Vous fûtes malheureuse et tout se décida dans un instant. Mais hélas bientôt je devois apprendre que votre malheur m’avoit aussi frappé. Quand vous commenciez à tourner vers mois vous étiez heureuse, quoiqu’éloignée du premier objet de vos affections. Tout vous parut facile et vous étiez facile sur tout. Combien êtes-vous changée depuis! D’abord un ancien lien reprit exactement par cette circonstance même des droits et un empire sur vous, que vous aviez été bien loin de me représenter dans cette force. Parmi tous vos amis j’étois le seul qui n’avoit pas connu l’objet de vos regrets, qui par conséquent ne pouvoit vous rappeler aucun souvenir attendrissant de temps plus heureux, qui ne pouvoit vous parler sur lui de sa propre connoissance. Vous ne sauriez douter que je ne respecte au plus haut point le culte d’une ombre adorée, mais c’est ce respect même qui m’a empêché de vous en parler d’une marnière superficielle, et je recueillis plutôt en silence tout ce que je vous entendis dire sur ce sujet. Je croyois pourtant ne pas blesser votre religion en tâchant de vous occuper, de vous distraire par des idées intéressantes, ce qui m’avoit réussi dans le voyage depuis Berlin à Weimar. Mais c’étoit devenu impossible. Des affaires majeures exigeoient la plus grande partie de votre tems, le reste fut emporté par une foule d’importuns. Sans doute je me sentois souvent très isolé, comme j’avois quitté ma patrie et tous mes amis, comme au milieu de distractions auxquelles je n’étois pas habitué je ne pouvois pas même retrouver le recueillement nécessaire pour mes occupations favories [sic]. Je passois souvent mes jours tristement dans une solitude bruyante. Ce n’est pas tout; mes rapports avec la société amenèrent un mécontentement continuel de votre part qui dévora la peu d’heures douces qui aurait pu en rester. Quoique vous disiez de mon âpreté, je suis naturellement doux et pacifique et nullement fait aux scènes violentes dont je ne me relève pas si vite. Ce n’est que la situation la plus contrariante qui a pu me faire sortir de mon caractère. Je puis dire avec vérité que tout ce qui vous entoure, amis et indifférens, a constamment conspiré contre moi, qu’on a voulu me bannir de chez vous comme un intrus. Je suis le nouveau venu par excellence et menacé de le rester toujours. Vous êtes retournée à l’ancienneté dans le rang que vous assignez à vos amis, ce n’est que dans ce court espace de temps où vous en étiez éloignée que vous aviez quitté cette règle en ma faveur. Je voyois clairement que si un tel état duroit, mon existence étoit anéantie, que comme j’avois quitté ma patrie et mes amis, la patrie intérieure des objets de mon enthousiasme, mes facultés, tout alloit me quitter à mon tour. Mais le peu de prix que je mets à tout ce que je sais être ou faire, me porte à croire qu’il ne falloit pas attacher tant d’importance à une vie déjà manquée, qu’elle étoit trop bien employée si elle servoit dans les moindres choses à la vôtre, et ce n’est que momentanément que j’ai pu concevoir la pensée de briser mes chaînes. Vous vous plaignez qu’il y a deux personnes si inégales en moi. J’ai la même plainte à former. C’est la pesonne célèbre et avide d’admiration générale, celle qui est la rivale victorieuse de tout le monde, qui m’opprime, qui me serre le cœur, qui me traite avec une hauteur que de ma vie je n’ai supportée de personne. Pourquoi imaginez-vous donc que je porte atteinte à ces prétentions? Je n’en forme aucun pour moi, je ne demande pas mieux que de passer ma vie auprès de vous dans une douce obscurité, pourvu que je ne sois pas constamment contrarié dans les goûts les plus innocents d’étude, de contemplation et d’enthousiasme. Il y a quelque chose de bon dans mes connoissances, dans mes facultés, dans mes talens, prenez-le, c’est votre propriété et ayez de l’indulgence pour ce que vous appelez mes travers. Laissez-moi revoir cette autre personne que le monde méconnoît ou du moins ne connoît pas suffisamment, celle qui est toute composée d’une bonté céleste, de la tendresse la plus pure, de la plus touchante sollicitude pour ses amis. Vous l’avez vu souvent comme elle est toute puissante sur mon cœur, qui n’est qu’une chose molle entre ses mains. Je vous promets de veiller sur tout ce qui vous déplaît en moi, dites-moi mes défauts, mais „Do not hurl them in my teeth”. N’ulcérons pas davantage des blessures déjà trop souvent ouvertes. Que la conversation d’hier soit la dernière de cette espèce, je vous conjure par cette image sur laquelle j’ai tant pleuré.
