Votre envoi, Monsieur, mʼa fait grand plaisir, je suis vraiment confus de toute la peine que vous vous êtes donné pour moi. Je vois bien que le poème de Fortunatus ne contient quʼune exhortation à son ami de lui écrire fut-ce même dans la langue et le caractère le plus étrange. Je rapporte cependant le vers suivant encore aux Runes:
Barbara fraxineis pingatur runa tabellis,
Quodque papyrus agit, virgula plane valet.
Une baguette peut remplacer le papier, puisquʼon inscrivait souvent les runes sur des bâtons. Le fait important est quʼun prêtre Italien du VIème siècle, vivant dans les Gaules, connaissait les Runes. Jʼai trouvé beaucoup de traces de leur usage généralement répandu parmi les nations Germaniques, et à cet égard comme sur beaucoup dʼautres points je ne puis nullement admettre les prétentions exclusives des antiquaires scandinaves.
Pour lʼhistoire ecclesiastique vous Mscrits vaudois sont peut-être tous également curieux – celui qui mʼintéresse le plus, est le premier, et si je pouvais passer quelques jours à Genève, [2] je voudrais bien le lire en entier. Jʼai cependant de la peine à le croire aussi ancien que le fait Mr Senebier, à cause des Alexandrins que je ne trouve que chez les troubadours postérieurs.
Dans votre Ulphilas de Junius il y a une feuille mal cousue, mais jʼen aurai soin. Le titre annonce un glossaire qui ne se trouve pas et qui probablement compose un volume à part. Jʼai laissé en Allemagne une edition de Stjernhjelm qui contient un bon glossaire étymologique, mais elle est imprimée en caractères latins.
Jʼai découvert un défaut dans le 1er Vol. de la collection de Bouquet, les pages 651-654 de la feuille Nnnn manquent, et les mêmes du VIIIème Volume y sont substituées, peut-être les pages en question se sont-elles égarées dans ce dernier. Jʼétais fort étonné de trouver Charles le Chauve au milieu des Gaulois. Si Vous aviez eu alors lʼinspection de la Bibliotheque cela ne serait pas arrivé.
Venez donc nous voir, et puisque vous repartez de bonne heure, venez de bonne heure afin que nous puissions causer à notre aise de mes billevesées érudites. On ne sait pas combien de temps nous resterons voisins – lʼhorizon me paraît bien obscurci.
[3] Que dites vous de notre renegat Simonde? Quel article de Moniteur! Je nʼen suis pas étonné – je lui ai senti depuis long-temps une forte odeur dʼhérésie politique. Pense-t-il que son style devient meilleur, pour avoir abjuré Geneve et sʼétre jeté au cou de la nation française? Il sʼy prend avec la même grace que lorsquʼil saisit une dance pour valser avec elle.
Au plaisir de vous revoir
Tout à Vous
Schlegel
[4] [leer]