Chère amie, votre lettre est remplie de choses aimables pour moi, dont je sens tout le prix. Mon absence vous fait toujours un bon effet, surtout le premier jour. Si ma présence en faisoit un pareil, nous serions parfaitement heureux. Car moi, j’aime la présence et même la présence exclusive. Je ne demanderois pas mieux que de vivre solitairement dans ce château avec une personne chérie. Je trouve plus de plaisir à voir percer les fleurs sauvages qu’à tout le caquetage de la société.
Je serai prêt pour vous accompagner dans votre voyage de Lausanne, quoiqu’il ne me plaise guère pour vous. Mais tout cela est devenu bien indifférent.
Albert n’est pas d’une activité prodigieuse; cependant il lit et il s’occupe. De deux jours l’un, il va à la chasse. Il faut bien lui accorder cet exercice - c’est un goût innocent et même utile. Il persiste à dire qu’il ne souhaite pas le retour à Genève. Nous causerons à loisir sur lui quand je vous verrai.
Dites à Albertine que si elle n’étudie pas je perdrai mon latin à lui en enseigner.
Je travaille beaucoup et surtout je compose. La solitude est pour moi un grand moyen d’inspiration, et mon sujet me transporte tout à fait dans les anciens tems, tandis que j’abhorre celui-ci.
Adieu, chère amie, dites-moi si mon souvenir s’est déjà effacé. Vendredi matin.