1816
J’ai été charmé, dear Sir, de recevoir une marque de Votre souvenir - je craignois vraiment d’être oublié par vous. J’ai bien du regret au temps de Votre séjour à Paris, je n’y ai rien trouvé cette année qui vaille vos entretiens - aussi - bien cela ne se trouve que rarement. Je me suis d’abord occupé de vos commissions, mais je suis fâché de n’y avoir réussi qu’en partie. J’ai trouvé tous les livres que vous cherchez, à la bibliothèque royale, je n’ai trouvé qu’un seul à acheter. J’en diffère l’envoi jusqu’à ce que j’aurai trouvé quelque chose de plus ou acquis la certitude qu’il n’y a rien à espérer. Je Vous ferai un rapport détaillé sur une feuille à part. Je n’ai pas non plus oublié en Italie Votre question concernant Azzurini Conti, mais je n’ai point été à Rome, et ailleurs on n’a pu me donner aucun renseignement. Sismondi n’en savoit rien non plus. Vous savez, combien les gentilshommes titrés abondent [2] en Italie, - j’ai lu dans un vieux livre qu’un voyageur y a vu trente marquis sous un figuier qui s’en disputoient les fruits. Peut-être Azzurrini étoit-il un de ceux-là. En effet ayant été une espèce d’avanturier, il est possible qu’il ait pris en pays étranger un nom de famille et un titre qui n’avoient aucune réalité.
Si je puis vous être utile en consultant des livres à la Bibl. royale que Vous n’avez pas chez vous, en faisant des extraits ou en copiant des passages, je vous prie de m’employer sans cérémonie. Je serois trop heureux de contribuer par une bagatelle quelconque à hâter la publication de votre histoire. Ne différez pas trop long-temps. Il est urgent que l’Angleterre ou plutôt l’Ecosse renouvelle ses titres à la gloire d’avoir produit les meilleurs historiens modernes. Ce que vous me mandez sur le succès de mon Cours de littérature dramatique en Angleterre me flatte infiniment. Je n’ai pas encore vu la traduction angloise, mais d’après les échantillons je la crois bien faite. Toutefois si le livre venoit à obtenir [3] une seconde édition, ayez la bonté de faire savoir au traducteur que je suis tout prêt à lui communiquer mes observations, - dans le long espace de trois volumes il y aura bien quelques unes à faire. Je m’attendois à voir reprouvée mon opinion sur les pièces que vos critiques disputent à Shakspeare malgré les témoignages des contemporains. Cependant ma persuasion à cet égard n’est pas changée – la question ne peut être traitée à fond qu’en Angleterre même – mais dans la nouvelle édition allemande qu’on imprime en ce moment j’ai laissé subsister cet article, à peu près comme un état qui n’est pas préparé à la guerre continue de protester quoiqu’il ne puisse pas empêcher les troupes ennemies de marcher sur son territoire.
Je n’aime pas beaucoup qu’on me loue en disant des injures à ma nation. Dites-moi pourquoi la Revue Edinbourgeoise depuis quelque temps a pris à tâche de le faire, et à l’occasion de la vie de Goêthe de la manière vraiment la plus vulgaire. Cela n’est ni de bon goût, ni utile, ni raisonnable, et cela [4] pourroit exposer à de fières retorsions. De ce que pendant si long-temps on a ignoré en Angleterre les Allemands, s’ensuit-il qu’ils n’eussent rien d’estimable? Voilà la logique d’un journaliste françois, c’est tout dire. Si le Journal d’Edinbourg a des redacteurs, ils devroient bien supprimer de semblables morceaux, et reprimander les écoliers qui les leur envoyent Pour la vie de Goêthe, je soutiens qu’on ne peut pas seulement se placer dans le vrai point de vue pour la juger, sans connoître l’Allemagne et son histoire littéraire dans le plus grand détail, et sans savoir les oeuvres de Goethe par coeur. Il s’agit du plus beau génie de notre siècle, et si ses écrits actuels nxxxtxxx trahissoient la foiblesse de l’age, peut-on oublier que jamais il n’y eut de jeunesse plus sublimement vigoureuse que la sienne?
Je voudrois bien être lu par Vous – mais depuis quelques années je n’ai point publié de livre, et je ne puis pas supposer que les Annales littéraires de Heidelberg, où se trouvent mes articles de critique avec mon nom, pénètrent jusqu’à vous. L’année [5] passée j’y ai parlé à l’occasion des frères Grimm sur nos traditions nationales; dernièrement j’ai fait un long morceau de scepticisme sur l’ancienne histoire de Rome en rendant compte du livre de Niebuhr. Ce livre est de premiere force dans les recherches mais un peu lourd dans les formes. Vous est-il parvenu?
