Mon cher Gourou, je Vous envoye sous bandes par le courier d’aujourd’hui mon Bhagavad-gîtâ, que je Vous prie d’accueillir avec bienveillance. Vos notes et remarques dont je Vous suis infiniment reconnoissant, me sont arrivées en temps utile — elles m’ont fourni l’occasion de faire honneur à mon commentaire de Votre nom. Je vous ai adressé aussi mes remercimens dans la peroraison de ma préface. Je m’étois adressé a Mr Schulze de peur de Vous importuner — j’ai été tout fier et joyeux d’avoir une lettre de votre main et j’allois Vous répondre le lendemain. Mais j’ai différé ensuite pour Vous envoyer en même temps mon travail, dont l’achèvement a traîné un peu en longueur comme il arrive. J’espère que Vous parlerez prochainement de moi dans Votre Journal Asiatique — il n’y a pas de suffrage que j’ambitionne davantage.
À mon grand chagrin Vous persistez toujours à dire que Vous ne voulez rien donner au public de Vos trésors. Vous vous plaignez du nirvāṇa mais cet état, selon mon poète, est la béatitude suprème — il est donc clair que Votre état n’est pas le nirvāṇa — Ce qui Vous empêche de publier des travaux presque achevés depuis longtemps, c’est plutôt, permettez-moi de le dire, cher Gourou — la dīrghasūtratā — qualité ténébreuse et dont un homme sāttvikaḥ comme Vous, devroit être entièrement affranchi. [2] D’après la tournure que les choses semblent prendre, il se pourra passer encore un temps considérable avant que Vous ayez des caractères Dévanagari à votre disposition à Paris. Si Vous vouliez publier un ouvrage qui en exigeât l’emploi, Vous pourriez peut-être le faire imprimer à Bonn. Les caractères, il est vrai, appartiennent au Gouvernement — mais je me crois sûr d’en obtenir la permission nécessaire pour imprimer ici les écrits d’un savant aussi célèbre que Vous l’êtes. Je vous arrangerois à Vous ou à votre libraire de Paris les frais de l’impression le plus économiquement possible — je n’y mettrois qu’une seule condition, c’est que les mots Sanscrits fussent nus en Devanagari et non pas en écriture Bengalique. Ensuite je me chargerois bien volontiers de la revision des épreuves. Mon Bh. G. me coûte 1,200 fr. environ, mais j’ai réimprimé plusieurs parties et je n’ai rien épargné.
Je pars en ce moment pour l’Angleterre — si Vous avez des commissions savantes à me donner, je les ferai de mon mieux — adressez les moi chez MM. James Cazenove & Co. Banquiers à Londres. Je n’y resterai que deux mois tout au plus — mais je vais, comme il convient à un Mouni, śiṣyasahitaḥ — j’amènes avec moi mon élève élu pour lequel j’ai obtenu une petite bourse de voyage, et il restera après moi. En général je ne saurois vous vanter assez la libéralité de notre gouvernement, et les encouragemens qu’il accorde à ce genre d’études.
Vous avez toujours l’avantage sur nous de vivre [3] constamment en présence des manuscrits — Vous étes un ancien habitué du Gange, et nous ne sommes que des yavanāḥ des mlecchāḥ — Mais n’importe: nous travaillerons tant qu’à la fin les dvijakulatilakāni eux mêmes diront que nos éditions n’ont pas trop mauvaise façon. Adieu, cher Gourou — il ne se passera pas bien longtemps que je ne revienne sur les bords de la Seine Vous salues et renouer nos agréables entretiens dont j’ai toujours tant profité
Mille tendres amitiés.
Tout à Vous
AW de Schlegel
[4] [leer]
[1] A. W. von Schlegel an Chézy.