-
August Wilhelm von Schlegel to Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
-
Place of Dispatch: Coppet GND · Place of Destination: Coppet GND · Date: [vor dem 18. Oktober 1805]
-
Metadata Concerning Header
- Sender: August Wilhelm von Schlegel
- Recipient: Anne Louise Germaine de Staël-Holstein
- Place of Dispatch: Coppet GND
- Place of Destination: Coppet GND
- Date: [vor dem 18. Oktober 1805]
- Notations: Datum sowie Absende- und Empfangsort erschlossen.
-
Printed Text
- Bibliography: Pange, Pauline de: Auguste-Guillaume Schlegel et Madame de Staël d’apres des documents inédits. Paris 1938, S. 151‒153.
- Incipit: „Je vous envoye cette image chérie comme messager de paix. Celle qu’elle me retrace n’a jamais su pendant sa vie combien [...]“
-
Language
- French
Je vous envoye cette image chérie comme messager de paix. Celle qu’elle me retrace n’a jamais su pendant sa vie combien je l’aimois, mais si après sa mort elle a été témoin invisible de mes larmes et de mon désespoir elle pourroit vous dire que j’ai une âme vraiment aimante… Dès lors je croyois le reste de ma vie insipide destinée aux souvenirs déchirants, à l’isolement et à l’indifférence. Cependant je ne puis résister au besoin d’être aimé et pendant trois ans tous mes soins, tous mes efforts ont été voués à gagner et conserver un cœur. Je parvins à éveiller une affection très passionnée, mais hélas peut-être trop peu durable. Attaché uniquement par les souvenirs, dans une douce espérance pour l’avenir, je croyois néanmoins que le sentiment du plus fidèle dévouement suffiroit pour remplir une vie toute entière. Enfin je fis votre connoissance et dans l’impression que je vous faisois si peu mérité de ma part, je crus voir pour la première fois une faveur de la destinée. Quelque flatteuse et enchanteresse qu’étoit la perspective que votre bonté m’ouvroit, vous savez combien je hésitois à la suivre autant que j’avois quelque soupçon de frivolité dans vos attachemens.
Vous fûtes malheureuse et tout se décida dans un instant. Mais hélas bientôt je devois apprendre que votre malheur m’avoit aussi frappé. Quand vous commenciez à tourner vers mois vous étiez heureuse, quoiqu’éloignée du premier objet de vos affections. Tout vous parut facile et vous étiez facile sur tout. Combien êtes-vous changée depuis! D’abord un ancien lien reprit exactement par cette circonstance même des droits et un empire sur vous, que vous aviez été bien loin de me représenter dans cette force. Parmi tous vos amis j’étois le seul qui n’avoit pas connu l’objet de vos regrets, qui par conséquent ne pouvoit vous rappeler aucun souvenir attendrissant de temps plus heureux, qui ne pouvoit vous parler sur lui de sa propre connoissance. Vous ne sauriez douter que je ne respecte au plus haut point le culte d’une ombre adorée, mais c’est ce respect même qui m’a empêché de vous en parler d’une marnière superficielle, et je recueillis plutôt en silence tout ce que je vous entendis dire sur ce sujet. Je croyois pourtant ne pas blesser votre religion en tâchant de vous occuper, de vous distraire par des idées intéressantes, ce qui m’avoit réussi dans le voyage depuis Berlin à Weimar. Mais c’étoit devenu impossible. Des affaires majeures exigeoient la plus grande partie de votre tems, le reste fut emporté par une foule d’importuns. Sans doute je me sentois souvent très isolé, comme j’avois quitté ma patrie et tous mes amis, comme au milieu de distractions auxquelles je n’étois pas habitué je ne pouvois pas même retrouver le recueillement nécessaire pour mes occupations favories [sic]. Je passois souvent mes jours tristement dans une solitude bruyante. Ce n’est pas tout; mes rapports avec la société amenèrent un mécontentement continuel de votre part qui dévora la peu d’heures douces qui aurait pu en rester. Quoique vous disiez de mon âpreté, je suis naturellement doux et pacifique et nullement fait aux scènes violentes dont je ne me relève pas si vite. Ce n’est que la situation la plus contrariante qui a pu me faire sortir de mon caractère. Je puis dire avec vérité que tout ce