Monsieur,
Jʼai mille pardons à vous demander du long retard de ma réponse. Votre lettre du 21 Juillet, votre second écrit sur la peinture, et M. Guigniaut, me sont arrivés successivement. Pendant la lecture attrayante de ce chef-dʼœuvre, je vous ai écrit au moins dix lettres dans ma tête, et mes entretiens avec M. Guigniaut sur le même sujet mʼont fait illusion, comme si je les avais déjà expédiées. Maintenant voici votre lettre du 1 Sept. qui me tient sur le qui vive, le Zodiaque nʼétant pas encore arrivé.
Dépêchons dʼabord N. N. ou R. R. (Raoul-Rochette.) Je vous plains dʼavoir à combattre un tel adversaire; mais jʼen comprends la triste nécessité. Il est académicien, professeur à phrases ronflantes et sans érudition, comme le public parisien les aime; inspecteur dʼun cabinet de médailles, pour le malheur de ce cabinet; il a les grandes entrées au Journal des Savans. Il trouve encore en Allemagne des sots, tels que παντόφαγος qui lʼadmirent tout de bon; dʼautres savans ont un motif de le ménager, parce quʼils peuvent être dans le cas de lui demander des renseignemens parisiens. LʼAnglais Rose a seul tranché le mot; et Richard Payne Knight, sʼil vivait encore, dirait: Radulphus, impudentissimus nebulo.
Aussi longtemps quʼil ne sʼagissait que de peintures murales ou sur planches, cela pouvait se supporter: cʼest seulement la partie technique. Mais aujourdʼhui il sʼacharne à médire du génie de lʼantiquité; avec une imagination souillée, il ne voit partout que des souillures. Cela est odieux et dégoutant; il faudrait lui donner le titre de πορνοσφράντης ou πορνοθηρευτής, et lui interdire de sonner mot sur la belle antiquité.
Lʼart des Grecs est au-dessus de ces basses atteintes. Leurs artistes ont montré un tact délicat des convenances, même quand ils suivaient les mœurs dans leurs égaremens. Sʼil mʼest permis de me citer, je lʼai dit il y a de longues années. Voyez mes Kritische Schriften, Vol. 1, p. 431 & 432. – Il y aurait un livre à faire sur la morale des beaux arts. Cʼest un sujet quʼon ne peut pas même entamer dans une lettre.
Néanmoins, je crains que les Anciens nʼayent été un peu moins vertueux que vous ne les faites; cʼest à dire, moins vertueux à la manière moderne et européenne. Notre siècle est-il moins corrompu? Je ne sais; mais, assurément, il est plus prude et plus hypocrite.
Permettez-moi, Monsieur, de vous soumettre quelques observations sur un passage dʼOvide que vous discutez page 51 et suivantes. Ce nʼest que pour vous prouver que jʼai lu avec attention.
Ovid. Trist. Lib. II, v. 521 sqq.
Scilicet, in domibus nostris ut prisca virorum
Artificis fulgent corpora picta manu;
Sic quae concubitus varios Venerisque figuras
Exprimat, est aliquo parva tabella loco;
Utque sedet vultu fassus Telamonius iram,
Inque oculis facinus barbara mater habet:
Sic madidos siccat manibus Venus uda capillos,
Et modo maternis tecta videtur aquis.
Il me semble quʼil y a là un parallèle complet entre les genres de peinture, qui ornaient le palais dʼAuguste, et les genres de poésie dans lesquels Ovide avait brillé: 1) le genre grave et austère; 2) le genre licencieux; 3) le genre tragique; [4)] le genre gracieux et quelquefois voluptueux.
Auguste avait chez lui les portraits de ses ancêtres et des anciens héros de Rome, soit en plastique peint ou en peinture seulement. Ici Ovide semble avoir eu en vue les Fastes, où il retrace la sainte simplicité des usages religieux dans lʼancienne Rome. Si le poète nʼavait pas gâté son affaire par quelque indiscrétion, les Fastes auraient dû lui valoir une grande faveur auprès dʼAuguste, qui mettait sa gloire à être le restaurateur du rituel suranné et du culte national. Properce avait déjà entrepris un pareil ouvrage à la sollicitation de Mécène; il sʼen désista ensuite, probablement parce quʼil trouva que son talent ne pouvait pas se déployer avantageusement dans un poème didactique. Il en donna des morceaux détachés, mais achevés avec le plus grand soin, dans le quatrième livre de ses élégies. Cʼest de là, pour le dire en passant, quʼOvide a pris lʼidée des Fastes.
Le second genre, ce sont des miniatures licencieuses, peut-être de la main de Parrhasius même, destinées à lʼornement des boudoirs.
Les exemples donnés du genre tragique sont Ajax et Médée. Nʼoublions pas quʼOvide avait écrit lui-même une Médée: voilà donc encore une allusion toute personelle.
Le quatriéme genre ne saurait être confondu avec le second, puisquʼil en est séparé par un autre fortement contrasté. Lʼexemple choisi est la Venus Anadyomène dʼApelle. Les Métamorphoses sont remplies de semblables peintures, voluptueuses, mais délicates et nobles. Cʼest Salmacis luttant avec Hermaphrodite, cʼest Atalante toute nue à la course, etc. etc.
Il me semble impossible de donner à cette expression: Veneris figurae, un autre sens que celui quʼelle a dans le vers bien connu de Martial. Veneris modi, figurae, ce sont des termes consacrés à la gymnastique de lʼamour sensuel. Jʼai en horreur ce vilain mot posture dont R.[aoul] R.[ochette] est si prodigue. Mais la chose se trouve dans les vers dʼOvide. Nous nʼavons qʼune édition châtiée et reformée de ses poésies amoureuses: cependant de ces mille modi il en reste encore quatre ou cinq. Voyez lʼArt dʼaimer Livre III, 775–88. On peut encore comparer les passages suivons: LʼArt dʼaimer, II, 679, 80. Remèdes de lʼamour, 407, 408. Élégies amoureuses III, XIV, 24.
Veuillez agréer, Monsieur, etc.