Monsieur
J’ai dû attendre que je pusse passer quelques jours à Paris pour prendre des renseignements sur l’affaire dont vous aviez bien voulu me charger. J’ai trouvé qu’il sera bien difficile de rencontrer un libraire qui imprimât à ses frais un ouvrage sans nom d’auteur et dont on ne doit pas même lui nommer l’auteur, pour se conformer strictement à votre intention. Le public, en effet, il le faut avouer, n’a pas assez d’esprit ou ne se fie pas assez à lui même, pour faire tout seul la destinée d’un livre; il faut un nom qui lui dise qu’il doit lire et qu’il s’en trouvera bien. À la titre votre nom ferait tout-à-fait l’affaire; mais c’est précisement ce que vous ne voulez pas donner. Je n’ai fait que passer à Paris, mais j’ai pourtant [2] causé à fond avec des libraires en vogue. Leur première question a toujours été: „Mais de qui est l’ouvrage“! Je leur ai dit qu’il était d’un homme d’un esprit rare en tout temps et par tout pays. Jusque là je suis resté, comme vous voyez, dans l’exacte vérité. Mais le public veut un nom propre, et il le préfère avec raison à toutes les définitions. Je verrai certainement encore à mon retour, s’il n’y a pas moyen de tourner cette difficulté.
Md. d’H. me demande de vous faire mille tendres complimens. Elle est accouchée récemment d’un petit garçon très robuste et d’un air très eveillé, qui porte le nom de Bernard, étant par son père le petit neveu de Ste. Bernard. Je ne crois pas qu’il prêche jamais la croisade. Il ira peut-être quelque jour faire ses cours à l’université de Bonn, et il s’arrangera pour que vous ne le mettiez point du nombre de ces grenouilles [3] qui ne quittent pas le fond de leur puits et ne voyent rien au delà. Bien qu’en ma qualité de grenouille valétudinaire je reste aussi au fond de mon puits, je n’en vois pas moins de loin Bonn & votre charmante maison où je désirerais passionnément passer au moins quelques jours.
Malgré les difficultés pour l’impression, ne verrai-je pas ce second cahier? Je le mérite par ma très sincère admiration.
Je ne vous dis point de nouvelles de Paris; il n’y en a pas la moindre.
Mille sentimens dévoués & respectueux
X Doudan
J’espère que vous serez plus content de cette énorme écriture. Je fais de mon mieux, mais javoue que ce n’est pas beaucoup dire.
[4] [leer]