Mon grand obstacle pour faire des livres c’est le goût de l’étude. Je trouve beaucoup plus amusant d’apprendre quelque chose moi-même que d’en instruire les autres, et quand j’ai poussé une recherche au point de pouvoir parler avec connoissance de cause, je la quitte et je m’engoue d’un autre sujet. Le dernier hiver étant en Toscane je n’ai rêvé qu’antiquités étrusques et [o]rigines italiennes, j’ai vu une infinité de monumens, j’ai rapporté un tas de notes là-dessus, - enfin les matériaux d’un livre intéressant sont tout prêts, mais il faut le faire, et voilà qui est pénible. Ici je me suis replongé jusqu’au cou dans l’étude de la langue indienne, dont les voyages [6] m’avoient détourné. J’ai toujours vos deux volumes du Rámáyana, je compte vous les renvoyer à la fin de l’hiver. On trouve une grande difficulté à se procurer les livres nécessaires. Vous me rendriez un service éminent, (einen wahren Ritterdienst) si Vous pouviez me faire avoir l’Amara-cosha et ce qui xxxxx est imprimé du dictionnaire Sanskrit de Wilson. Je sais bien que ce livre n’est pas encore en vente, mais Mr Langlès en a eu un exemplaire par la complaisance de Mr Lockett. Vous connoissez sans doute beaucoup de personnes qui ont été dans l’Inde – Mr Langlès, qui connoît pourtant toutes les voyes, s’est vainement efforcé depuis deux ans de me procurer L’Amara-côsha. Ici je trouve à emprunter les livres que je n’ai pas, mais en quittant Paris je voudrois être assez bien fourni de livres et de connoissances pour continuer cette étude en Suisse, et je frémis à l’idée de ne plus avoir même un dictionnaire incomplet tel que l’Amara-cosha. De grace, mon cher Pandit, aidez-moi à entrer tout de suite après cette vie dans le monde de Vichnou – si je ne puis [7] m’élever jusqu’au vrai savoir, si je reste empêtré dans les mots et les phrases, je pourrois bien revenir comme perroquet pour toute récompense d’avoir appris tant de langues et d’avoir fait le métier ingrat de traducteur poétique.
Encore une question. Quand je serai armé de toutes pièces pour cela, j’ai envie de faire un petit traité en latin; Synopsis grammatica et etymologica linguarum &c. Ce que mon frere a pu donner là-dessus, n’est qu’un échantillon: il est temps de traiter cela d’une manière tout-à fait scientifique et d’épuiser le sujet. J’etendrai cette comparaison au Latin, au Grec, au Gothique, à l’Anglosaxon et aux autres anciens dialectes teutoniques, mais avec toute la brièveté possible. Je voudrois faire imprimer les mots indiens en dévanagari, les lettres latines à coté, autrement la chose n’a pas un caractère authentique. Dites-moi, pourrai-je obtenir cela en Angleterre, sans payer les frais de l’impression? Je donnerai mon manuscrit pour rien, cela va sans dire, et je le dédierai, je pense, à la société Asiatique.
[8] J’ai bien imaginé que la derniere portion du livre de mon frere ne pouvoit pas Vous plaire. Il y a beaucoup de réticences, et des formes extrêmement ménagées, mais on n’en reconnoît pas moins le fond. La force de cet ouvrage est dans la partie de l’antiquité et du moyen age. J’aurois cependant mieux aimé qu’il eût fait quelque bon morceau d’histoire détaillée, par exemple sur Charles Quint dont il a exploité toute la correspondance dans les archives de Vienne. A présent il est tout à fait dans les affaires et je ne sais pas quand il pourra retourner à la carrière d’auteur.
Répondez-moi bientôt, si vous voulez me donner un jour de fête, - et si vous avez à me charger de quelques commission, tant mieux. Je vous prie de croire que je sais sentir tout le prix de votre bienveillance. Mille et mille amitiés
AWSchlegel
[9] J’ai acheté.
Cours de sciences &c par le pere Buffier, Paris 1732. Fol. relié en veau – 32 francs.
Mon libraire désespere de trouver les autres livres à Paris, mais je ferai encore de nouvelles recherches.
Hudibras. Poëme écrit dans le tems des troubles d’Angleterre, et traduit en vers françois avec des remarques et des figures. Londres 1757. 3 Vol. 8o
Le texte anglois est imprimé en regard de la traduction. La forme des caractères italiques, la correction du texte anglois, enfin toute la forme du livre m’a convaincu que la date du livre n’est pas une fiction. Il y a donc plus de probabilité de le trouver à Londres qu’à Paris. Les notes à la fin de chaque volume ne sont pas du traducteur mais de l’éditeur
Balth. Ayalae De jure belli et officiis bellicis L. III. Lovan. 1648. 8o.
Albericus Gentilis De jure belli Commentatio prima. Londin. 1588 4o
Francisci a Victoria Relectiones Theologicae. Lugduni 1587. 8o
[10] D’après la préface de cette édition qui se trouve à la bibliothèque royale, il existe trois éditions plus anciennes:
Lugduni. 1557.
Salmatici 1565
Ingolstadii ....
L’éditeur se vante d’avoir purgé l’ouvrage de plusieurs thèses hérétiques qu’on auroit mis sous le nom de l’auteur dans les éditions précédentes. Il se pourroit donc bien que la sienne fut mutilée. Les discours sont au nombre de treize. Voici les titres de ceux qui semblent se rapporter au droit des gens.
Relectio I & II. De potestate ecclesiae.
– III De potestate civili
– IV. De potestate Papae et Concilii
– V. De Indis.
– VI. De jure belli.
– X. De homicidio.
Comme ces trois ouvrages ne sont pas volumineux, il me sera facile de les lire et de Vous rendre un compte général de leur esprit.
A. W. Schlegel Dec 22 1816.