• August Wilhelm von Schlegel to Friedrich von Gentz

  • Place of Dispatch: Stralsund · Place of Destination: Unknown · Date: 02.06.1813
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
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    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Friedrich von Gentz
  • Place of Dispatch: Stralsund
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 02.06.1813
    Printed Text
  • Provider: Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
  • OAI Id: 335973167
  • Bibliography: Krisenjahre der Frühromantik. Briefe aus dem Schlegelkreis. Hg. v. Josef Körner. Bd. 2. Der Texte zweite Hälfte. 1809‒1844. Bern u.a. ²1969, S. 263‒267.
  • Weitere Drucke: Ullrichová, Maria: Lettres de Madame de Staël conservées en Bohème. Prag 1959, S. 104‒109.
  • Incipit: „Stralsund ce 2 Juin 1813
    Me voici depuis quinze jours en Allemagne, mon cher Gentz. Jʼy suis arrivé sous de bons et [...]“
Stralsund ce 2 Juin 1813
Me voici depuis quinze jours en Allemagne, mon cher Gentz. Jʼy suis arrivé sous de bons et de grands auspices, sous ceux du Prince Royal de Suède. Mais quoiquʼil y eût déjà des nuages avant notre départ lʼhorizon sʼest furieusement obscurci après notre arrivée. Lʼarmée des alliés est repoussée depuis la Saale jusquʼà lʼOder: lʼon ne pourra pas empêcher que les forteresses ne soyent débloquées. Hambourg est pris, et occupé par ces Danois que le Ciel confonde, sous un commandant français et au nom de Napoléon. Cʼest un événement affreux et dont les suites sont incalculables aussi bien sous le rapport de lʼopinion que sous celui des moyens pécuniaires pour continuer la guerre, puisque toutes les opérations se fesaient par cette voye. Tant de bonne volonté, de zêle, de dévoûment même, non seulement est perdu, mais a été sacrifié, pour ainsi dire, de gaité de cœur. Une infinité de personnes sont compromises, et doivent risquer leur liberté et leur vie en restant ou en retournant, ou perdre leurs propriétés en émigrant, si toutefois ils ont pu le faire. Le monstre a une nouvelle occasion dʼexercer sa tyrannie sanguinaire. Cʼest un exemple funeste; rien de pire que dʼoffrir à un peuple impatient de secouer le joug des secours prématurés et peu solides; une autrefois il est à craindre que personne ne bougera. Dʼailleurs les Français, chassés pour quelques instants, par une guerre vagabonde, dʼune partie du pays entre lʼElbe et le Weser, y prennent des mesures de précaution: ils enlèvent toute la jeunesse qui aurait été prête à servir contre eux.
Dʼun autre coté, vous voyez comment va la coalition. Les Russes, après avoir montré de la persévérance dans les revers, nʼont pas su échapper aux écueils des succès, à la légèreté et à la présomption. Ils ont rallenti leurs efforts; ils ont eu lʼair pendant quelques mois, dʼavoir entierement oublié les services que la Suède leur a rendus et de ne plus se soucier de sa coopération. Jʼai trouvé Pozzo di Borgo à Carlscrona dans les premiers jours de Mai, et jʼai passé la mer avec lui. Il a beaucoup dʼesprit et de caractere mais sa mission était difficile: comment suppléer par de nouvelles promesses aux engagemens manqués, lorsquʼaucun effet ne fait preuve dʼune intention sérieuse?
