Chère amie, il faut prendre patience, c’est encore un jour de fête et cela pourroit causer des délais. Du reste, autant que nous n’avons pas les passeports de M. de St[aël], il n’y a pas de tems de perdu pour le grand voyage et pourvu que vous soyez tolérablement, il est indifférent d’être à Brünn ou dans tel autre endroit.
J’aurois voulu amener Ug[inet] chez M. de Bunge, pour lui donner des renseignements ultérieurs et lui montrer la note des personnes de votre suite avec les signalements composés d’après les passeports suisses. Mais j’ai été chez lui plusieurs fois hier, après-dîner et soir, sans le trouver seulement ce matin j’ai appris qu’il étoit allé à la campagne et je l’ai envoyé chercher.
Je viens de chez M. de Bunge avec qui j’ai causé à fond sur votre affaire. Il vouloit se rendre à la Chancellerie d’Etat, car comme ambassadeur il n’a aucun rapport officiel avec le ministre de la police; d’ailleurs la chose n’est pas du ressort de M. de Hager, le passeport qu’on n’a pas trouvé suffisant ayant été délivré par une autorité supérieure. La police ne peut faire autre chose que certifier qu’il n’y a point obstacle civil, par exemple des dettes, pour qu’une personne parte.
Je retournerai chez votre ambassadeur à midi lorsqu’il pourra avoir fait sa course et il m’en dira le résultat.
Il est fâcheux que vous ayez eu si peu de tems pour nous écrire, car vos deux lettres ne laissent pas que d’être extrêmement vagues et confuses, et quoique j’aye beaucoup étudié la mienne il y a des choses que je ne sais pas m’expliquer. Il auroit mieux valu que vous eussiez écrit à M. de Bunge une lettre dans les formes les plus officielles, contenant un exposé clair et détaillé de toute la difficulté qu’on vous fait, et qu’il eût pu produire dans sa démarche. Croyez-moi, il faut traiter les affaires avec le plus grand sang-froid et avec toute la méthode imaginable. C’est uniquement cette inexactitude des données qui cause le délai actuel.
A 5 heures. – Je suis désolé, chère amie, de devoir vous annoncer que la démarche de M. de B[unge] a été infructueuse. On lui a dit que dans toute votre route vous n’éprouveriez aucune difficulté, ni vous ni votre suite, à l’exception d’une seule personne qu’on s’obstine à ne pas vouloir reconnoître comme y étant comprise, que cette personne ayant pris un pp [passeport] ou un visa pour une autre route ne pourroit pas aller sur celle de la Gallicie. Le chef actuel, en absence de M. de Mett[ernich], a dit qu’il agissoit par des ordres supérieurs et qu’on n’obtiendroit jamais ce point-là. Il est fâcheux que M. de Mett[ernich] ne soit pas ici, parce qu’on auroit su d’abord à quoi s’en tenir en dernier résultat. M. de G[enz] doute qu’il puisse lever cette difficulté. Si M. de Mett[ernich] restoit à Prague je lui aurois bien envoyé une estafette; mais il s’en va demain en suivant l’Empereur d’Autriche à Carlsbad, à Eger, ensuite à l’une des terres d’où il ne pourra être de retour ici que le 10 juillet au plus tôt. La réponse à une lettre qu’on lui écriroit arriveroit donc probablement plus tard que lui-même. D’ailleurs il disoit avec raison qu’il ne peut rien répondre de définitif sans avoir entendu le rapport de la Chancellerie d’Etat.
Cependant je vous conjure de vous tranquilliser: il n’y a point de tems de perdu puisque les pp [passeports] de M. de St[aël] ne sont pas encore arrivés. On est intéressé à lever toutes les difficultés qui s’opposeroient à la continuation de votre voyage – mais il y a tel point sur lequel on ne cédera point. Vous verrez cela bien plus clairement en recevant la lettre de M. de B[unge], qui m’a dit qu’il lui étoit impossible de vous écrire aujourd’hui, mais qu’il le feroit infailliblement demain.
Depuis que j’ai reçu votre lettre hier je ne me suis pas occupé un seul instant d’autre chose que de votre affaire – peut-être seroit-ce utile que je vinsse moi-même à Br[ünn] pour discuter nos projets ultérieurs; mais en tout cas j’aurois encore à voir des personnes ce soir et demain – je ne suis donc pas sûr du temps de mon départ, ni même si je ne trouverai pas plus nécessaire de rester ici. La principale utilité seroit de vous dire mille choses qu’on ne peut pas écrire par la poste. Mais au nom du ciel soyez convaincue que le sang-froid et la présence d’esprit est la seule chose qui fasse avancer les affaires et qu’on ne fait rien avec tout le reste.
Eug[ène] sort de chez moi; il n’a pas encore votre lettre et peut-être ne pourra-t-il pas l’avoir, les bureaux étant fermés aujourd’hui.