Depuis mon départ de Coppet, chère amie, je n’ai pas encore eu de vos nouvelles, et cependant voici la troisième lettre que je vous écris.
Je me suis logé chez Mlle Wagner, dans l’appartement de la jolie dame d’honneur de la grande duchesse. Il y a de quoi réchauffer mon imagination et j’en ai besoin, car n’ayant pu trouver de chambre à cheminée, je grelotte tout le tems.
M. de Schr[aut] m’a accueilli comme à l’ordinaire. Lorsque je lui expliquois pourquoi je n’avois pas encore fait usage de ses passeports pour moi et mes compagnons de voyage, il me dit: ces passeports sont donnés pour les employer quand on le trouve à propos; du reste si vous les trouvez trop vieillis, je serai toujours prêt à les renouveler.
M. Von der Lahr est effectivement parti pour l’Allemagne; avant-hier j’ai dîné avec lui au Faucon. Il s’est offert très obligeamment à faire mes commissions si j’en avois. Vraiment cet homme fait pitié à voir, car s’il n’a pas l’air d’un pendard il a la mine d’un pendu. Quelqu’un qui l’avoit rencontré dans la rue me fit des questions sur lui et sur son procès, en ajoutant qu’il devoit avoir de bien pauvres espérances, puisqu’il étoit impossible de voir un homme plus accablé et plus soucieux. Je pense que vous lui devriez céder votre terre, non pas en stricte justice mais in aequo et bono.
Je n’ai pas encore pu voir M. de Freudenreich, il avoit hier à dîner les députés qui sont ici pour négocier avec l’ambassadeur de Fr[ance]. M. de Watteville, qui est aussi dans cette députation, doit revenir de Paris l’un de ces jours. Madame de Freudenreich, la femme de l’avoyer, a été fort dangereusement malade, elle est encore en convalescence.
Pour le moment ce pays jouit d’une grande sécurité. On n’a aucune idée comme cette ville est peu bruyante; je crois être venu à la campagne, ayant quitté une grande résidence qui étoit la vôtre. Tout est si tôt fini le soir que les nuits sont d’une longueur insurmontable, et le meuble le plus nécessaire pour moi c’est un briquet phosphorique pour allumer de la lumière avant le jour.
Adieu, chère amie, donnez-moi bientôt de bonnes nouvelles de votre santé.
Godefroi compte aller à Genève le 5 ou 6 janvier. Il s’intéresse toujours vivement à ce qui vous concerne.