Outre ce défaut de moyens, on sʼest mis en désaccord sur les mesures à prendre dans les affaires Germaniques. Jʼattribue cela uniquement à Mr. de Stein. Cʼest lui qui a baclé le traité de Breslau du 19 Mars: ce traité sʼaccorde parfaitement avec ce quʼil mʼa dit et écrit précedemment. Il veut conduire lʼAllemagne à la liberté par une voye plus despotique que celle de Napoléon, cʼest à dire quʼil voudrait accabler de coups un cheval qui a envie de courir. Le but dont Mr. de Stein depuis long-temps ne sʼest pas caché, est de jeter tous les princes allemands par la fénêtre et de transformer le Nord de lʼAllemagne en une seule monarchie. Le Midi déviendra ensuite ce quʼil pourra, ou se transformera de la même manière. „Il faut de lʼunité et de la force à lʼAllemagne“, mʼécrivit-il au mois de Novembre dernier: „tout cet échafaudage de Princes doit être abandonné; leur conduite abjecte les a rendus odieux et méprisables aux yeux de la nation“. En conséquence le Traité de Breslau ne fait aucune différence entre les Princes de la Confédération Rhenane dans le Nord, qui nʼont fait aucune acquisition et ont cédé à une force irrésistible sans vouloir profiter des malheurs de notre patrie pour sʼagrandir, et les premiers membres de cette Confédération qui ont été au-devant de la corruption. Ensuite Mr. de Stein connaît mal les Allemands: leur faible est précisément un trop grand attachement à la personne et à la famille de leurs souverains. Jʼentends leurs anciens souverains, car les nouveaux sujets de nouveaux Rois et Grand-ducs sont on ne peut pas plus mecontens; et surtout les ci-devant sujets autrichiens regrettent amèrement leur ancien état. Je mʼen suis souvent convaincu dans mes voyages. Un ministre dʼétat de cette partie que je ne veux pas nommer, me dit à Paris: „Nos peuples détestent leurs princes, ils sentent lʼoppression quʼils en éprouvent, ils ne conçoivent pas que ces princes ne sont que les instrumens de Bonaparte.“
Les Alliés trouveront donc partout beaucoup de bonne volonté: dans le Nord chez les Princes et les peuples en même temps; dans le Midi au moins chez une partie du peuple; pourvu que le but du retablissement de lʼancien état et de lʼindépendance nationale soit annoncé dʼune maniere non équivoque. Quel besoin y-a-t-il donc de ce corset de force que Mr. de Stein veut mettre à toute lʼAllemagne? Son projet est impraticable, également contraire à la politique Européenne et aux vœux de la nation. Quoiquʼil arrive et quelquʼ éloignées que soyent à présent ces espérances, il me semble que lʼAllemagne ne peut jamais être retablie que sous une forme fédérative quelconque. Et qui peut donner de lʼunité à cette fédération si ce nʼest lʼAutriche, dont les vues se trouveront toujours dʼaccord avec celles de lʼAngleterre et de la Suède? Je conçois que la dignité impériale, telle quʼelle était dans les derniers temps nʼest pas un objet à convoiter. LʼEmpire ne peut recevoir une nouvelle constitution, basée autant que les bouleversemens actuels le permettent sur lʼancienne, quʼaprès la paix générale; tout doit donc être provisoire: et la seule forme en même temps constitutionelle et populaire sous laquelle on puisse agir, est celle dʼune ligue germanique opposée à la Confédération Rhénane.
Vous connaissez sans doute les Observations du Comte de Münster sur le traité de Breslau lesquelles ont été communiquées à la Cour de Suède. Elles lʼauront été également à celle dʼAutriche. Cependant je vous envoye la copie dʼune lettre que je viens de recevoir de ce ministre, elle pourra encore vous intéresser.
Le Comte de Neipperg vous portera cette lettre. Il connaît à fond la position compliquée du Prince Royal de Suède, et les principes qui le guident dans sa conduite. Il vous les expliquera mieux que je ne pourrai le faire. Je puis vous dire seulement quʼen ne voyant cela que de loin on serait exposé à porter un jugement précipité. Cʼest un malheur que le Prince Royal lʼautomne dernier ait été trop confiant et on peut bien dire trop généreux. La situation de la Russie était telle que si à lʼentrevue dʼAbo il eût insisté sur la possession provisoire des îles dʼAland, pour avoir un gage entre les mains, je ne doute pas quʼelle nʼeût été accordée. Alors la Russie aurait eu un motif puissant pour presser le Danemarc; et si 40,000 Russes eussent paru sur les frontieres du Holstein au lieu de la mission du Prince Dolgorouki, au mois de Mars, lorsque toutes les forces de Napoléon étaient à bas, lʼaffaire serait arrangée depuis longtemps. A présent la grande ambassade qui sʼest embarqueé dimanche, est bien tardive. On la compare à la procession des trois Rois mages qui apportent de lʼor, de lʼencens et des myrrhes – plante aromatique mais amere. Je crains que le Danemarc ne se soit déjà livré irrévocablement au Démon, corps et ame. Cʼest dʼautant plus dommage que lʼesprit des provinces allemandes était excellent, et que leur troupes montraient la plus grande aversion de se battre pour les Français.