qui vous entoure, amis et indifférens, a constamment conspiré contre moi, qu’on a voulu me bannir de chez vous comme un intrus. Je suis le nouveau venu par excellence et menacé de le rester toujours. Vous êtes retournée à l’ancienneté dans le rang que vous assignez à vos amis, ce n’est que dans ce court espace de temps où vous en étiez éloignée que vous aviez quitté cette règle en ma faveur. Je voyois clairement que si un tel état duroit, mon existence étoit anéantie, que comme j’avois quitté ma patrie et mes amis, la patrie intérieure des objets de mon enthousiasme, mes facultés, tout alloit me quitter à mon tour. Mais le peu de prix que je mets à tout ce que je sais être ou faire, me porte à croire qu’il ne falloit pas attacher tant d’importance à une vie déjà manquée, qu’elle étoit trop bien employée si elle servoit dans les moindres choses à la vôtre, et ce n’est que momentanément que j’ai pu concevoir la pensée de briser mes chaînes. Vous vous plaignez qu’il y a deux personnes si inégales en moi. J’ai la même plainte à former. C’est la pesonne célèbre et avide d’admiration générale, celle qui est la rivale victorieuse de tout le monde, qui m’opprime, qui me serre le cœur, qui me traite avec une hauteur que de ma vie je n’ai supportée de personne. Pourquoi imaginez-vous donc que je porte atteinte à ces prétentions? Je n’en forme aucun pour moi, je ne demande pas mieux que de passer ma vie auprès de vous dans une douce obscurité, pourvu que je ne sois pas constamment contrarié dans les goûts les plus innocents d’étude, de contemplation et d’enthousiasme. Il y a quelque chose de bon dans mes connoissances, dans mes facultés, dans mes talens, prenez-le, c’est votre propriété et ayez de l’indulgence pour ce que vous appelez mes travers. Laissez-moi revoir cette autre personne que le monde méconnoît ou du moins ne connoît pas suffisamment, celle qui est toute composée d’une bonté céleste, de la tendresse la plus pure, de la plus touchante sollicitude pour ses amis. Vous l’avez vu souvent comme elle est toute puissante sur mon cœur, qui n’est qu’une chose molle entre ses mains. Je vous promets de veiller sur tout ce qui vous déplaît en moi, dites-moi mes défauts, mais „Do not hurl them in my teeth”. N’ulcérons pas davantage des blessures déjà trop souvent ouvertes. Que la conversation d’hier soit la dernière de cette espèce, je vous conjure par cette image sur laquelle j’ai tant pleuré.
Vous fûtes malheureuse et tout se décida dans un instant. Mais hélas bientôt je devois apprendre que votre malheur m’avoit aussi frappé. Quand vous commenciez à tourner vers mois vous étiez heureuse, quoiqu’éloignée du premier objet de vos affections. Tout vous parut facile et vous étiez facile sur tout. Combien êtes-vous changée depuis! D’abord un ancien lien reprit exactement par cette circonstance même des droits et un empire sur vous, que vous aviez été bien loin de me représenter dans cette force. Parmi tous vos amis j’étois le seul qui n’avoit pas connu l’objet de vos regrets, qui par conséquent ne pouvoit vous rappeler aucun souvenir attendrissant de temps plus heureux, qui ne pouvoit vous parler sur lui de sa propre connoissance. Vous ne sauriez douter que je ne respecte au plus haut point le culte d’une ombre adorée, mais c’est ce respect même qui m’a empêché de vous en parler d’une marnière superficielle, et je recueillis plutôt en silence tout ce que je vous entendis dire sur ce sujet. Je croyois pourtant ne pas blesser votre religion en tâchant de vous occuper, de vous distraire par des idées intéressantes, ce qui m’avoit réussi dans le voyage depuis Berlin à Weimar. Mais c’étoit devenu impossible. Des affaires majeures exigeoient la plus grande partie de votre tems, le reste fut emporté par une foule d’importuns. Sans doute je me sentois souvent très isolé, comme j’avois quitté ma patrie et tous mes amis, comme au milieu de distractions auxquelles je n’étois pas habitué je ne pouvois pas même retrouver le recueillement nécessaire pour mes occupations favories [sic]. Je passois souvent mes jours tristement