[1] Monsieur,
Je vous renvoie votre Ammien avec beaucoup de remerciements. Permettez-moi de garder encore un peu les éditions dʼUlphilas et Junius. Je tâche dʼapprofondir les énigmes de cette langue, mère de la nôtre, ou plutôt la même à la distance de quatorze siècles. Vous mʼavez fourni dʼexcellents renseignements sur la littérature gothique. Jʼy ajouterai quelques notices que jʼai trouvées depuis.
Le diplôme gothique trouvé à Naples, et expliqué par Ihre, est un contrat de vente; il a été gravé dans les Papyri Diplomatici de lʼabbé Marini, publiés à Rome en 1805, dans lʼimprimerie de la Propagande.
Quelques fragments dans cette langue, trouvés dans la bibliothèque de Wolfenbuttel, ont été publiés par un Allemand nommé Knittel. Tout cela doit aussi se trouver dans lʼédition dʼUlphilas par Zahn, laquelle, à ce quʼil paraît, est la plus complète de toutes.
B. Aldrete, del Origen y principio de la lengua castellana, 1606, 4°, doit contenir [2] des échantillons dʼécriture gothique. Ce livre existerait-il par hasard dans la bibliothèque de Genève?
Lambecius parle de manuscrits en caractère toletan ou gothique dans la bibliothèque de Vienne. Ils y auront été apportés ou dʼItalie ou dʼEspagne par Charles V et son frère
Il paraît que les Goths se sont beaucoup mêlés dʼécrire. LʼAnonyme de Ravenne ne cite pas moins de trois écrivains de cette nation qui avaient écrit sur la géographie des Gaules: Athanaridus, Heldebaldus et Marcomir. Ces ouvrages étaient-ils composés en latin ou en langue gothique? Il ne le dit pas; mais la dernière supposition me paraît plus probable, parce que rien de tout cela ne nous est parvenu. Des livres écrits dans une langue devenue inintelligible devaient nécessairement se perdre.
Je pense, après tout, que dans lʼétymologie des langues romanes, en y comprenant le français, on doit beaucoup plus recourir au gothique quʼon ne lʼa fait jusquʼici.
Ces temps orageux ne sont pas favorables aux études; cependant je trouve que cʼest le seul moyen de se distraire pour quelques instants [3] de mille pensées pénibles. Je souhaite fort que nous ayons assez de calme pour que je puisse venir passer quelques jours à Genève; mais je ne lʼespère guère. Jʼai de beaux livres indiens que je vous montrerai si vous venez nous voir ici.
Tout à vous,
SCHLEGEL.
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