Chère amie, je suis revenu ici avant-hier et j’ai trouvé plusieurs lettres de vous au Cabinet: une retardée du 24 juin, une du 8 et une du 16 juillet; c’est la plus fraîche, j’avais déjà celles du 2 et du 11 juillet depuis un tems considérable. Vous voyez comme cela va au hasard, aussi je vous prie de ne jamais me gronder pour un silence supposé. Je n’ai pas vu de Major, nommez-moi les personnes si vous voulez m’en faire faire la connaissance.
Moreau est arrivé hier matin, le Prince vers le soir; par hasard, je ne me suis pas trouvé au premier moment de leur entrevue. Je n’ai pas encore pu parler au Prince en particulier, parce qu’il s’est enfermé toute la matinée avec Moreau mais je les verrai au diner.
Je crois que nous partirons après-demain pour Oranienburg, qui est à 8 lieues en deça de Berlin. Je profite encore de quelques heures de loisir, pour terminer ce long envoi; je me trouverai ensuite plus loin de la côte et par conséquent de vous, mais je ne négligerai aucune occasion pour écrire du moins quelques lignes à la hâte.
On nous annonce la capitulation de Suchet et de son corps d’armée et la prise de Pampelune – cela vient du Quartier G[énéra]l des alliés; on assure que là-dessus Bonap[arte] est allé à Paris. La chose n’est pas improbable en elle-même – les dépêches de Wellington que nous avons reçues ne vont que jusqu’au 3 juillet, – il peut y avoir des nouvelles beaucoup plus récentes par la voye de terre. Voici le moment de frapper des grands coups; l’Armistice expire le 16 août, si on le dénonce le 10 et qu’on ne le prolonge pas de nouveau. Ah! ce serait le coup de grâce donné par M. de Metternich à l’Europe à demi relevée; pour la gloriole d’avoir fait jouer à l’Autriche pendant deux mois le rôle d’arbitre suprême, il aurait tout perdu. Malgré toutes les assurances qu’on nous a données, je ne croirai pas au renouvellement de la guerre que je n’entende des coups de canon.
Moreau s’en va auprès de l’Emp[ereur] de Russie, il fournira des conseils et peut-être mieux, et sa présence là-bas servira enfin à entretenir un concert parfait entre les opérations de l’armée alliée et celle que commande le Prince Royal, laquelle doit se monter à plus de 120.000 hommes. Quels élémens pour les plus belles espérances, si on n’y avait pas été attrapé si souvent!
Je n’ai pas encore pu ravoir mon manuscrit de la traduction de ma brochure contre le Danemark, autrement je vous l’aurais envoyée pour la faire insérer dans l’Ambigu. Peut-être qu’on a déjà donné des extraits d’après l’original. Faites-vous donner celui-ci par M. de Rehausen, je ne sais pas si j’aurais l’occasion de vous l’envoyer. M. de Munster l’a aussi de ma part.
Je ferai votre message à Uginet par Vienne; cependant, le change d’Angleterre vient de remonter beaucoup sur le continent, je ne sais pas s’il en est de même en Amérique.
Vous me demandez une voye sûre pour écrire en Suisse. Je n’en connais pas, puisque toutes les lettres sont infailliblement ouvertes en Bavière – et les occasions particulières qu’on croit sûres, quelquefois ne sont rien moins que cela. Il ne faut donc écrire que des choses générales, et pour vous je vous conseille toujours de vous servir toujours de l’écriture d’autrui.
Je soignerai votre lettre au Cte de Neipperg, il doit être à l’armée de Bohême, mais je n’ai rien eu de lui depuis Trachenberg.
Hélas! voici la carrière de la gloire au moment de s’ouvrir pour Albert, s’il n’avait pas précipité sa destinée.
Mille adieux, chère amie.