dans une solitude bruyante. Ce n’est pas tout; mes rapports avec la société amenèrent un mécontentement continuel de votre part qui dévora la peu d’heures douces qui aurait pu en rester. Quoique vous disiez de mon âpreté, je suis naturellement doux et pacifique et nullement fait aux scènes violentes dont je ne me relève pas si vite. Ce n’est que la situation la plus contrariante qui a pu me faire sortir de mon caractère. Je puis dire avec vérité que tout ce qui vous entoure, amis et indifférens, a constamment conspiré contre moi, qu’on a voulu me bannir de chez vous comme un intrus. Je suis le nouveau venu par excellence et menacé de le rester toujours. Vous êtes retournée à l’ancienneté dans le rang que vous assignez à vos amis, ce n’est que dans ce court espace de temps où vous en étiez éloignée que vous aviez quitté cette règle en ma faveur. Je voyois clairement que si un tel état duroit, mon existence étoit anéantie, que comme j’avois quitté ma patrie et mes amis, la patrie intérieure des objets de mon enthousiasme, mes facultés, tout alloit me quitter à mon tour. Mais le peu de prix que je mets à tout ce que je sais être ou faire, me porte à croire qu’il ne falloit pas attacher tant d’importance à une vie déjà manquée, qu’elle étoit trop bien employée si elle servoit dans les moindres choses à la vôtre, et ce n’est que momentanément que j’ai pu concevoir la pensée de briser mes chaînes. Vous vous plaignez qu’il y a deux personnes si inégales en moi. J’ai la même plainte à former. C’est la pesonne célèbre et avide d’admiration générale, celle qui est la rivale victorieuse de tout le monde, qui m’opprime, qui me serre le cœur, qui me traite avec une hauteur que de ma vie je n’ai supportée de personne. Pourquoi imaginez-vous donc que je porte atteinte à ces prétentions? Je n’en forme aucun pour moi, je ne demande pas mieux que de passer ma vie auprès de vous dans une douce obscurité, pourvu que je ne sois pas constamment contrarié dans les goûts les plus innocents d’étude, de contemplation et d’enthousiasme. Il y a quelque chose de bon dans mes connoissances, dans mes facultés, dans mes talens, prenez-le, c’est votre propriété et ayez de l’indulgence pour ce que vous appelez mes travers. Laissez-moi revoir cette autre personne que le monde méconnoît ou du moins ne connoît pas suffisamment, celle qui est toute composée d’une bonté céleste, de la tendresse la plus pure, de la plus touchante sollicitude pour ses amis. Vous l’avez vu souvent comme elle est toute puissante sur mon cœur, qui n’est qu’une chose molle entre ses mains. Je vous promets de veiller sur tout ce qui vous déplaît en moi, dites-moi mes défauts, mais „Do not hurl them in my teeth”. N’ulcérons pas davantage des blessures déjà trop souvent ouvertes. Que la conversation d’hier soit la dernière de cette espèce, je vous conjure par cette image sur laquelle j’ai tant pleuré.
Je vous envoye cette image chérie comme messager de paix. Celle qu’elle me retrace n’a jamais su pendant sa vie combien je l’aimois, mais si après sa mort elle a été témoin invisible de mes larmes et de mon désespoir elle pourroit vous dire que j’ai une âme vraiment aimante… Dès lors je croyois le reste de ma vie insipide destinée aux souvenirs déchirants, à l’isolement et à l’indifférence. Cependant je ne puis résister au besoin d’être aimé et pendant trois ans tous mes soins, tous mes efforts ont été voués à gagner et conserver un cœur. Je parvins à éveiller une affection très passionnée, mais hélas peut-être trop peu durable. Attaché uniquement par les souvenirs, dans une douce espérance pour l’avenir, je croyois néanmoins que le sentiment du plus fidèle dévouement suffiroit pour remplir une vie toute entière. Enfin je fis votre connoissance et dans l’impression que je vous faisois si peu mérité de ma part, je crus voir pour la première fois une faveur de la destinée. Quelque flatteuse et enchanteresse qu’étoit la perspective que votre bonté m’ouvroit, vous savez combien je hésitois à la suivre autant que j’avois quelque soupçon de frivolité dans vos attachemens.
