Chère amie, je vous ai écrit d’abord après mon arrivée en hâte, et principalement pour vous donner des nouvelles d’Albert. Je puis vous en donner de plus fraîches aujourd’hui. M. de Forselle, aide-de-camp du Pr[incel R[oyal], a quitté Hambourg le 20 à dix heures du soir. Il a vu Albert en bonne santé et point blessé, quoiqu’il ait eu quelques balles dans son habit. Il m’a confirmé ce qui m’est revenu de tous les côtés, c’est-à-dire qu’Alb[ert] s’est battu avec une bravoure extrême, qu’il a constamment animé et devancé les troupes de nouvelle levée au combat, et que surtout les Mecklembourgeois l’aimoient à la folie. Cependant je ne puis pas vous cacher que le Prince Royal est mécontent de sa démarche. Il blâme Albert d’avoir dépassé ses instructions, lesquelles portoient qu’il devoit attendre ici son arrivée. La bravoure, m’a-t-il dit, est une qualité toujours supposée dans un soldat, à plus forte raison dans un officier. Mais l’essentiel est l’obéissance et la subordination. Enfin la chose a été contraire à ses intentions. Je ne doute pas qu’il ne soit déjà rappelé, mais j’espère que cela se bornera à une sévère réprimande.
Tettenborn ne s’étoit pas déshabillé depuis 19 jours; on a été tort alarmé à Hambourg, mais à présent la ville paroît rassurée. Une division suédoise est sur l’Elbe de ce côté-là – une flottille anglaise était attendue incessamment – elle devoit se jeter entre la ville et les isles. On est aussi rassuré sur Berlin, où la frayeur a été également fort grande, mais nous n’avons point encore de nouvelles du quartier général russo-prussien. Pozzo di Borgo et après lui Lowenhielm sont repartis pour là – force officiers partent et arrivent de tous les côtés; c’est une scène mouvante, extrémement animée.
Le Prince Royal m’a décoré de ses propres mains de l’Ordre de Wasa avec une grâce parfaite, comme il fait toutes les choses. Ma nomination n’a pas encore eu lieu, mais elle sera expédiée incessamment, à ce que m’a dit M. de Watterstedt. Du reste, jusqu’ici je n’ai point encore eu du travail.
J’ai reçu une lettre fort intéressante et profondément pensée sur les affaires d’Allemagne du Cte de Munster.
On m’a chargé de mille choses pour vous: Pozzo di B[orgo], Lowenhielm, le Général Hope, le jeune Suchtelen, Maisonfort qui vient de partir pour Hambourg, Suremain, le Comte de Brahé et beaucoup d’autres personnes de la société de Stockholm que je ne puis pas nommer toutes. Thornton est entre ici et l’isle de Rügen, où il a laissé sa femme; il repasse chaque soir le détroit comme Léandre celui de l’Hellespont pour voir sa bien-aimée Héro – c’est d’un ridicule achevé. Le Duc de Cumberland n’est resté ici que deux jours; j’ai causé avec lui pendant une heure en allemand; certainement il ne manque pas d’esprit. Les ministres d’Etat hanovriens (in partibus) sont ici, enfin le monde afflue de tous les côtés. Quel plaisir ce sera de nous retrouver, chère amie, dans un tems de repos après tout ce que nous aurons vu de part et d’autre! Ce tems arrivera, je l’espère, mais il y a encore des difficultés à vaincre pour y arriver.
Ne comptez pas ceci pour une lettre – je vous écrirai à tête reposée aussitôt que je pourrai me recueillir dans ce tourbillon. Je ne sais pas si ces lignes vous atteindront encore en Suède. Ne craignez pas tant la mer – je n’ai été malade qu’un seul instant – du reste j’ai toute la journée joué aux échecs et j’ai gagné. Il est vrai qu’une frégate est comme un château flottant.
Adieu, chère amie, mille amitiés à Albertine et à Auguste.