I-IV, ensuite VII et VIII. Si vous [4] mʼavez, en effet, envoyé les livraisons V et VI, elles doivent être restées en chemin. Chez moi, rien ne peut se perdre. Ne trouveriez-vous pas dans vos notes par quelle voie vous les avez expédiées, pour prendre des informations? Peut-on acheter séparément les livraisons? Je serais désolé de ne pas posséder ce beau monument complet.
Voici un extrait dʼune lettre intéressante. Jʼignore si le baron Schilling a rendu compte au public de sa riche trouvaille. Cependant, je ne suis pas autorisé à faire imprimer sa lettre, autrement elle serait bien placée dans le Journal asiatique.
Je vous envoie aussi mes épigrammes sur Bopp, que je nʼai pas pu retrouver lorsque vous étiez chez moi. Rosen mʼa envoyé un second commentaire de la Bhagavad-Gitâ, probablement le seul exemplaire en Europe. Je lʼai déjà lu en grande partie; cʼest un fatras de paroles abstruses; mais il faut fouiller partout.
Mon mémoire sur lʼorigine des Hindous est imprimé à Londres, et le volume des Transactions de la Société royale de littérature, où il est inséré, doit être arrivé à Paris. Nʼoubliez pas que cet écrit a été rédigé il y a trois ans, que je nʼy ai depuis ajouté que quelques notes et quʼil a été envoyé à Londres avant que votre Commentaire ne me fût parvenu.
Lassen vous salue fraternellement et vous écrira un de ces jours.
Mille amitiés. Tout à vous,
A.-W. de Schlegel.

[Extrait de la Préface de Schelling à lʼouvrage de Cousin sur la Philosophie française et allemande; p. XXVIII.]
..... Il est vraiment fâcheux que le ton et les manières des discordes politiques passent aussi dans la littérature; mais cela même ne peut pas détruire le vrai génie scientifique en France, où, au milieu de tous les bouleversements, les études les plus profondes et les plus solides conservent toujours leur mérite et où, pour prendre un exemple dans un domaine étranger à la philosophie, quoique non sans importance pour les recherches philosophiques, il surgit encore des hommes comme Eugène Burnouf.
[1] Bonn, 9 novembre 1834.
My dear Sir,
Vous me dites des choses beaucoup trop flatteuses que je ne saurais accepter. Si le mot de reconnaissance était applicable à nos relations dʼamitié, au moins lʼobligation serait mutuelle. Je mʼinstruis autant par vos entretiens que vous pouvez le faire par les miens. Je mʼintéresse vivement à lʼavancement et au succès de vos travaux savants; vous faites de même à lʼégard des miens, et nous nous empressons lʼun et lʼautre dʼen signaler le mérite au public. La seule différence est que vous êtes jeune et avez un bel avenir devant vous, tandis que je suis un vétéran et lʼétais déjà ailleurs lorsque je suis entré, il y a vingt ans, dans cette nouvelle carrière.
Il vous sera peut-être agréable dʼapprendre que notre célèbre philosophe Schelling, qui ne se communique guère au public, a parlé de vous avec de grands éloges. Probablement vous nʼavez pas cet écrit sous la main. Je vous ai transcrit le passage.
Jʼai lu lʼarticle de Fr.Windischmarm, qui est assez bien fait; lʼobservation la plus importante que jʼy aie trouvée est celle sur lʼidentité des verbes et dhâ en zend. Jʼavais anticipé cette remarque à lʼégard du latin dans mon commentaire de la Bhagavad-Gitâ, qui est imprimé, mais pas encore publié. Je vous avoue que jʼai toujours eu de la peine à concevoir quʼen zend, donner signifiât créer. Mais ceci change [2] la thèse. En grec aussi, le nom de la divinité est dérivé du verbe τίθημι.