Vous fûtes malheureuse et tout se décida dans un instant. Mais hélas bientôt je devois apprendre que votre malheur m’avoit aussi frappé. Quand vous commenciez à tourner vers mois vous étiez heureuse, quoiqu’éloignée du premier objet de vos affections. Tout vous parut facile et vous étiez facile sur tout. Combien êtes-vous changée depuis! D’abord un ancien lien reprit exactement par cette circonstance même des droits et un empire sur vous, que vous aviez été bien loin de me représenter dans cette force. Parmi tous vos amis j’étois le seul qui n’avoit pas connu l’objet de vos regrets, qui par conséquent ne pouvoit vous rappeler aucun souvenir attendrissant de temps plus heureux, qui ne pouvoit vous parler sur lui de sa propre connoissance. Vous ne sauriez douter que je ne respecte au plus haut point le culte d’une ombre adorée, mais c’est ce respect même qui m’a empêché de vous en parler d’une marnière superficielle, et je recueillis plutôt en silence tout ce que je vous entendis dire sur ce sujet. Je croyois pourtant ne pas blesser votre religion en tâchant de vous occuper, de vous distraire par des idées intéressantes, ce qui m’avoit réussi dans le voyage depuis Berlin à Weimar. Mais c’étoit devenu impossible. Des affaires majeures exigeoient la plus grande partie de votre tems, le reste fut emporté par une foule d’importuns. Sans doute je me sentois souvent très isolé, comme j’avois quitté ma patrie et tous mes amis, comme au milieu de distractions auxquelles je n’étois pas habitué je ne pouvois pas même retrouver le recueillement nécessaire pour mes occupations favories [sic]. Je passois souvent mes jours tristement dans une solitude bruyante. Ce n’est pas tout; mes rapports avec la société amenèrent un mécontentement continuel de votre part qui dévora la peu d’heures douces qui aurait pu en rester. Quoique vous disiez de mon âpreté, je suis naturellement doux et pacifique et nullement fait aux scènes violentes dont je ne me relève pas si vite. Ce n’est que la situation la plus contrariante qui a pu me faire sortir de mon caractère. Je puis dire avec vérité que tout ce qui vous entoure, amis et indifférens, a constamment conspiré contre moi, qu’on a voulu me bannir de chez vous comme un intrus. Je suis le nouveau venu par excellence et menacé de le rester toujours. Vous êtes retournée à l’ancienneté dans le rang que vous assignez à vos amis, ce n’est que dans ce court espace de temps où vous en étiez éloignée que vous aviez quitté cette règle en ma faveur. Je voyois clairement que si un tel état duroit, mon existence étoit anéantie, que comme j’avois quitté ma patrie et mes amis, la patrie intérieure des objets de mon enthousiasme, mes facultés, tout alloit me quitter à mon tour. Mais le peu de prix que je mets à tout ce que je sais être ou faire, me porte à croire qu’il ne falloit pas attacher tant d’importance à une vie déjà manquée, qu’elle étoit trop bien employée si elle servoit dans les moindres choses à la vôtre, et ce n’est que momentanément que j’ai pu concevoir la pensée de briser mes chaînes. Vous vous plaignez qu’il y a deux personnes si inégales en moi. J’ai la même plainte à former. C’est la pesonne célèbre et avide d’admiration générale, celle qui est la rivale victorieuse de tout le monde, qui m’opprime, qui me serre le cœur, qui me traite avec une hauteur que de ma vie je n’ai supportée de personne. Pourquoi imaginez-vous donc que je porte atteinte à ces prétentions? Je n’en forme aucun pour moi, je ne demande pas mieux que de passer ma vie auprès de vous dans une douce obscurité, pourvu que je ne sois pas constamment contrarié dans les goûts les plus innocents d’étude, de contemplation et d’enthousiasme. Il y a quelque chose de bon dans mes connoissances, dans mes facultés, dans mes talens, prenez-le, c’est votre propriété et ayez de l’indulgence pour ce que vous appelez mes travers. Laissez-moi revoir cette autre personne que le monde méconnoît ou du moins ne connoît pas suffisamment, celle qui est toute composée d’une bonté céleste, de la tendresse la plus pure, de la plus touchante sollicitude pour ses amis. Vous l’avez vu souvent comme elle est toute puissante sur mon cœur, qui n’est qu’une chose molle entre ses mains. Je vous promets de veiller sur tout ce qui vous déplaît en moi, dites-moi mes défauts, mais „Do not hurl them in my teeth”. N’ulcérons pas davantage des blessures déjà trop souvent ouvertes. Que la conversation d’hier soit la dernière de cette espèce, je vous conjure par cette image sur laquelle j’ai tant pleuré.
