Monsieur,
Il en est comme jʼavais auguré: un malentendu a eu lieu, apparemment par ma faute; je nʼen accuse que moi.
Tout homme qui cherche la vérité, doit être disposé à écouter et à examiner avec attention les argumens produits en faveur dʼune opinion contraire à la sienne: à plus forte raison, quand ces objections viennent de la part dʼun savant éminent et dʼun profond critique. La paradoxie aussi a son attrait et se fait écouter. Mais de cette curiosité, de cet empressement de connaître, jusquʼà une entière conviction la distance est encore immense. Les conversations savantes sont un agréable délassement, un moyen de ranimer lʼesprit fatigué par la monotonie des études; elles peuvent même être fécondes en nouvelles combinaisons: mais elles ne valent rien pour prendre des conclusions définitives. [2] Elles deviendraient bien enuyeuses, si chacun sʼobstinait à soutenir sa thèse à toute outrance, ou seulement à épuiser la matière. On effleure un sujet, on le laisse tomber et passe à un autre.
Un mémoire méthodiquement rédigé et lu à tête reposée, est tout autre chose. Dans le vôtre, Monsieur, beaucoup de questions sont traitées, sur lesquelles je nʼai pas dʼopinion arrêtée. Mais vos inductions concernant lʼInde ancienne sont, à mon avis, inadmissibles, et je ne les adopte point. Permettez-moi de me borner aujourdʼhui à cette déclaration pure et simple, sans la motiver. Comme une explication orale incomplette a occasionné une méprise, je crains quʼune explication par lettres ne soit exposé au même danger.
Cette déclaration serait déjà de trop, si vous nʼaviez pas annoncé mon adhésion à votre hypothèse. Notre point de départ nʼest pas le même; nous arrivons à des résultats différens: cʼest fort naturel. La voye est assez large, pour que nous puissions nous rencontrer dans des directions opposées, nous croiser, sans nous heurter.
Si un entretien dʼun quart dʼheure avait suffi pour renverser un ensemble de convictions qui sʼest affermi dans mon esprit par des études suivies pendant [3] vingt deux années, mon assentiment serait, en effet, de peu de poids. Dans cette supposition vous vous êtes exprimé sur mon compte en termes trop flatteurs.
Néanmoins, quelque bienveillantes quʼayent été vos intentions, cʼest pour moi un sujet de surprise de voir que vous avez persisté dans votre persuasion après avoir lu mes Réflexions sur lʼétude des langues asiatiques; car dans cet écrit lʼopposition de nos vues générales est au grand jour. Il en est de même dʼune foule dʼarticles dans ma Bibliothèque indienne, de ma préface du Râmâyana, dʼun essai historique assez étendu, inséré dans le Calendrier Royal de Berlin pour 1829 et [18]31, enfin dʼune petite préface placée à la tête de la traduction de Prichard que jʼai eu[e] lʼhonneur de vous envoyer, mais qui ne vous est parvenue quʼaprès lʼimpression de votre Mémoire. Je ne prétends pas être lu par des savans occupés dʼautres recherches que moi. Toutefois, parmi vos lecteurs il pourrait sʼen trouver qui eussent lu quelques uns des écrits que je viens dʼénumérer. Ils me verront ainsi mis en opposition avec moi même, et seront embarrassés de savoir quelle est mon opinion véritable: celle que mʼattribue un illustre savant, ou celle que jʼai énoncée à plusieurs reprises, avant et après notre [4] entretien. Il se trouvera une occasion convenable de rassurer ceux de mes lecteurs qui auront été consternés en apprenant que le trône a renversé leur autel.
Je ne vois aucune nécessité dʼentrer plus avant dans cette controverse, quoique je mʼen réserve le droit. Mais je me placerais dans une position désavantageuse, si jʼentamais la discussion sans lʼapprofondir; et je ne sais pas si jʼen aurai jamais le loisir.
Veuillez agréer – – –