Monsieur,
Je viens de recevoir Votre lettre du 15 Mai, jʼy reconnais tous les sentimens de bienveillance que Vous mʼavez si souvent prouvés par le fait. Je suis vraiment confus en voyant que ma réclamation Vous cause tant dʼembarras et occasionne la perte dʼun temps précieux. Jʼai relu mon article, et je Vous avoue que je nʼy ai rien trouvé qui ne fut de bonne guerre. Mais je suis jaloux de Vous prouver mon entière déférence à Votre jugement. Ainsi je Vous prie de retrancher ou de modifier à Votre gré, bien entendu que Vous seul en soyez constitué juge, et que lʼarticle après que Vous lʼaurez présenté avec les modifications que Vous jugerez convenables, ne puisse plus être soumis à des mutilations arbitraires. En cas de refus de la part de la commission, ou du Conseil de la société, je me reserve le droit dʼinsérer dans ma Bibliothèque Indienne lʼarticle tel que je Vous lʼavais envoyé dʼabord.
Retranchez donc la rare impudeur, et lʼintention de déprécier, et lʼhumeur chagrine etc etc. Cependant il me semble indispensable dʼindiquer la part que M. de Chézy a eue aux articles de M. Langlois. Autrement le public ne concevrait pas pourquoi je me suis mis en frais contre un antagoniste si obscur, auquel jʼeusse pu dire comme Mirabeau, lorsquʼon lui donnait un defi du temps de lʼassemblée constituante: Jʼai refusé mieux. – Depuis que mon nom est connu en France, jʼai été constamment en butte aux attaques des gazettes journalières, dont quelques unes comptent peut être cent mille lecteurs; les feuilles de toutes les couleurs, monarchiques, ministérielles, constitutionelles, ont été dʼaccord sur le point de ma condamnation. Lʼun mʼa nommé le Domitien de la litterature française qui desirerait pouvoir lʼabattre dʼun seul coup, tandisque je professe lʼadmiration la plus sincère pour les grands écrivains de France, et que je nʼai combattu que des théories qui gênent lʼélan du génie. Ce docte Aristarque confondait Domitien avec Caligula: mais cela revient au même. Un autre mʼappelle en ricanant le Quintilien tudesque, etc etc. Cependant je nʼai jamais cru nécessaire de dire un seul mot en ma défense. Ainsi donc ce nʼest pas une effervescence passionnée – non ego hoc ferrem calidus juventâ! – qui mʼa fait prendre la plume: jʼy ai mûrement réflêchi. M. de Chézy serait le remora au vaisseau de la littérature sanscrite, sʼil nʼétait pas trop indolent même pour cette action de retardement. Il ne faut pas souffrir quʼil mette en avant de petits écoliers obscurs pour dégouter ceux qui sacrifient à lʼétude du sanscrit non seulement leurs veilles, mais leurs moyens pécuniaires, et des succès plus faciles et plus brillants. Jʼai été la dupe de mes bons procédés: je connaissais depuis longtems sa jalousie: pendant mon dernier séjour à Paris il mʼa enlevé sous un prétexte le Commentaire du Bhagavat Gîtâ, pour mʼempêcher dʼen copier davantage. Néanmoins jʼai saisi toutes les occasions de faire son éloge, ce qui était assez difficile, puisquʼil nʼen fournit pas de sujet, et que ses œuvres complettes sur le sanscrit pourraient être commodément logées dans un porte-feuille de poche pour des cartes de visite.
Vous me faites remarquer, Monsieur, que M. de Chézy est membre de la commission qui doit decider de lʼinsertion. Jʼespère quʼil a trop le sentiment des convenances pour ne pas sʼabstenir de voter dans une affaire qui le concerne comme lʼauteur; et dans le cas contraire je me fie entièrement à lʼimpartialité de la commission ou du conseil: on ne comptera pas le vote dʼun juge dans sa propre cause.
Il serait trop long de discuter par lettre chaque passage de ma réponse. Je me soumets donc bien volontiers à votre censure: seulement je Vous prie de ne pas ôter tout ce qui peut attirer les lecteurs qui, ne sʼintéressant guère au sanscrit, ont pourtant pu voir en feuilletant les articles de M. Langlois quʼil mʼimpute un grand nombre de méprises.
Veuillez agréer, Monsieur, lʼexpression de ma considération très distinguée et de mes sentimens les plus empressés.
Chez nous un nouveau collaborateur sʼest annoncé avantageusement. M. Rosen, en prenant son grade de docteur en philosophie à Berlin, a publié un specimen dʼun dictionnaire des verbes sanscrits: Corporis Radicum Sanscritarum prolusio. Cʼest un élève de M. Bopp. – Je lui ai déjà donné mes conseils pour lʼexécution de cʼimportant travail.