Chère amie, les choses marchent grandement. De notre côté et de celui de la Silésie, il n’y a eu que des succès brillants, et qui n’ont été entremêlés d’aucun revers. Les Autrichiens ont éprouvé un grand échec, mais ils l’ont réparé par la destruction du corps de Vandamme. Vous connaîtrez les détails par le courrier et par les bulletins ci-joints. Deux fois le Prince Royal a sauvé Berlin par ses savantes manœuvres. Il est vrai que les Prussiens ont combattu avec un courage héroïque et ce n’est plus l’armée, c’est la nation, car la Landwehr a fait des merveilles. Les Russes se sont distingués surtout dans la poursuite. Les Suédois n’ont jusqu’ici eu guère l’occasion de donner et ils sont fort impatients de se signaler à leur tour. Il n’y a que 25 jours depuis l’expiration de l’armistice, et l’on peut dire que déjà deux armées ennemies ont été détruites, celles qui étaient opposées à nous et à Blücher. Ce qui en a échappé a perdu ses munitions et son artillerie et est entièrement désorganisé. Un officier bavarois prisonnier, à l’interrogatoire duquel j’assistai hier, assurait qu’une grande partie des troupes rhénanes se débandent pour retourner dans leurs foyers. Bonap[arte], qui jusqu’ici a vraiment agi en désespéré, croyant que ses coups d’audace lui réussiraient encore, semble enfin songer sérieusement à la retraite. Nous verrons bientôt, j’espère, la catastrophe du grand drame. Moreau est mort le 2 sept[embre] à Lauen en Bohême, paisiblement comme un homme de bien. A-t-il fallu une victime pure pour expier les crimes passés ? Le ciel sera-t-il désormais reconcilié avec la France? Et cessera-t-elle pour sa propre punition d’être le fléau de l’Univers? Un homme sur lequel je compte infiniment pour le succès de la bonne cause c’est l’Empereur de Russie. Les événemens ont prodigieusement développé son caractère et il grandit chaque jour avec les circonstances. Pozzo qui l’a vu dans l’intimité me l’assure, et on l’apperçoit (sic) même de loin.
Quel terrible mélange d’émotions que celui que produit la guerre! J’étais en arrière pendant la bataille de Dennewitz, avec le cabinet et l’intendance. Le lendemain nous fûmes invités à rejoindre le Prince; j’arrive tard à Treuenbrietzen, je me couche sur des chaises sous une fenêtre, je ne pus dormir de toute la nuit, j’entendais les gémissements des blessés, qu’on transportait et qu’on ne pouvait pas mettre tout de suite à l’abri. Le lendemain arrivé ici, je vis sur la grande place une foule de prisonniers et des canons pris. Je tressaillis à des coups de canon, c’était le Te Deum chanté pour la victoire dans tous les camps d’alentour.
Et le pauvre Albert n’en est plus! C’est mon éternel refrain. Hélas! pourquoi vous tourmenter, chère amie? Le Chev[alier] d’Yvernois vous apporte vos lettres à votre fils, vous y trouverez une grande source de consolations; vous verrez que vous avez tout essayé, la tendresse, et la sévérité. Que peut l’éducation contre une telle complication de passions? Lorsqu’un cheval fougueux a pris son élan vers un précipice, tout l’art du manège est en défaut. Dieu lui pardonnera ses écarts en vertu de son cœur généreux. Infortuné jeune homme! Je le pleurerai de nouveau à chaque nouvelle occasion.
Je suis occupé maintenant, et le Prince Royal est extrêmement bien pour moi.
Adieu, chère amie, mille tendres amitiés et mes bénédictions à la chère Albertine. Beaucoup de choses à Auguste et à M. Rocca.
Témoignez à M. Mackintosch mon adimiration.
Soyez tranquille sur mon compte, je ne me laisserai pas tomber entre les mains de l’ennemi. J’ai deux bons chevaux de trait, mais je voudrais en avoir un de selle pour voir enfin quelque chose et ne pas toujours rester auprès des bagages.