Il ne sert à rien de rabacher les erreurs passées. Mais en jugeant les rapports entre la Suède et le Danemarc (sur lesquels je vous ai écrit dernièrement une longue lettre) je vous prie de ne pas oublier les services que la Suède a rendus depuis lʼété dernier à la bonne cause, tandis que le Danemarc depuis vingt ans a toujours agi dʼaprès les calculs de lʼégoisme le plus étroit. Pesez aussi la situation du Prince Royal de Suède vis à vis de la nation quʼil gouverne. Vous ne pouvez vous faire aucune idée de lʼétat où il a trouvé l'opinion publique. Il a été un vrai missionnaire; il les a convertis pas à pas, si tant est quʼils soyent complettement convertis de leurs anciens préjugés et de leurs nouveaux engoûmens. On attribuait les malheurs et les pertes que la Suède a essuyés au systême suivi sous le dernier règne, tandis que ces malheurs furent causés par une conduite impolitique incohérente, en même temps téméraire et sans energie réelle. Quel moyen dʼengager les Suédois dans une guerre transmarine, dont ils sont fort éloignés de concevoir lʼurgence comme du temps du grand Gustave Adolphe, quʼen leur présentant la perspective dʼun avantage national? Et le Prince Royal peut-il souffrir que cette perspective qui lui a été formellement assurée, sʼévapore en veines espérances?
Quoiquʼil en soit, il ne faut pas désespérer au milieu de cette malheureuse complication. On sʼest bien battu jusquʼici; Bonaparte a ramassé encore de grandes forces, mais cette-fois-ci je pense quʼil a puisé dans le fond du sac. Rien nʼest perdu, pourvu quʼun parfait accord soit promptement retabli entre les alliés. Lʼaccession de lʼAutriche porterait un coup décisif: elle doit être la basse fondamentale dans ce concert européen. Que lʼaigle à double tête deploye de nouveau ses ailes, quʼil reprenne le sceptre et le globe: et le vautour qui a usurpé son nom et sa place, qui sʼest arrogé de lancer la foudre, bientôt chassé au delà du Rhin, ne battra plus que dʼune aîle.
Je vois partir le Comte de Neipperg avec un regret extrême. Sans doute il sera toujours bien à sa place dans un commandement militaire, mais je voudrais quʼil fût des nôtres, quʼil fût chargé dʼune mission au quartier général suédois, sa presence serait infiniment utile. Le Prince Royal lʼaime et lʼestime singulierement et lui a donné toute sa confiance. Lorsque Madame de Staël un jour lui fit lʼéloge de cette noblesse innée, de cette loyauté chevaleresque, de cette vaillance si modeste qui caractérise le Comte le Prince Royal répondit: „Cʼest absolument Bayard“. – Avec les manieres les plus prévenantes Mr. de Neipperg maintient toujours son franc parler. La vivacité spirituelle, naturellement éloquente et pleine dʼame avec laquelle il sʼexprime fait impression sur lʼesprit dʼun Prince, pénétré de lʼamour de la vraie gloire et habitué à voir les choses en grand. Enfin dans le cas de votre coopération, dont je ne puis me resoudre à douter, on ne saurait choisir un meilleur organe pour entretenir une intelligence parfaite.
Je voudrais que vous connussiez lʼascendant personnel du Prince Royal comme moi. On ne peut briser la puissance de Bonaparte quʼen faisant valoir contre lui la haine des nations quʼil sʼest suscitée: cʼest bien plus encore un problême moral à resoudre quʼune difficulté physique à vaincre. Le Prince Royal par son caractére et sa position, est éminemment appelé à rallier autour de lui toutes les espérances généreuses, tous les efforts magnanimes, soit à lʼétranger soit en France même.
Adieu, mon cher Gentz. Ecrivez moi et annoncez moi au plutôt lʼEvangile de la nouvelle Alliance. Österreich über alles, wenn es nur will! Mille amitiés!
Schl.[egel]

Je vous prie de communiquer cette lettre à mon frère. Du reste faites en tel usage que vous jugerez convenable – cependant sans me compromettre. Je nʼai dʼautres ennemis irréconciliables que Napoléon et les Danois et je ne voudrais pas en avoir davantage. – Madame de Staël sʼest acheminée pour lʼAngleterre – donnez lui donc là de vos nouvelles.
Au moment de fermer cette lettre on mʼannonce comme sûr et officiel que lʼAutriche sʼest déclarée et quʼelle agit. Jʼen ai pensé devenir fou de joye. A présent, outre tout le reste de mes sentimens pour le Comte de Neipperg, je dois lʼadmirer comme bon prophete. Jʼaurais envie de crier comme au commencement des croisades: Dieu le veut! Dieu le veut! – Ceci change toute la face des affaires. Les Danois se rangeront ou sʼen iront au Diable, la côte de la mer du Nord sera bientôt balayée, on fera sauter le Royaume de Westphalie avec tous ses préfets, préfettes et préfettons. Je commençais à me rouiller ici dans cette stagnation forcée – jʼespère que nous irons bientôt en avant. Cela me donne aussi lʼespérance quʼun jour ou autre nous pourrons nous tendre la main de plus près.
