Je continue mon voyage par le tems le plus déplorable qu’il est possible d’imaginer. Il faut vraiment du guignon pour cela dans cette saison-ci. En général jusqu’ici je n’ai pas voyagé pour étendre mes connoissances, ni pour jouir des objets. Je n’ai pas voulu donner une heure à la chute du Rhin, je me suis contenté de découvrir du haut du grand chemin une partie de ce superbe chaos de vagues. J’avois une envie presque invincible d’aller à la grande église à Ulm, pour y revoir certains prophètes et sybilles taillés en bois par un ancien maître, mais je n’ai pas voulu m’arrêter.
J’aurois été fort curieux de voir le Comte de Zeppelin chez qui j’ai dîné à Paris. Depuis, d’ambassadeur qu’il étoit, il est devenu Ministre d’Etat, ensuite Landvogt ou Gouverneur à Ulm et il alloit être déplacé. On l’y regrette beaucoup, à ce qu’on m’a assuré. Ma connoissance avec lui est trop légère pour aller le trouver en voyageur de grand matin.
J’arriverai ce soir à A[ugsbourg] et je continuerai pendant la nuit et je serai demain dans la matinée à Munich. Je suis heureux d’avoir pris une calèche de voiturier; dans une chaise de poste à demi-couverte j’aurois été mouillé jusqu’aux os.
J’ai trouvé partout les routes fort bien entretenues. On traverse le Badois sans que personne ne vous dise ni ne vous demande rien, et le territoire badois a été fort agrandi de ce côté: tout ce qui étoit wurtembergeois autrefois y a été ajouté. Il en est autrement dans le Wurtembergeois; à Mengen, la première poste du Wurtemberg, le maître de poste m’a demandé mon passeport pour le faire viser par le bailli. Je ne sais pas comment on fait en passant de nuit, s’il faut attendre ou si le pauvre bailli doit se lever. A chaque poste le maître de poste vous présente un livret dans lequel on inscrit son nom et la station d’où l’on vient et où l’on va. A Ulm il a fallu envoyer mon passeport à la police, qui l’a visé et gardé jusqu’à mon départ. On a demandé encore de le voir à la poste en sortant. Mais tout cela ne sont que des formalités minutieuses, je n’ai eu besoin de me présenter moi-même. Cela fait seulement perdre quelque tems au voyageur.
Je me suis servi de mon passeport suisse pour voir s’il étoit parfaitement bon sans la signature de M. Falk que j’avois négligé de me faire donner et j’ai vu qu’on avoit eu tort de me dire qu’il le falloit.
Pour notre ami qui aime les contrées montueuses, je me suis informé de la route d’Inspruck. Elle passe par Zurich et St-Gall à Feldkirch: de Zurich jusqu’à cette dernière ville ce sont deux journées de voiturier; à Feldkirch on trouve la poste, on passe le Arlberg qui ne doit pas être une montagne fort rude. Il y a 10 postes jusqu’à Inspruck. Je crois que se trouvant à Coire, il faudroit tout de même faire le détour de Feldkirch.