Jʼay reçu, mon cherissime ami, le 23 Mars votre lettre du 1 Mars de la main de cet aimable jeune homme Mr. Smith. Jamais en ma vie je nʼay vu un garçon de 15 ans de tant dʼesprit, et d'un esprit si formé et si accompli pour son age. Il a les manieres dʼun parfait homme du monde et une aptitude etonnante à ce quʼil mʼa paru pour apprendre tout ce quʼon voudra.
Je vai à Goett.[ingue] pour y apprendre la langue Persanne, me disoit il. Jʼignorai alors, sʼil y a un professeur à Goett. qui sait la langue Persane, mais je scavois quʼun enseigne cette langue parfaitement bien à Oxford. Du depuis jʼai appris quʼon a trouvé à Goett. un Professeur qui du moins apprend à Mr. Smith lʼancien Persan. Quant au moderne, il faudra aller lʼapprendre aux Indes.
En consequence de votre lettre jʼay reccommandé Mr. Smith à un des premiers professeurs de Goett.[ingue,] Mr. Heyne, qui est un des grands [2] ornements de cette université et qui me veut beaucoup de bien. Mr. Smith avoit à la verité deja une lettre pour lui, mais jʼay osé me flatter que la mienne ne sera pas super flue. Je priai Mr. Heyne de conduire ce jeune homme en tout, de lui choisir un gouverneur, du lui choisir tous se maîtres, de regler avec lui le plan de ses études. Tout cela sʼest fait et Mr. Heyne a rendu compte de tout cela au pere de ce Mr. Smith, quʼon a trouvé à Goett. aussi aimable, quʼil me lʼa paru.
Ce qui mʼa fait un bien sensible plaisir cʼest que Mr. le Professeur Heyne a eu le bonheur de trouver pour Mr. Smith un gouverneur dʼun très grand merite et dʼune reputation très decidée. Cʼest Mr. Schlegel, fils dʼun de nos premiers ecclesiastiques dʼHanovre, qui a passé deja quatre ans à Goett. et qui est pour lʼesprit, le caractere, et la multiplicité des ses connoissances un jeune homme veritablement bien rare aussi. Mr. Smith nʼauroit pas pu trouver en Allemagne und gouverneur plus digne de lʼêtre par son esprit, par ses [3] connoissances, par ses manieres et par ses vertus.
Juges donc, mon respectable ami, quelle a du être ma surprise lors que ce Mr. Schlegel arriva chez moi hier et me dit: Jʼay quitté Mr. Smith! — Il me parla du jeune homme avec la plus grande tendresse, il mʼen a fait le portrait le plus charmant. Jʼay quitté, me dit il, Mr. Smith avec mille regrets; mais comme Monsieur son pere trouve que son fils lui coûte trop à Goett., je me suis vû forcé à le quitter pour que le pere ne puisse du moins pas dire, que moi je lui coûte trop!
Ce cas mʼa paru etrange. Lʼamitié que le jeune Smith mʼa inspiré, mʼengage dʼen appeller à vous, mon excellent ami, et de vous prier de le juger. Voici une lettre que jʼai demandé hier à Mr. Schlegel; cette lettre vous mettra au fait de lʼaffaire. Si Mr. Smith le pere est un homme traitable tachés de lui faire sentir que Mr. Schlegel seroit pour son fils un tresor quʼon ne trouve guéres. Si Mr. Smith le pere ne sent pas cela, laisses cette affaire rompue, comme elle lʼest deja.
[4] Mais si pouviés procurer à ce Mr. Schlegel (qui a un desir extreme de voir Angleterre, dʼy vivre en conduisant les etudes de quelque jeune homme de merite et puis de voyager avec lui) les moyens de parvenir à son but, croyez moi, vous fairiéz un acte trés digne de vôtre sublime philanthropie. Ce Mr. Schlegel est aussi vertueux que raisonnable et bien elevé. Il a des manieres douces, une physiognomie spirituelle et il plait au premier coup dʼoeil. Il est un de nos poetes aimables. Il a fait de profondes etudes de litterature et de philosophie. Il scait plusieurs langues modernes et son but est, aprés avoir vu le monde de la maniere dont je vous parle, de devenir Prof.[esseur] en Philosophie dans quelque université dʼAllemagne. Vous mʼavés fait aimer le jeune Mr. Smith, permettés, que je vous fasse aimer à mon tour Mr. Schlegel et veuille le bon dieu que jʼy reussisse.
Tout a vous