Stralsund ce 2 Juin 1813
Me voici depuis quinze jours en Allemagne, mon cher Gentz. Jʼy suis arrivé sous de bons et de grands auspices, sous ceux du Prince Royal de Suède. Mais quoiquʼil y eût déjà des nuages avant notre départ lʼhorizon sʼest furieusement obscurci après notre arrivée. Lʼarmée des alliés est repoussée depuis la Saale jusquʼà lʼOder: lʼon ne pourra pas empêcher que les forteresses ne soyent débloquées. Hambourg est pris, et occupé par ces Danois que le Ciel confonde, sous un commandant français et au nom de Napoléon. Cʼest un événement affreux et dont les suites sont incalculables aussi bien sous le rapport de lʼopinion que sous celui des moyens pécuniaires pour continuer la guerre, puisque toutes les opérations se fesaient par cette voye. Tant de bonne volonté, de zêle, de dévoûment même, non seulement est perdu, mais a été sacrifié, pour ainsi dire, de gaité de cœur. Une infinité de personnes sont compromises, et doivent risquer leur liberté et leur vie en restant ou en retournant, ou perdre leurs propriétés en émigrant, si toutefois ils ont pu le faire. Le monstre a une nouvelle occasion dʼexercer sa tyrannie sanguinaire. Cʼest un exemple funeste; rien de pire que dʼoffrir à un peuple impatient de secouer le joug des secours prématurés et peu solides; une autrefois il est à craindre que personne ne bougera. Dʼailleurs les Français, chassés pour quelques instants, par une guerre vagabonde, dʼune partie du pays entre lʼElbe et le Weser, y prennent des mesures de précaution: ils enlèvent toute la jeunesse qui aurait été prête à servir contre eux.
Dʼun autre coté, vous voyez comment va la coalition. Les Russes, après avoir montré de la persévérance dans les revers, nʼont pas su échapper aux écueils des succès, à la légèreté et à la présomption. Ils ont rallenti leurs efforts; ils ont eu lʼair pendant quelques mois, dʼavoir entierement oublié les services que la Suède leur a rendus et de ne plus se soucier de sa coopération. Jʼai trouvé Pozzo di Borgo à Carlscrona dans les premiers jours de Mai, et jʼai passé la mer avec lui. Il a beaucoup dʼesprit et de caractere mais sa mission était difficile: comment suppléer par de nouvelles promesses aux engagemens manqués, lorsquʼaucun effet ne fait preuve dʼune intention sérieuse?
Outre ce défaut de moyens, on sʼest mis en désaccord sur les mesures à prendre dans les affaires Germaniques. Jʼattribue cela uniquement à Mr. de Stein. Cʼest lui qui a baclé le traité de Breslau du 19 Mars: ce traité sʼaccorde parfaitement avec ce quʼil mʼa dit et écrit précedemment. Il veut conduire lʼAllemagne à la liberté par une voye plus despotique que celle de Napoléon, cʼest à dire quʼil voudrait accabler de coups un cheval qui a envie de courir. Le but dont Mr. de Stein depuis long-temps ne sʼest pas caché, est de jeter tous les princes allemands par la fénêtre et de transformer le Nord de lʼAllemagne en une seule monarchie. Le Midi déviendra ensuite ce quʼil pourra, ou se transformera de la même manière. „Il faut de lʼunité et de la force à lʼAllemagne“, mʼécrivit-il au mois de Novembre dernier: „tout cet échafaudage de Princes doit être abandonné; leur conduite abjecte les a rendus odieux et méprisables aux yeux de la nation“. En conséquence le Traité de Breslau ne fait aucune différence entre les Princes de la Confédération Rhenane dans le Nord, qui nʼont fait aucune acquisition et ont cédé à une force irrésistible sans vouloir profiter des malheurs de notre patrie pour sʼagrandir, et les premiers membres de cette Confédération qui ont été au-devant de la corruption. Ensuite Mr. de Stein connaît mal les Allemands: leur faible est précisément un trop grand attachement à la personne et à la famille de leurs souverains. Jʼentends leurs anciens souverains, car les nouveaux sujets de nouveaux Rois et Grand-ducs sont on ne peut pas plus mecontens; et surtout les ci-devant sujets autrichiens regrettent amèrement leur ancien état. Je mʼen suis souvent convaincu dans mes voyages. Un ministre dʼétat de cette partie que je ne veux pas nommer, me dit à Paris: „Nos peuples détestent leurs princes, ils sentent lʼoppression quʼils en éprouvent, ils ne conçoivent pas que ces princes ne sont que les instrumens de Bonaparte.“