Mes observations particulières sont peu de chose, mais jʼoserai vous donner un conseil général. Ne forcez jamais lʼétymologie. Les rapprochements hasardés nuisent au crédit de ceux qui sont légitimes. Nous ne pouvons pas rendre compte de la dérivation de tous les mots dans les langues dont nous possédons tous les trésors et même des monuments de diverses époques de leur développement. A plus forte raison cela doit arriver souvent dans une langue dont nous nʼavons quʼun fragment. Il faut alors tâcher dʼéclaircir le sens par la comparaison des passages parallèles; sʼil ne sʼen trouve point, il faut sʼen tenir à la tradition. Rien nʼest plus trompeur que de courir après lʼidentité des significations; par exemple, la main peut être envisagée et, par conséquent, désignée de bien des manières différentes. Au contraire, lorsque lʼidentité des mots est bien constatée, en ayant égard aux mutations régulières, la diversité des significations ne me fait pas hésiter le moins du monde. Le sanscrit carna est bien positivement identique avec le latin cornu (anciennement de la seconde déclinaison), et avec le gothique haurn (cʼest la diphtongue brève qui répond à lʼomicron), aujourdʼhui horn; sanscrit cringa; francique hringa; aujourdʼhui ring, cercle, anneau; carpara, corpor-is; etc., etc. Jʼai fait, dans ma Bibl. ind., cette observation à lʼégard des animaux, où ce phénomène est fort étonnant.
[3] Le passage dʼHérodote est des plus importants; il pourrait favoriser lʼhypothèse que lʼorthographe des livres de Zoroastre eût été rajeunie du temps des Sassanides. Car, généralement parlant, lʼévaporation de lʼS final doit être postérieure à la prononciation distincte. Les Persans auxquels Hérodote avait entendu articuler leurs noms étaient sans doute venus de la Susiane, de la Médie et de la Perse proprement dite; les livres de Zoroastre, au contraire, auront été rédigés en Bactrie; soit! Il est toutefois singulier de voir dans des livres sacrés un dialecte plus moderne que le langage classique du pays où la religion est établie. Dʼordinaire, dans les livres sacrés des divers peuples, on a affecté et soigneusement conservé les formes surannées, et avec grande raison, parce que cela leur donne un air vénérable et mystérieux. Il serait important de constater si lʼS final du nominatif masculin se trouve dans les inscriptions cunéiformes.
Je vous suis bien reconnaissant de la peine que vous prenez de rassembler les cahiers du Journal asiatique qui me manquent. Si quelques-uns ne se trouvent pas séparément, il faudra que jʼachète quelques volumes entiers. Cʼest un soin de bibliothèque pour ne pas avoir un livre dépareillé; car beaucoup de cahiers sont totalement vides pour moi. Mais il y a quelque chose de plus grave: dans une revue de ma bibliothèque, jʼai découvert que je nʼai reçu de votre magnifique Vendidad lithographié que les livraisons I-IV, ensuite VII et VIII. Si vous [4] mʼavez, en effet, envoyé les livraisons V et VI, elles doivent être restées en chemin. Chez moi, rien ne peut se perdre. Ne trouveriez-vous pas dans vos notes par quelle voie vous les avez expédiées, pour prendre des informations? Peut-on acheter séparément les livraisons? Je serais désolé de ne pas posséder ce beau monument complet.
Voici un extrait dʼune lettre intéressante. Jʼignore si le baron Schilling a rendu compte au public de sa riche trouvaille. Cependant, je ne suis pas autorisé à faire imprimer sa lettre, autrement elle serait bien placée dans le Journal asiatique.
Je vous envoie aussi mes épigrammes sur Bopp, que je nʼai pas pu retrouver lorsque vous étiez chez moi. Rosen mʼa envoyé un second commentaire de la Bhagavad-Gitâ, probablement le seul exemplaire en Europe. Je lʼai déjà lu en grande partie; cʼest un fatras de paroles abstruses; mais il faut fouiller partout.
Mon mémoire sur lʼorigine des Hindous est imprimé à Londres, et le volume des Transactions de la Société royale de littérature, où il est inséré, doit être arrivé à Paris. Nʼoubliez pas que cet écrit a été rédigé il y a trois ans, que je nʼy ai depuis ajouté que quelques notes et quʼil a été envoyé à Londres avant que votre Commentaire ne me fût parvenu.
Lassen vous salue fraternellement et vous écrira un de ces jours.
Mille amitiés. Tout à vous,
A.-W. de Schlegel.

[Extrait de la Préface de Schelling à lʼouvrage de Cousin sur la Philosophie française et allemande; p. XXVIII.]
..... Il est vraiment fâcheux que le ton et les manières des discordes politiques passent aussi dans la littérature; mais cela même ne peut pas détruire le vrai génie scientifique en France, où, au milieu de tous les bouleversements, les études les plus profondes et les plus solides conservent toujours leur mérite et où, pour prendre un exemple dans un domaine étranger à la philosophie, quoique non sans importance pour les recherches philosophiques, il surgit encore des hommes comme Eugène Burnouf.
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