Vous fûtes malheureuse et tout se décida dans un instant. Mais hélas bientôt je devois apprendre que votre malheur m’avoit aussi frappé. Quand vous commenciez à tourner vers mois vous étiez heureuse, quoiqu’éloignée du premier objet de vos affections. Tout vous parut facile et vous étiez facile sur tout. Combien êtes-vous changée depuis! D’abord un ancien lien reprit exactement par cette circonstance même des droits et un empire sur vous, que vous aviez été bien loin de me représenter dans cette force. Parmi tous vos amis j’étois le seul qui n’avoit pas connu l’objet de vos regrets, qui par conséquent ne pouvoit vous rappeler aucun souvenir attendrissant de temps plus heureux, qui ne pouvoit vous parler sur lui de sa propre connoissance. Vous ne sauriez douter que je ne respecte au plus haut point le culte d’une ombre adorée, mais c’est ce respect même qui m’a empêché de vous en parler d’une marnière superficielle, et je recueillis plutôt en silence tout ce que je vous entendis dire sur ce sujet. Je croyois pourtant ne pas blesser votre religion en tâchant de vous occuper, de vous distraire par des idées intéressantes, ce qui m’avoit réussi dans le voyage depuis Berlin à Weimar. Mais c’étoit devenu impossible. Des affaires majeures exigeoient la plus grande partie de votre tems, le reste fut emporté par une foule d’importuns. Sans doute je me sentois souvent très isolé, comme j’avois quitté ma patrie et tous mes amis, comme au milieu de distractions auxquelles je n’étois pas habitué je ne pouvois pas même retrouver le recueillement nécessaire pour mes occupations favories [sic]. Je passois souvent mes jours tristement dans une solitude bruyante. Ce n’est pas tout; mes rapports avec la société amenèrent un mécontentement continuel de votre part qui dévora la peu d’heures douces qui aurait pu en rester. Quoique vous disiez de mon âpreté, je suis naturellement doux et pacifique et nullement fait aux scènes violentes dont je ne me relève pas si vite. Ce n’est que la situation la plus contrariante qui a pu me faire sortir de mon caractère. Je puis dire avec vérité que tout ce qui vous entoure, amis et indifférens, a constamment conspiré contre moi, qu’on a voulu me bannir de chez vous comme un intrus. Je suis le nouveau venu par excellence et menacé de le rester toujours. Vous êtes retournée à l’ancienneté dans le rang que vous assignez à vos amis, ce n’est que dans ce court espace de temps où vous en étiez éloignée que vous aviez quitté cette règle en ma faveur. Je voyois clairement que si un tel état duroit, mon existence étoit anéantie, que comme j’avois quitté ma patrie et mes amis, la patrie intérieure des objets de mon enthousiasme, mes facultés, tout alloit me quitter à mon tour. Mais le peu de prix que je mets à tout ce que je sais être ou faire, me porte à croire qu’il ne falloit pas attacher tant d’importance à une vie déjà manquée, qu’elle étoit trop bien employée si elle servoit dans les moindres choses à la vôtre, et ce n’est que momentanément que j’ai pu concevoir la pensée de briser mes chaînes. Vous vous plaignez qu’il y a deux personnes si inégales en moi. J’ai la même plainte à former. C’est la pesonne célèbre et avide d’admiration générale, celle qui est la rivale victorieuse de tout le monde, qui m’opprime, qui me serre le cœur, qui me traite avec une hauteur que de ma vie je n’ai supportée de personne. Pourquoi imaginez-vous donc que je porte atteinte à ces prétentions? Je n’en forme aucun pour moi, je ne demande pas mieux que de passer ma vie auprès de vous dans une douce obscurité, pourvu que je ne sois pas constamment contrarié dans les goûts les plus innocents d’étude, de contemplation et d’enthousiasme. Il y a quelque chose de bon dans mes connoissances, dans mes facultés, dans mes talens, prenez-le, c’est votre propriété et ayez de l’indulgence pour ce que vous appelez mes travers. Laissez-moi revoir cette autre personne que le monde méconnoît ou du moins ne connoît pas suffisamment, celle qui est toute composée d’une bonté céleste, de la tendresse la plus pure, de la plus touchante sollicitude pour ses amis. Vous l’avez vu souvent comme elle est toute puissante sur mon cœur, qui n’est qu’une chose molle entre ses mains. Je vous promets de veiller sur tout ce qui vous déplaît en moi, dites-moi mes défauts, mais „Do not hurl them in my teeth”. N’ulcérons pas davantage des blessures déjà trop souvent ouvertes. Que la conversation d’hier soit la dernière de cette espèce, je vous conjure par cette image sur laquelle j’ai tant pleuré.
×
Index
Names
- Bernhardi, Sophie ( , GND , )
- Böhmer, Auguste ( , GND , )
- Constant, Benjamin ( , GND )
- Necker, Jacques ( , GND )