Les Alliés trouveront donc partout beaucoup de bonne volonté: dans le Nord chez les Princes et les peuples en même temps; dans le Midi au moins chez une partie du peuple; pourvu que le but du retablissement de lʼancien état et de lʼindépendance nationale soit annoncé dʼune maniere non équivoque. Quel besoin y-a-t-il donc de ce corset de force que Mr. de Stein veut mettre à toute lʼAllemagne? Son projet est impraticable, également contraire à la politique Européenne et aux vœux de la nation. Quoiquʼil arrive et quelquʼ éloignées que soyent à présent ces espérances, il me semble que lʼAllemagne ne peut jamais être retablie que sous une forme fédérative quelconque. Et qui peut donner de lʼunité à cette fédération si ce nʼest lʼAutriche, dont les vues se trouveront toujours dʼaccord avec celles de lʼAngleterre et de la Suède? Je conçois que la dignité impériale, telle quʼelle était dans les derniers temps nʼest pas un objet à convoiter. LʼEmpire ne peut recevoir une nouvelle constitution, basée autant que les bouleversemens actuels le permettent sur lʼancienne, quʼaprès la paix générale; tout doit donc être provisoire: et la seule forme en même temps constitutionelle et populaire sous laquelle on puisse agir, est celle dʼune ligue germanique opposée à la Confédération Rhénane.
Vous connaissez sans doute les Observations du Comte de Münster sur le traité de Breslau lesquelles ont été communiquées à la Cour de Suède. Elles lʼauront été également à celle dʼAutriche. Cependant je vous envoye la copie dʼune lettre que je viens de recevoir de ce ministre, elle pourra encore vous intéresser.
Le Comte de Neipperg vous portera cette lettre. Il connaît à fond la position compliquée du Prince Royal de Suède, et les principes qui le guident dans sa conduite. Il vous les expliquera mieux que je ne pourrai le faire. Je puis vous dire seulement quʼen ne voyant cela que de loin on serait exposé à porter un jugement précipité. Cʼest un malheur que le Prince Royal lʼautomne dernier ait été trop confiant et on peut bien dire trop généreux. La situation de la Russie était telle que si à lʼentrevue dʼAbo il eût insisté sur la possession provisoire des îles dʼAland, pour avoir un gage entre les mains, je ne doute pas quʼelle nʼeût été accordée. Alors la Russie aurait eu un motif puissant pour presser le Danemarc; et si 40,000 Russes eussent paru sur les frontieres du Holstein au lieu de la mission du Prince Dolgorouki, au mois de Mars, lorsque toutes les forces de Napoléon étaient à bas, lʼaffaire serait arrangée depuis longtemps. A présent la grande ambassade qui sʼest embarqueé dimanche, est bien tardive. On la compare à la procession des trois Rois mages qui apportent de lʼor, de lʼencens et des myrrhes – plante aromatique mais amere. Je crains que le Danemarc ne se soit déjà livré irrévocablement au Démon, corps et ame. Cʼest dʼautant plus dommage que lʼesprit des provinces allemandes était excellent, et que leur troupes montraient la plus grande aversion de se battre pour les Français.
Il ne sert à rien de rabacher les erreurs passées. Mais en jugeant les rapports entre la Suède et le Danemarc (sur lesquels je vous ai écrit dernièrement une longue lettre) je vous prie de ne pas oublier les services que la Suède a rendus depuis lʼété dernier à la bonne cause, tandis que le Danemarc depuis vingt ans a toujours agi dʼaprès les calculs de lʼégoisme le plus étroit. Pesez aussi la situation du Prince Royal de Suède vis à vis de la nation quʼil gouverne. Vous ne pouvez vous faire aucune idée de lʼétat où il a trouvé l'opinion publique. Il a été un vrai missionnaire; il les a convertis pas à pas, si tant est quʼils soyent complettement convertis de leurs anciens préjugés et de leurs nouveaux engoûmens. On attribuait les malheurs et les pertes que la Suède a essuyés au systême suivi sous le dernier règne, tandis que ces malheurs furent causés par une conduite impolitique incohérente, en même temps téméraire et sans energie réelle. Quel moyen dʼengager les Suédois dans une guerre transmarine, dont ils sont fort éloignés de concevoir lʼurgence comme du temps du grand Gustave Adolphe, quʼen leur présentant la perspective dʼun avantage national? Et le Prince Royal peut-il souffrir que cette perspective qui lui a été formellement assurée, sʼévapore en veines espérances?
