Je reçois Votre lettre du 26, mon cher Schlegel, et pour éviter les tentations du démon de paresse; [j]ʼy réponds à lʼinstant.
Que pouvons nous Vous dire sur le tableau de Corinne, que Vs ne sachiez beaucoup mieux que nous? Dites que Gérard est le premier des peintres vivans, quʼil est hors de pair &e Vous êtes bien sûr de lui être agréable - Les impressions du genus irritabile vatum ne sont pas mystères pour Vous - Dites que le Pe A. d. Prusse a donné ce tableau à Mad. Recamier, qui en échange lui envoie la copie du portrait de ma mère par le même Gerard; et que le Roi de Fce a demandé pour lui la copie réduite du tableau de Corinne - Enfin sur la figure même de Corinne Vs pourriez dire ce qui est vrai, cʼest que tout en étant plus régulièrement belle que ma mère, on voit que son âme et sa physionomie [2] ont été présentes à lʼimagination du peintre. Et puis enfin dʼêtre ce qui Vs sera inspiré et Vs feroi indubitablement un morceau très-distingué. Voilà ce que je Vs dis au nom de ma soeur et au mien.
Jʼirai voir Fauriel au premier jour, et je tiens de lʼargent prêt pour payer la fonte.
Le Genl Macaulay est parti hier pour la Suisse; jʼespère quʼil reviendra cet hyver. Du reste il a pour la littérature des Indiens morts et le caractère des Indiens vivans au mépris dont un Brame comme Vous seroit scandalisé.
Jʼirai voir Mad. Itie et lui porter Vos 40f.; mais jʼy mettrai pour condition expresse quʼelle cesse de sʼopposer à lʼétablissement de Mad. Rissardi chez ses parens; car la bonne dame est fort intéressée et elle retient en gage cette pauvre petite jeune femme. [3] Je tâcherai de me procurer le Morgenblatt, mais mon instinct est de mépriser cette criaillerie bonapartiste. Ils ont dit pis que pendre de moi à lʼoccasion de cette publication: nʼimporte, je ne mʼen soucie en aucune façon - Cette cour mʼest trop invinciblement antipathique pour que jamais je regrette de lui déplaire -
Albertine sʼest trouvée remarquablement bien des eaux. Victor moins bien que lʼannée dernière, mais à quelques apparences dʼasthme près, le fond de sa santé est bon. Alphonse sʼest étonnement développé physiquement; il est aussi plus ouvert dʼesprit que lʼannée dernière, il est doux, raisonnable, prenant les choses par leur côté le plus sensé, occupé des autres sans être cependant expansif, enfin bon et assez sensible; voilà beaucoup de bons élémens; mais lʼétude est toujours lente et malle, nous nʼavons pas encore trouvé le stimulant qui [4] doit lui donner lʼessor. Je vais mʼen occuper beaucoup cet hyver et frapper à toutes les [portes] de son cerveau.
Voici une lettre que lʼon mʼa apportée pour Vous avec un Aristote que je joins à dʼautres livres qui Vs appartiennent, et entrautres un Schiller de Barante - Vous devez lire sa Notice; elle est pleine de pensée, et Vous y êtes plusieurs fois cité. Je crois que ce morceau réussira par de là le Rhin, Vous connoissez lʼimagination mobile de Prosper; il sʼest tellement transporté dans les idoles allemandes en écrivant sur Schiller que cette notice a presque lʼair dʼêtre traduite de lʼallemand.
Adieu, cher ami, je suis accablé des détails de ma maison. Mille tendres amitiés.