Monsieur,
J’ai fait remettre à M. Burnouf & à M. de Golbery les exemplaires que vous leurs destiniez. J’ai aussi renvoyé par la petite poste l’échantillon de marchandise biographique qui vous avait été adressé. C’est, il en parut convenir, un progrès remarquable de l’industrie, que de pouvoir donner la gloire au prix de quinze ou vingt sols la ligne; mais il semble aussi qu’on ne devrait offrir de cette gloire là qu’à ceux qui n’en peuvent avoir autrement. Nous venons d’avoir à l’institut une séance où M. de Rémusat a lu, sur les origines de la littérature française, un morceau plein d’esprit & de vues qui aurait certainement mérité votre interêt. Les deux volumes qu’il a publiés sur la philosophie, il y a deux ans, sont-ils tombés sous vos yeux? Il a un esprit très rare et c’est grand dommage que cet esprit soit plongé dans cette poussière des batailles parlementaires. Aurez-vous lu le grand discours par lequel M. Cousin a ouvert le débat sur l’instruction secondaire? La pauvre philosophie est poursuivie pour le quart d’heure par une demi douzaine d’esprits de travers qui la prennent pour un chien enragé. Ce qui est certain c’est [2] qu’en traquant le chien le plus doux on finit par le rendre méchant.
Voulez-vous bien me permettre de vous dire que vous me traitez fort mal. Vous me refusez toute conversation sur les sujets de philosophie et de littérature. Mon admiration très sincère et déja bien ancienne mériterait, en bonne justice, un traitement plus doux. Vous avez la bonté de me dire, il est vrai „Venez à Bonn et je vous répondrai sur tous les sujets“. Mais il est cruel de dire à un pauvre homme qui ne peut pas faire dix lieues sans être fort souffrant „Je ne vous dirai rien, si vous ne faites pas cent cinquante lieues au grand galop de la malle poste“
Je me recommande donc à votre infinie miséricorde. Je n’appartiens pas à la classe des gens qui n’ont pas plutôt reçu une lettre d’un homme célèbre qu’ils la mettent sur le champ dans les journaux.
Mille tendres respects
X Doudan
[3] [leer]
[4] [leer]