Paris le 15 mai 1826.
Le Secrétaire de la Société, Membre de l’Institut Royal de France, à Monsieur le Professeur A. G. de Schlegel, à Bonn.
Monsieur,
J’ai reçu, avec la lettre que Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le morceau en réponse aux articles de M. Langlois et dont Vous réclamez l’insertion au Journal Asiatique. Cette insertion n’est qu’une foible et tardive justice à Vous rendre: j’ai partagé les sentimens que Vous dites que M. Colebrooke a eprouvés en lisant la critique agressive dont Vous avez été l’objet. Je suis en général d’opinion que les discussions littéraires ne sauroient jamais être poursuivies avec trop de liberté: c’est assez Vous dire combien j’ai eu personellement de disposition à accueillir tout ce qu’il Vous plaira d’opposer aux diatribes dont Vous avez été l’objet, et je trouve d’ailleurs que Vous devez seul juger du degré où il Vous convient de porter la vengeance, et de la voie pour laquelle il faut lui [2] assurer la publicité. J’ai été confirmé, plutôt qu’ebranlé dans toutes ces idées en lisant attentivement Votre réponse, et aux motifs que j’avois d’avance pour en souhaiter l’insertion, il s’en est joint de nouveaux tirés de ce qu’il m’a paru y avoir de juste, de fondé et d’incontestable dans toutes Vos allégations. J’aurois donc immédiatement rempli Vos intentions en partant sans aucun délai Votre Article à la Commission chargée d’examiner et constituée maitresse de rejetter ou d’admettre tout ce qui doit faire partie du Journal, si je n’avois trouvé en deux ou trois endroits des passages qui, lorsque certaines persones en auroient connoissance soit avant, soit après la publication, ne manqueroient pas d’exciter la plus vive rumeur au sein de notre conseil. De Vos adversaires un seul a mérité de compter pour quelque chose. et celui-là a des amis qui, non seulement compatissent à ses faiblesses, mais encore se laissent volontiers entrainer à ses préventions. Comme il ne leur faudra qu’un prétexte, ils le trouveront dans ce que Vous dites des intentions qui ont pu diriger Vos detracteurs. Ces intentions persone ici n’en conteste sa réalité. Mais les actes qui les constatent demeurent secrets et Vous n’en avez pas, comme nous disons ici, la preuve légale. Il me paroit donc que Votre défense gagneroit en solidité, en justesse, en véritable énergie, en en retranchant ce qui peut n’être pas sans réplique. Alors aucun de nous ne craindroit d’en demander l’impression, d’en donner, s’il le falloit, connoissance [3] préalable au Conseil, de signifier le jugement que nous en portons à M. Chézy lui-même qui, par parenthèse, est du nombre des Commissaires. Les gens que Vous frappez se sont, depuis deux ans, conduits avec moi d’une manière qui ne Vous fera pas soupçοnner que je sois guidé en parlant d’eux par aucun sentiment de partialité. Je ne leur dois et ni leur porte que le genre de ménagement qu’il est de bon gout d’avoir pour des confrères, pour des persones que l’on rencontre chaque jour et en tous lieux. Je n’ai aucun motif de leur epargner le déplaisir d’une réfutation ou les désagrémens d’une discussion publique. Ce que je voudrois, ce n’est pas dans leur intérêt, mais bien plutôt dans celui de leur illustre adversaire, que l’on leur opposât que des argumens littéraires et des preuves sans réplique. Il faudroit un très petit nombre de retranchemens et de bien légères modifications pour assurer cet avantage à Votre morceau, et si Vous partagiez mon opinion à cet egard, je pourrois, à Votre choix, ou adoucir d’après Vos ordres les endroits que je Vous indique, ou Vous renvoyer l’article pour que Vous l’adoucissiez Vous-même. Il est bien entendu, dans l’un et dans l’autre cas qu’on ne Vous demande le Sacrifice d’aucune des raisons, quelque vivement qu’elles puissent être exprimées, qui sont pour quelque chose dans la cause, mais seulement de certaines epigrammes très justes mais trop poignantes pour entrer dans le Journal de la Société que dirigent ceux qu’elles atteignent. Avant de prendre un parti officiel, j’ai voulu, Monsieur, Vous [4] soumettre confidentiellement ces observations. A Votre réponse je m’empresserai de me conformer à ce que Vous aurez règlé, quelque parti que Vous adoptiez, et si Vous le jugez à propos, je me présenterai devant la Commission du Journal pour subir l’epreuve de son jugement.
Veuillez agréer la nouvelle assurance des sentimens d’admiration et de la considération la plus distinguée avec lesquels je suis,
Monsieur,
Votre très humble & très obéissant serviteur,
JP. Abel-Rémusat
P.S. Vous recevez le rapport sous bande,
immédiatement après qu’il sera terminé d’imprimer.
Votre nom y occupe tant de place qu’il est juste que
Vous soyez des premiers à le lire.