Quoiquʼil en soit, il ne faut pas désespérer au milieu de cette malheureuse complication. On sʼest bien battu jusquʼici; Bonaparte a ramassé encore de grandes forces, mais cette-fois-ci je pense quʼil a puisé dans le fond du sac. Rien nʼest perdu, pourvu quʼun parfait accord soit promptement retabli entre les alliés. Lʼaccession de lʼAutriche porterait un coup décisif: elle doit être la basse fondamentale dans ce concert européen. Que lʼaigle à double tête deploye de nouveau ses ailes, quʼil reprenne le sceptre et le globe: et le vautour qui a usurpé son nom et sa place, qui sʼest arrogé de lancer la foudre, bientôt chassé au delà du Rhin, ne battra plus que dʼune aîle.
Je vois partir le Comte de Neipperg avec un regret extrême. Sans doute il sera toujours bien à sa place dans un commandement militaire, mais je voudrais quʼil fût des nôtres, quʼil fût chargé dʼune mission au quartier général suédois, sa presence serait infiniment utile. Le Prince Royal lʼaime et lʼestime singulierement et lui a donné toute sa confiance. Lorsque Madame de Staël un jour lui fit lʼéloge de cette noblesse innée, de cette loyauté chevaleresque, de cette vaillance si modeste qui caractérise le Comte le Prince Royal répondit: „Cʼest absolument Bayard“. – Avec les manieres les plus prévenantes Mr. de Neipperg maintient toujours son franc parler. La vivacité spirituelle, naturellement éloquente et pleine dʼame avec laquelle il sʼexprime fait impression sur lʼesprit dʼun Prince, pénétré de lʼamour de la vraie gloire et habitué à voir les choses en grand. Enfin dans le cas de votre coopération, dont je ne puis me resoudre à douter, on ne saurait choisir un meilleur organe pour entretenir une intelligence parfaite.
Je voudrais que vous connussiez lʼascendant personnel du Prince Royal comme moi. On ne peut briser la puissance de Bonaparte quʼen faisant valoir contre lui la haine des nations quʼil sʼest suscitée: cʼest bien plus encore un problême moral à resoudre quʼune difficulté physique à vaincre. Le Prince Royal par son caractére et sa position, est éminemment appelé à rallier autour de lui toutes les espérances généreuses, tous les efforts magnanimes, soit à lʼétranger soit en France même.
Adieu, mon cher Gentz. Ecrivez moi et annoncez moi au plutôt lʼEvangile de la nouvelle Alliance. Österreich über alles, wenn es nur will! Mille amitiés!
Schl.[egel]

Je vous prie de communiquer cette lettre à mon frère. Du reste faites en tel usage que vous jugerez convenable – cependant sans me compromettre. Je nʼai dʼautres ennemis irréconciliables que Napoléon et les Danois et je ne voudrais pas en avoir davantage. – Madame de Staël sʼest acheminée pour lʼAngleterre – donnez lui donc là de vos nouvelles.
Au moment de fermer cette lettre on mʼannonce comme sûr et officiel que lʼAutriche sʼest déclarée et quʼelle agit. Jʼen ai pensé devenir fou de joye. A présent, outre tout le reste de mes sentimens pour le Comte de Neipperg, je dois lʼadmirer comme bon prophete. Jʼaurais envie de crier comme au commencement des croisades: Dieu le veut! Dieu le veut! – Ceci change toute la face des affaires. Les Danois se rangeront ou sʼen iront au Diable, la côte de la mer du Nord sera bientôt balayée, on fera sauter le Royaume de Westphalie avec tous ses préfets, préfettes et préfettons. Je commençais à me rouiller ici dans cette stagnation forcée – jʼespère que nous irons bientôt en avant. Cela me donne aussi lʼespérance quʼun jour ou autre nous pourrons nous tendre la main de plus près.
· Abschrift , [2. Juni 1813]
· Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek Dresden
· Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.9,Nr.16
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