Pardonnez moi, mon cher Schlegel, dʼêtre resté tant de jours sans Vous écrire; mais je Vous jure que je nʼai pas eu à la lettre un quart dʼheure à moi. Les envois, les réponses, les démarches pour obtenir quʼil ne paroit rien dans les journaux qui puisse blesser Albertine ont absorbé et absorbent encore tout mon tems - Le succès est plus brillant que je nʼosois lʼespérer, près de quatre mille exemplaires sont déja vendus et je suis occupé à relire en toute hâte pour une seconde édition - En deux mots, le succès de coeur et dʼenthousiasme est parmi les amis pars de la liberté; les ultras sont fort blessés et les bonapartistes au moins autant. Vous jugez bien quʼils sʼattaquent à lʼéloge de lʼAngleterre et de Wellington. Ségur est furieux à ce quʼon mʼassure et dit que cʼest un ouvrage contrerévolutionnaire. Cʼest par trop bouffon -
Je suis plus dʼavis que personne que le parti des amis de la liberté [2] doit être le refugium peccatoram et quʼil faut accueillir tous les néoplastes avec une extrême indulgence; mais vouloir passer sans intermédiaire du rôle de chambellan ou de proconsul à celui dʼapôtre de la liberté, cela est dʼune impudence burlesque. Au reste parmi les assaillons même il nʼy a quʼune voix sur la rare superiorité de lʼouvrage - Comme journaux voici ce qui a paru et que je vous enverroi dès que jʼauroi le tems de les recuellir - Trois articles de Sismondi dans le Journal General, ce sont les meilleurs sans comparaison. Un premier de St Albin dans le Journal du Commerce très médiocre - La Gazette de France a été mal, et surtout bête sur mon grandpere mais assez convenable sur ma mere - La quotidienne a cité insidieusement des phrases qui alloient à son but, et du reste moins mal que je ne craignois. Les annules ont été bien - En tout je dois des remercimens à la bienveillance de M. Villemain et de son ministre - On dit que le Roi a autorisé M. Decazes à mʼecrire une lettre flatteuse, je ne lʼai pas encore reçue - Il a trouvé, [3] mʼassure-t-on que lʼouvrage étoit fort républicain, mais que les éloges de lui etoient flatteurs et sincères - Je compte sur Vous mon ami, pour mʼenvoyer tout ce qui paroitra en Allemagne - Je vous écrirai ex professo sur nos affaires pécuniaires - Je vais mʼoccuper dʼexecuter Vos ordres, Vous devez ce me semble considèrer maintenant Votre argent comme bien acquis - Adieu, mon cher Schlegel. cʼest pour moi je Vous jure une privation de tous les moments que Votre départ. Prenez lʼhabitude de mʼecrire. Jʼattache un double prix à vos lettres et comme preuve de votre amitié et comme sujet très-vif dʼinterêt- Adieu encore, Vous voyez combien je Vous écris à la hâte - Je seroi à Coppet au plus tard le 5 Juin
[4] Monsieur
M. A. W. de Schlegel
chez Messrs Mohr & Winter
Gd Duché de Bade
Heidelberg